Les Pardaillan – Livre V – Pardaillan Et Fausta
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1590. ? Rome, Fausta, apr?s avoir mis au monde le fils de Pardaillan, b?n?ficie de la gr?ce du pape Sixte Quint, qui se pr?pare ? intervenir aupr?s du roi d'Espagne Philippe II dans le conflit qui l'oppose ? Henri IV roi de France. Fausta est investie d'une mission aupr?s de Philippe II: lui faire part d'un document secret par lequel le roi de France Henri III reconnaissait formellement Philippe II comme son successeur l?gitime sur le tr?ne de France. En France, le chevalier de Pardaillan est investi par Henri IV, absorb? par le si?ge de Paris, d'une double mission: d?jouer les manoeuvres de Fausta et obtenir de Philippe II la reconnaissance de la l?gitimit? d'Henri de Navarre comme roi de France. Pardaillan et Fausta s'affrontent ? S?ville. Pardaillan est aid? dans sa lutte par Cervant?s, qui reconna?t en lui le vrai Don Quichotte. Sortira-il vivant des traquenard tendus par le Grand Inquisiteur Don Espinoza et Fausta?
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XIV LES DEUX DIPLOMATES
– Comment se fait-il qu’un homme de votre valeur n’ait d’autre titre que celui de chevalier? demanda brusquement Espinosa.
– On m’a fait comte de Margency, fit Pardaillan avec un haussement d’épaules.
– Comment se fait-il que vous soyez resté un pauvre gentilhomme sans feu ni lieu?
– On m’a donné les terres et revenus du comte de Margency… J’ai refusé. Un ange, oui, je dis bien, un ange par la bonté, par le dévouement, par l’amour sincère et constant, fit Pardaillan avec une émotion contenue, m’a légué sa fortune – considérable – monsieur, puisqu’elle s’élevait à deux cent vingt mille livres. J’ai tout donné aux pauvres sans distraire une livre.
– Comment se fait-il qu’un homme de guerre tel que vous soit resté un simple aventurier?
– Le roi Henri III a voulu faire de moi un maréchal de ses armes… J’ai refusé.
– Comment se fait-il enfin qu’un diplomate comme vous se contente d’une mission occasionnelle, sans grande importance?
– Le roi Henri de Navarre a voulu faire de moi son Premier ministre… J’ai refusé.
Espinosa parut réfléchir un instant. En réalité il pensait: «Chaque réponse de cet homme est un véritable coup de boutoir… Eh bien, procédons comme lui… Assommons-le d’un seul coup.»
Et à Pardaillan qui attendait paisiblement:
– Vous avez bien fait de refuser. Ce qu’on vous offrait était au-dessous de votre mérite, dit-il, d’un air convaincu.
Pardaillan le considéra d’un œil étonné et, doucement:
– Je crois que vous faites erreur, monsieur. Tout ce qui m’a été offert était, au contraire, fort au-dessus de ce que pouvait rêver un pauvre aventurier comme moi.
Pardaillan ne jouait nullement la comédie de la modestie. Il était sincère. C’était un des côtés remarquables de cette nature exceptionnelle de s’exagérer les obligations, très réelles, qu’on lui devait.
Espinosa ne pouvait pas comprendre qu’un homme conscient de sa supériorité, comme paraissait l’être le chevalier, un audacieux pareil, fût en même temps un timide et un modeste dans les questions de sentiment.
Il crut avoir affaire à un orgueilleux et qu’en y mettant le prix, il pourrait se l’attacher. Il reprit donc, avec une lenteur calculée:
– Je vous offre le titre de duc avec la grandesse et dix mille ducats de rente perpétuelle à prendre sur les revenus des Indes; un gouvernement de premier ordre, avec rang de vice-roi, pleins pouvoirs civils et militaires, et une allocation annuelle de vingt mille ducats pour l’entretien de votre maison; vous serez fait capitaine de huit bannières [17] espagnoles et vous aurez le collier de l’ordre de la Toison… Ces conditions vous paraissent-elles suffisantes?
Cela dépend de ce que j’aurai à faire en échange de ce que vous m’offrez, dit Pardaillan avec flegme.
– Vous aurez à mettre votre épée au service d’une cause sainte, pour mieux dire, dit Espinosa.
– Monsieur, dit le chevalier simplement, sans forfanterie, il n’est pas un gentilhomme digne de ce nom qui hésiterait à donner l’appui de son épée à une cause que vous qualifiez noble et juste. Il n’est besoin pour cela que de faire appel à des sentiments d’honneur ou, plus simplement, d’humanité… Gardez donc titres, rentes, honneur et emplois… L’épée du chevalier de Pardaillan se donne, mais ne se vend pas.
– Quoi! s’écria Espinosa stupéfait, vous refusez les offres que je vous fais?
– Je refuse, dit froidement le chevalier… Mais j’accepte de me consacrer à la cause dont vous parlez.
– Cependant, il est juste que vous soyez récompensé!
– Ne vous mettez pas en peine de ceci… Voyons plutôt en quoi consiste cette cause noble et juste, fit Pardaillan avec son air narquois.
– Monsieur, fit Espinosa après avoir jeté un coup d’œil d’admiration sur le chevalier, modeste et paisible, vous êtes un de ces hommes avec qui la franchise devient la suprême habileté… J’irai donc droit au but.
Espinosa parut se recueillir un instant.
«Mordieu! se dit Pardaillan, voici une franchise qui ne paraît pas vouloir sortir toute seule!»
– Je vous écoutais attentivement lorsque vous parliez au roi, continua Espinosa en fixant Pardaillan, et il m’a semblé que l’espèce d’aversion que vous paraissiez avoir pour lui provient surtout du zèle qu’il déploie dans la répression de l’hérésie. Ce que vous lui reprochez le plus, ce qui vous le rend antipathique, ce sont ces hécatombes de vies humaines qui répugnent à votre sensibilité, selon votre propre expression… Est-ce vrai?
– Cela… et puis autre chose encore, fit énigmatiquement le chevalier.
– Parce que vous ne voyez que les apparences et non la réalité. Parce que la barbarie apparente des effets vous frappe seule et vous empêche de discerner la cause profondément humaine, généreuse, élevée… Trop généreuse et élevée, même, puisqu’elle échappe à un esprit comme le vôtre, monsieur. Mais si je vous expliquais…
– Expliquez, monsieur, je ne demande pas mieux que d’être convaincu… Quoique, à vrai dire, vous aurez bien de la peine à me persuader que c’est par générosité et par humanité que vous faites griller des pauvres diables qui ne demandent qu’à vivre leur vie paisiblement, et sans nuire à leur prochain.
– C’est cependant ce que je me fais fort de vous prouver, dit gravement Espinosa.
– Pardieu! je suis curieux de voir comment vous vous y prendrez pour justifier le fanatisme religieux et les persécutions qu’il engendre, fit Pardaillan avec son sourire railleur.
– Fanatisme religieux! Persécution! s’exclama Espinosa. On croit avoir tout dit, tout expliqué, avec ces deux mots. Parlons-en donc. Vous, monsieur de Pardaillan, je l’ai vu du premier coup, vous n’avez pas de religion, n’est-ce pas?
– Si vous entendez parler de culte, de doctrine, oui, je suis sans religion.
– C’est bien ainsi que je l’entends, approuva Espinosa. Eh bien! monsieur, comme vous, et au même sens que vous, je suis sans religion… Cet aveu que je fais et qui pourrait, s’il tombait dans d’autres oreilles, me conduire au bûcher, moi, le grand inquisiteur, vous dit assez quelle confiance j’ai en votre loyauté et jusqu’à quel point j’entends pousser la franchise.
– Monsieur, dit gravement le chevalier, tenez pour assuré qu’en sortant d’ici j’oublierai tout ce que vous aurez bien voulu me dire.
– Je le sais, monsieur, et c’est pourquoi je parle sans hésitation et sans fard, dit simplement Espinosa, qui reprit:
– Là où il n’y a pas de religion, il ne saurait y avoir fanatisme. Il n’y a que l’application rigoureuse d’un système mûrement étudié.
– Fanatisme ou système, le résultat est toujours le même: la destruction d’innombrables existences humaines.
– Comment pouvez-vous vous arrêter à d’aussi pauvres considérations? Que sont quelques existences lorsqu’il s’agit du salut et de la régénération de toute une race! Ce qui apparaît aux yeux du vulgaire comme une persécution n’est en réalité qu’une vaste opération chirurgicale nécessaire… Nous taillons les membres gangrenés pour sauver le corps, nous brûlons les plaies pour les cicatriser… Bourreaux! dit-on. Niaiserie. Le blessé qui sent le couteau de l’opérateur tailler impitoyablement sa chair pantelante hurle de douleur et injurie son sauveur qu’il traite, lui aussi, de bourreau. Cependant celui-ci ne se laisse pas émouvoir par les clameurs de son malade en délire… Il accomplit froidement sa mission, il va jusqu’au bout de son devoir, qui est d’achever l’opération bienfaisante avec tout le soin voulu, et il sauve son malade, souvent malgré lui. Alors, redevenu sain, robuste et vigoureux, l’opéré n’a plus que de la gratitude pour celui qu’il appelait bourreau et en qui, revenu à une plus juste appréciation des choses, il ne voit maintenant que ce qu’il est en réalité: un sauveur. Nous sommes, monsieur, ces opérateurs impassibles, impitoyables – en apparence – mais au fond, humains et généreux. Nous ne nous laissons pas plus émouvoir par les plaintes, les clameurs, les injures, que nous ne nous montrerons touchés par des manifestations de reconnaissance le jour où nous aurons mené à bien l’opération entreprise, c’est-à-dire le jour où nous aurons sauvé l’humanité. Comme ces opérateurs, nous poursuivons méthodiquement notre tâche, nous accomplissons patiemment notre devoir sans que rien puisse nous rebuter, et notre seule récompense sera dans la satisfaction du devoir accompli.
Le chevalier avait écouté attentivement l’explication qu’Espinosa venait de lui donner avec une chaleur qui contrastait étrangement avec le calme immuable qu’il montrait habituellement.
Lorsque Espinosa eut terminé, il resta un moment rêveur, puis redressant sa tête fine:
– Je ne doute pas de votre sincérité, dit-il. Mais vous avez proclamé votre manque de foi religieuse. Or le médecin dont vous parliez est sincèrement convaincu de l’efficacité de l’opération qu’il va pratiquer sur un corps malade. Il peut se tromper, il est respectable parce que sincère… Mais vous, monsieur, vous vous attaquez à un corps sain, et sous prétexte de le régénérer, de le sauver – et je me demande de quoi vous voulez le sauver puisqu’il n’est pas malade – vous voulez lui imposer un remède auquel vous-même vous n’avez pas foi… Alors, monsieur, j’avoue que je ne comprends plus…