Les Quarante-Cinq Tome I
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Les Quarante-Cinq constitue le troisi?me volet du grand triptyque que Dumas a consacr? ? l'histoire de France de la Renaissance. Il ach?ve le r?cit de cette d?cadence de la seigneurie commenc? par La Reine Margot et poursuivi avec La Dame de Monsoreau. A cette ?poque d?chir?e, tout se joue sur fond de guerre : guerres de Religion, guerres dynastiques, guerres amoureuses. Aussi les h?ros meurent-ils plus souvent sur l'?chafaud que dans leur lit, et les h?ro?nes sont meilleures ma?tresses que m?res de famille. Ce qui fait la grandeur des personnages de Dumas, c'est que chacun suit sa pente jusqu'au bout, sans concession, mais avec panache. D'o? l'invincible sympathie qu'ils nous inspirent. Parmi eux, Chicot, le c?l?bre bouffon, qui prend la place du roi. C'est en lui que Dumas s'est reconnu. N'a-t-il pas tir? ce personnage enti?rement de son imagination ? Mais sa v?racit? lui permet d'?voluer avec aisance au milieu des personnages historiques dont il lie les destins. Dumas ayant achev? son roman ? la veille de la r?volution de 1848, Chicot incarne par avance la bouffonnerie de l'histoire.
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– Oh! oh! oh! s'écria maître Miton, réjoui de ce spectacle et suivant des yeux l'ascension et la descente de son ami maître Friard, vous avez l'air de l'enseigne du Grand-Absalon.
– Ouf! s'écria Friard en touchant le sol, que j'aie l'air de tout ce que vous voudrez, me voilà de l'autre côté de la haie, et grâce à monsieur. Puis, se redressant pour regarder l'inconnu à la poitrine duquel il atteignait à peine: Ah! monsieur, continua-t-il, que d'actions de grâces! Monsieur, vous êtes un véritable Hercule, parole d'honneur, foi de Jean Friard. Votre nom, monsieur, le nom de mon sauveur, le nom de mon… ami?
Et le brave homme prononça en effet ce dernier mot avec l'effusion d'un cœur profondément reconnaissant.
– Je m'appelle Briquet, monsieur, répondit l'inconnu, Robert Briquet, pour vous servir.
– Et vous m'avez déjà considérablement servi, monsieur Robert Briquet, j'ose le dire; oh! ma femme vous bénira; Mais, à propos, ma pauvre femme! ô mon Dieu, mon Dieu! elle va être étouffée dans cette foule. Ah! maudits Suisses qui ne sont bons qu'à faire écraser les gens!
Le compère Friard achevait à peine cette apostrophe, qu'il sentit tomber sur son épaule une main lourde comme celle d'une statue de pierre.
Il se retourna pour voir quel était l'audacieux qui prenait avec lui une pareille liberté.
Cette main était celle d'un Suisse.
– Foulez-fous qu'on vous assomme, mon bedit ami? dit le robuste soldat.
– Ah! nous sommes cernés! s'écria Friard.
– Sauve qui peut! ajouta Miton.
Et tous deux, grâce à la haie franchie, ayant l'espace devant eux, gagnèrent le large, poursuivis par le regard railleur et le rire silencieux de l'homme aux longs bras et aux longues jambes qui, les ayant perdus de vue, s'approcha du Suisse qu'on venait de placer là en vedette.
– La main est bonne, compagnon, dit-il, à ce qu'il paraît?
– Mais foui, moussieu, pas mauvaise, pas mauvaise.
– Tant mieux, car c'est chose importante, surtout si les Lorrains venaient comme on le dit.
– Ils ne fiennent bas.
– Non?
– Bas di tout.
– D'où vient donc alors que l'on ferme cette porte! Je ne comprends pas.
– Fous bas besoin di gombrendre, répliqua le Suisse en riant aux éclats de sa plaisanterie.
– C'être chuste, mon gamarate, très chuste, dit Robert Briquet, merci.
Et Robert Briquet s'éloigna du Suisse pour se rapprocher d'un autre groupe, tandis que le digne Helvétien, cessant de rire, murmurait:
– Bei Gott!… Ich glaube er spottet meiner. – Was ist das für ein Mann, der sich erlaubt einen Schweizer seiner kœniglichen Majestaet auszulachen?
Ce qui, traduit en français, voulait dire:
– Vrai Dieu! je crois que c'est lui qui se moque de moi. Qu'est-ce que c'est donc que cet homme qui ose se moquer d'un Suisse de Sa Majesté?
II Ce qui se passait à l'extérieur de la porte Saint-Antoine
Un de ces groupes était formé d'un nombre considérable de citoyens surpris hors de la ville par cette fermeture inattendue des portes. Ces citadins entouraient quatre ou cinq cavaliers d'une tournure fort martiale et que la clôture de ces portes gênait fort, à ce qu'il paraît, car ils criaient de tous leurs poumons:
– La porte! la porte!
Lesquels cris, répétés par tous les assistants avec des recrudescences d'emportement, occasionnaient dans ces moments-là un bruit d'enfer.
Robert Briquet s'avança vers ce groupe, et se mit à crier plus haut qu'aucun de ceux qui le composaient:
– La porte! la porte!
Il en résulta qu'un des cavaliers, charmé de cette puissance vocale, se retourna de son côté, le salua et lui dit:
– N'est-ce pas honteux, monsieur, qu'on ferme une porte de ville en plein jour, comme si les Espagnols ou les Anglais assiégeaient Paris?
Robert Briquet regarda avec attention celui qui lui adressait la parole et qui était un homme de quarante à quarante-cinq ans.
Cet homme, en outre, paraissait être le chef de trois ou quatre autres cavaliers qui l'entouraient.
Cet examen donna sans doute confiance à Robert Briquet, car aussitôt il s'inclina à son tour et répondit:
– Ah! monsieur, vous avez raison, dix fois raison, vingt fois raison; mais, ajouta-t-il, sans être trop curieux, oserais-je vous demander quel motif vous soupçonnez à cette mesure?
– Pardieu! dit un assistant, la crainte qu'ils ont qu'on ne leur mange leur Salcède.
– Cap de Bious! dit une voix, triste mangeaille.
Robert Briquet se retourna du côté où venait cette voix dont l'accent lui indiquait un Gascon renforcé, et il aperçut un jeune homme de vingt ou vingt-cinq ans, qui appuyait sa main sur la croupe du cheval de celui qui lui avait paru le chef des autres.
Le jeune homme était nu-tête; sans doute il avait perdu son chapeau dans la bagarre.
Maître Briquet paraissait un observateur; mais, en général, ses observations étaient courtes; aussi détourna-t-il rapidement son regard du Gascon, qui sans doute lui parut sans importance, pour le ramener sur le cavalier.
– Mais, dit-il, puisqu'on annonce que ce Salcède appartient à M. de Guise, ce n'est déjà point un si mauvais ragoût.
– Bah! on dit cela? reprit le Gascon curieux ouvrant de grandes oreilles.
– Oui, sans doute, on dit cela, on dit cela, répondit le cavalier en haussant les épaules; mais, par le temps qui court, on dit tant de sornettes.
– Ah! ainsi, hasarda Briquet avec son œil interrogateur et son sourire narquois, ainsi, vous croyez, monsieur, que Salcède n'est point à M. de Guise?
– Non seulement je le crois, mais j'en suis sûr, répondit le cavalier. Puis comme il vit que Robert Briquet, en se rapprochant de lui, faisait un mouvement qui voulait dire: Ah bah! et sur quoi appuyez-vous cette certitude? il continua:
– Sans doute, si Salcède eût été au duc, le duc ne l'eût pas laissé prendre, ou tout au moins ne l'eût pas laissé amener ainsi de Bruxelles à Paris, pieds et poings liés, sans faire au moins en sa faveur une tentative d'enlèvement.
– Une tentative d'enlèvement, reprit Briquet, c'était bien hasardeux; car enfin, qu'elle réussît ou qu'elle échouât, du moment où elle venait de la part de M. de Guise, M. de Guise avouait qu'il avait conspiré contre le duc d'Anjou.