Les Quarante-Cinq Tome I
Les Quarante-Cinq Tome I читать книгу онлайн
Les Quarante-Cinq constitue le troisi?me volet du grand triptyque que Dumas a consacr? ? l'histoire de France de la Renaissance. Il ach?ve le r?cit de cette d?cadence de la seigneurie commenc? par La Reine Margot et poursuivi avec La Dame de Monsoreau. A cette ?poque d?chir?e, tout se joue sur fond de guerre : guerres de Religion, guerres dynastiques, guerres amoureuses. Aussi les h?ros meurent-ils plus souvent sur l'?chafaud que dans leur lit, et les h?ro?nes sont meilleures ma?tresses que m?res de famille. Ce qui fait la grandeur des personnages de Dumas, c'est que chacun suit sa pente jusqu'au bout, sans concession, mais avec panache. D'o? l'invincible sympathie qu'ils nous inspirent. Parmi eux, Chicot, le c?l?bre bouffon, qui prend la place du roi. C'est en lui que Dumas s'est reconnu. N'a-t-il pas tir? ce personnage enti?rement de son imagination ? Mais sa v?racit? lui permet d'?voluer avec aisance au milieu des personnages historiques dont il lie les destins. Dumas ayant achev? son roman ? la veille de la r?volution de 1848, Chicot incarne par avance la bouffonnerie de l'histoire.
Внимание! Книга может содержать контент только для совершеннолетних. Для несовершеннолетних чтение данного контента СТРОГО ЗАПРЕЩЕНО! Если в книге присутствует наличие пропаганды ЛГБТ и другого, запрещенного контента - просьба написать на почту [email protected] для удаления материала
– Si c'est ennuyeux, je le veux bien.
Un troisième grognement se fit entendre: on eût dit que le chien riait des paroles que venait de prononcer Joyeuse.
– Voilà un chien bien intelligent, dit Henri; il devine ce que je veux te faire faire.
– Que voulez-vous me faire faire, sire? voyons un peu cela.
– Tu vas te botter.
Joyeuse fit un mouvement de terreur.
– Oh! non, ne me demandez pas cela, sire; c'est contre toutes mes idées.
– Tu vas monter à cheval.
Joyeuse fit un bond.
– À cheval! non pas, je ne vais plus qu'en litière; Votre Majesté n'a donc pas entendu?
– Voyons, Joyeuse, trêve de raillerie, tu m'entends? tu vas te botter et monter à cheval.
– Non, sire, répondit le duc avec le plus grand sérieux, c'est impossible.
– Et pourquoi cela, impossible? demanda Henri avec colère.
– Parce que… parce que… je suis amiral.
– Eh bien?
– Et que les amiraux ne montent pas à cheval.
– Ah! c'est comme cela! fit Henri.
Joyeuse répondit par un de ces signes de tête comme les enfants en font lorsqu'ils sont assez obstinés pour ne pas répondre.
– Eh bien! soit, monsieur l'amiral de France; vous n'irez pas à cheval: vous avez raison, ce n'est pas l'état d'un marin d'aller à cheval; mais c'est l'état d'un marin d'aller en bateau et en galère; vous vous rendrez donc à l'instant même à Rouen, en bateau; à Rouen, vous trouverez votre galère amirale: vous la monterez immédiatement et vous ferez appareiller pour Anvers.
– Pour Anvers! s'écria Joyeuse, aussi désespéré que s'il eût reçu l'ordre de partir pour Canton ou pour Valparaiso.
– Je crois l'avoir dit, fit le roi d'un ton glacial qui établissait sans conteste son droit de chef et sa volonté de souverain; je crois l'avoir dit, et je ne veux pas le répéter.
Joyeuse, sans témoigner la moindre résistance, agrafa son manteau, remit son épée sur son épaule et prit sur un fauteuil son toquet de velours.
– Que de peine pour se faire obéir, vertubleu! continua de grommeler Henri; si j'oublie quelquefois que je suis le maître, tout le monde, excepté moi, devrait au moins s'en souvenir.
Joyeuse, muet et glacé, s'inclina et mit, selon l'ordonnance, une main sur la garde de son épée.
– Les ordres, sire? dit-il d'un voix qui, par son accent de soumission, changea immédiatement en cire fondante la volonté du monarque.
– Tu vas te rendre, lui dit-il, à Rouen où je désire que tu t'embarques, à moins que tu ne préfères aller par terre à Bruxelles.
Henri attendait un mot de Joyeuse; celui-ci se contenta d'un salut.
– Aimes-tu mieux la route de terre? demanda Henri.
– Je n'ai pas de préférence quand il s'agit d'exécuter un ordre, sire, répondit Joyeuse.
– Allons, boude, va! boude, affreux caractère! s'écria Henri. Ah! les rois n'ont pas d'amis!
– Qui donne des ordres ne peut s'attendre qu'à trouver des serviteurs, répondit Joyeuse avec solennité.
– Monsieur, reprit le roi blessé, vous irez donc à Rouen; vous monterez votre galère, vous rallierez les garnisons de Caudebec, Harfleur et Dieppe, que je ferai remplacer; vous en chargerez six navires que vous mettrez au service de mon frère, lequel attend le secours que je lui ai promis.
– Ma commission, s'il vous plaît, sire? dit Joyeuse.
– Et depuis quand, répondit le roi, n'agissez-vous plus en vertu de vos pouvoirs d'amiral?
– Je n'ai droit qu'à obéir, et autant que je le puis, sire, j'évite toute responsabilité.
– C'est bien, monsieur le duc; vous recevrez la commission à votre hôtel au moment du départ.
– Et quand sera ce moment, sire?
– Dans une heure.
Joyeuse s'inclina respectueusement et se dirigea vers la porte.
Le cœur du roi faillit se rompre.
– Quoi! dit-il, pas même la politesse d'un adieu! Monsieur l'amiral, vous êtes peu civil; c'est le reproche que l'on fait à messieurs les gens de mer. Allons, peut-être aurai-je plus de satisfaction de mon colonel général d'infanterie.
– Veuillez me pardonner, sire, balbutia Joyeuse, mais je suis encore plus mauvais courtisan que mauvais marin, et je comprends que Votre Majesté regrette ce qu'elle a fait pour moi.
Et il sortit, en fermant la porte avec violence, derrière la tapisserie qui se gonfla, repoussée par le vent.
– Voilà donc comme m'aiment ceux pour lesquels j'ai tant fait! s'écria le roi. Ah! Joyeuse! ingrat Joyeuse!
– Eh bien! ne vas-tu pas le rappeler? dit Chicot en s'avançant vers le lit. Quoi! parce que par hasard tu as eu un peu de volonté, voilà que tu te repens.
– Écoute donc, répondit le roi, tu es charmant, toi! crois-tu qu'il soit agréable d'aller au mois d'octobre recevoir la pluie et le vent sur la mer? je voudrais bien t'y voir, égoïste!
– Libre à toi, grand roi, libre à toi.
– De te voir par vaux et par chemins.
– Par vaux et par chemins; c'est en ce moment-ci mon désir le plus vif que de voyager.
– Ainsi, si je t'envoyais quelque part, comme je viens d'envoyer Joyeuse, tu accepterais?
– Non seulement j'accepterais, mais je postule, j'implore.
– Une mission?
– Une mission.
– Tu irais en Navarre?
– J'irais au diable, grand roi!
– Railles-tu, bouffon?
– Sire, je n'étais pas déjà trop gai pendant ma vie, et je vous jure que je suis bien plus triste depuis ma mort.
– Mais tu refusais tout à l'heure de quitter Paris.
– Mon gracieux souverain, j'avais tort, très grand tort, et je me repens.
– De sorte que tu désires quitter Paris maintenant?
– Tout de suite, illustre roi, à l'instant même, grand monarque!
– Je ne comprends plus, dit Henri.
– Tu n'as donc pas entendu les paroles du grand-amiral de France?
– Lesquelles?