Mademoiselle De Maupin
Mademoiselle De Maupin читать книгу онлайн
La «Pr?face», oeuvre ? part enti?re, fait date dans l'histoire litt?raire. Sur un ton enlev?, perfide et caustique, l'auteur attaque les bien-pensants, repr?sentants de la tartufferie et de la censure, et ceux qui voudraient voir un c?t? «utile» dans une oeuvre litt?raire, alors que l'art, par d?finition non assujetti ? la morale ou ? l'utilit?, ?chappe ? la notion de progr?s pour ne s'allier qu'? celle du plaisir.
Le roman lui-m?me, en grande partie ?pistolaire, nous parle avant tout de l'Amour, du Sexe, de la Femme, de l'Homme, ?ternels sujets…
Внимание! Книга может содержать контент только для совершеннолетних. Для несовершеннолетних чтение данного контента СТРОГО ЗАПРЕЩЕНО! Если в книге присутствует наличие пропаганды ЛГБТ и другого, запрещенного контента - просьба написать на почту [email protected] для удаления материала
Cette manière de lire et d’aimer a son charme. On savoure mieux les détails quand on est tranquille sur la fin, et le renversement amène l’imprévu.
Voilà donc les petites filles et les femmes mariées exclues de la catégorie. – Ce sera donc parmi les veuves que nous choisirons notre divinité. – Hélas! j’ai bien peur, quoiqu’il ne reste plus que cela, que nous n’y trouvions pas encore ce que nous voulons.
Si je venais à aimer un de ces pâles narcisses tout baignés d’une tiède rosée de pleurs, et se penchant avec une grâce mélancolique sur le tombeau de marbre neuf de quelque mari heureusement et fraîchement décédé, je serais certainement, et au bout de peu de temps, aussi malheureux que l’époux défunt en son vivant. Les veuves, si jeunes et si charmantes qu’elles soient, ont un terrible inconvénient que n’ont pas les autres femmes: pour peu que l’on ne soit pas au mieux avec elles et qu’il passe un nuage dans le ciel d’amour, elles vous disent tout de suite avec un petit air superlatif et méprisant: – Ah! comme vous êtes aujourd’hui! C’est absolument comme monsieur: – quand nous nous querellions, il n’avait pas autre chose à me dire; c’est singulier, vous avez le même son de voix et le même regard; quand vous prenez de l’humeur, vous ne sauriez vous imaginer combien vous ressemblez à mon mari; – c’est à faire peur. – Cela est agréable de s’entendre dire de ces choses-là en face et à bout portant! Il y en a même qui poussent l’impudence jusqu’à louer le défunt comme une épitaphe et à exalter son cœur et sa jambe aux dépens de votre jambe et de votre cœur. – Au moins, avec les femmes qui n’ont qu’un ou plusieurs amants, on a cet ineffable avantage de ne s’entendre jamais parler de son prédécesseur, ce qui n’est pas une considération d’un médiocre intérêt. Les femmes ont un trop grand amour du convenable et du légitime pour ne pas se taire soigneusement en pareille occurrence, et toutes ces choses sont mises le plus tôt possible au rang des olim. – Il est bien entendu qu’on est toujours le premier amant d’une femme.
Je ne pense pas qu’il y ait quelque chose de sérieux à répondre à une aversion aussi bien fondée. Ce n’est pas que je trouve les veuves tout à fait sans agrément, quand elles sont jeunes et jolies et n’ont point encore quitté le deuil. Ce sont de petits airs languissants, de petites façons de laisser tomber les bras, de ployer le cou et de se rengorger comme une tourterelle dépareillée; un tas de charmantes minauderies doucement voilées sous la transparence du crêpe, une coquetterie de désespoir si bien entendue, des soupirs si adroitement ménagés, des larmes qui tombent si à propos et donnent aux yeux tant de brillant! – Certes, après le vin, si ce n’est avant, la liqueur que j’aime le mieux à boire est une belle larme bien limpide et bien claire qui tremble au bout d’un cil brun ou blonde. – Le moyen qu’on résiste à cela! – On n’y résiste pas; – et puis le noir va si bien aux femmes! – La peau blanche, poésie à part, tourne à l’ivoire, à la neige, au lait, à l’albâtre, à tout ce qu’il y a de candide au monde à l’usage des faiseurs de madrigaux: la peau bise n’a plus qu’une pointe de brun pleine de vivacité et de feu. – Un deuil est une bonne fortune pour une femme, et la raison pourquoi je ne me marierai jamais, c’est de peur que ma femme ne se défasse de moi pour porter mon deuil. – Il y a cependant des femmes qui ne savent point tirer parti de leur douleur et pleurent de façon à se rendre le nez rouge et à se décomposer la figure comme les mascarons qu’on voit aux fontaines: c’est un grand écueil. Il faut beaucoup de charmes et d’art pour pleurer agréablement; faute de cela, l’on court risque de n’être pas consolée de longtemps. – Si grand néanmoins que soit le plaisir de rendre quelque Artémise infidèle à l’ombre de son Mausole, je ne veux pas décidément choisir, parmi cet essaim gémissant, celle à qui je demanderai son cœur en échange du mien.
Je t’entends dire d’ici: – Qui prendras-tu donc? – Tu ne veux ni des jeunes personnes, ni des femmes mariées, ni des veuves. – Tu n’aimes pas les mamans; je ne présume pas que tu aimes mieux les grand-mères. – Que diable aimes-tu donc? C’est le mot de la charade, et si je le savais, je ne me tourmenterais pas tant. Jusqu’ici, je n’ai aimé aucune femme, mais j’ai aimé et j’aime l’amour. Quoique je n’aie pas eu de maîtresses et que les femmes que j’ai eues ne m’aient inspiré que du désir, j’ai éprouvé et je connais l’amour même: je n’aimais pas celle-ci ou celle-là, l’une plutôt que l’autre, mais quelqu’une que je n’ai jamais vue et qui doit exister quelque part, et que je trouverai, s’il plaît à Dieu. Je sais bien comme elle est, et, quand je la rencontrerai, je la reconnaîtrai.
Je me suis figuré bien souvent l’endroit qu’elle habite, le costume qu’elle porte, les yeux et les cheveux qu’elle a. – J’entends sa voix; je reconnaîtrais son pas entre mille autres, et si, par hasard, quelqu’un prononçait son nom, je me retournerais; il est impossible qu’elle n’ait pas un des cinq ou six noms que je lui ai assignés dans ma tête.
– Elle a vingt-six ans, pas plus, ni moins non plus. – Elle n’est plus ignorante, et n’est pas encore blasée. C’est un âge charmant pour faire l’amour comme il faut, sans puérilité et sans libertinage. – Elle est d’une taille moyenne. Je n’aime pas une géante ni une naine. Je veux pouvoir porter tout seul ma déité du sofa au lit; mais il me déplairait de l’y chercher. Il faut que, se haussant un peu sur la pointe du pied, sa bouche soit à la hauteur de mon baiser. C’est la bonne taille. Quant à son embonpoint, elle est plutôt grasse que maigre. Je suis un peu Turc sur ce point, et il ne me plairait guère de rencontrer une arête où je cherche un contour; il faut que la peau d’une femme soit bien remplie, sa chair dure et ferme comme la pulpe d’une pêche un peu verte: c’est exactement ainsi qu’est faite la maîtresse que j’aurai. Elle est blonde avec des yeux noirs, blanche comme une blonde, colorée comme une brune, quelque chose de rouge et de scintillant dans le sourire. La lèvre inférieure un peu large, la prunelle nageant dans un flot d’humide radical, la gorge ronde et petite, et en arrêt, les poignets minces, les mains longues et potelées, la démarche onduleuse comme une couleuvre debout sur sa queue, les hanches étoffées et mouvantes, l’épaule large, le derrière du cou couvert de duvet: – un caractère de beauté fin et ferme à la fois, élégant et vivace, poétique et réel; un motif de Giorgione exécuté par Rubens.
Voici son costume: elle porte une robe de velours écarlate ou noir avec des crevés de satin blanc ou de toile d’argent, un corsage ouvert, une grande fraise à la Médicis, un chapeau de feutre capricieusement rompu comme celui d’Héléna Systerman, et de longues plumes blanches frisées et crespelées, une chaîne d’or ou une rivière de diamants au cou, et quantité de grosses bagues de différents émaux à tous les doigts des mains.
Je ne lui ferais pas grâce d’un anneau ou d’un bracelet. Il faut que la robe soit littéralement en velours ou en brocart; c’est tout au plus si je lui permettrais de descendre jusqu’au satin. J’aime mieux chiffonner une jupe de soie qu’une jupe de toile, et faire tomber d’une tête des perles ou des plumes que des fleurs naturelles ou un simple nœud: je sais que la doublure de la jupe de toile est souvent aussi appétissante au moins que la doublure de la jupe de soie; mais je préfère la jupe de soie. – Aussi, dans mes rêveries, je me suis donné pour maîtresse bien des reines, bien des impératrices, bien des princesses, bien des sultanes, bien des courtisanes célèbres, mais jamais des bourgeoises ou des bergères; et dans mes désirs les plus vagabonds, je n’ai abusé de personne sur un tapis de gazon ou dans un lit de serge d’Aumale. Je trouve que la beauté est un diamant qui doit être monté et enchâssé dans l’or. Je ne conçois pas une belle femme qui n’ait pas voiture, chevaux, laquais et tout ce qu’on a avec cent mille francs de rente: il y a une harmonie entre la beauté et la richesse. L’une demande l’autre: un joli pied appelle un joli soulier? un joli soulier appelle des tapis et une voiture, et ce qui s’ensuit. Une belle femme avec de pauvres habits dans une vilaine maison est, selon moi, le spectacle le plus pénible qu’on puisse voir, et je ne saurais avoir d’amour pour elle. Il n’y a que les beaux et les riches qui puissent être amoureux sans être ridicules ou à plaindre. – À ce compte, peu de gens auraient le droit d’être amoureux: moi-même, tout le premier, je serais exclu; cependant c’est là mon opinion.