Les Tribulations DUn Chinois En Chine
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Le richissime Chinois Kin-Fo vient de se trouver soudainement ruin?. La vie, qui lui paraissait jusqu'alors insipide, lui devient insupportable. Il contracte une assurance vie de 200 000 dollars en faveur de sa fianc?e L?-ou et du philosophe Wang, son mentor et ami ? qui il demande de le tuer dans un d?lai de deux mois, tout en lui remettant une lettre qui l'innocentera de ce meurtre. Avant le d?lai imparti, Kin-Fo recouvre sa fortune, doubl?e. Il n'est plus question pour lui de renoncer ? la vie. Mais Wang a disparu avec la lettre et il n'est pas homme ? rompre une promesse! Voil? donc Kin-Fo condamn? ? mort, par ses propres soins! Une seule ressource: retrouver Wang. Et Kin-Fo de se lancer dans le plus haletant des p?riples au pays du C?leste Empire. R?cit alerte ? l'intrigue parfaitement bien men?e, Les tribulations d'un Chinois en Chine est un des joyaux des " Voyages extraordinaires " du grand Jules Verne.
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On déjeuna donc, et de bon appétit. Le sac contenait des provisions pour deux jours. Or, avant deux jours, ou l'on serait à terre, ou l'on n'y arriverait jamais.
«Mais nous avons bon espoir, dit Craig.
– Pourquoi avez-vous bon espoir? demanda Kin-Fo, non sans quelque ironie.
– Parce que la chance nous revient, répondit Fry.
– Ah! vous trouvez?
– Sans doute, reprit Craig. Le suprême danger était la jonque, et nous avons pu lui échapper.
– Jamais, monsieur, depuis que nous avons l'honneur d'être attachés à votre personne, ajouta Fry, jamais vous n'avez été plus en sûreté qu'ici!
– Tous les Taï-ping du monde… dit Craig.
– Ne pourraient vous atteindre… dit Fry.
– Et vous flottez joliment…, ajouta Craig.
– Pour un homme qui pèse deux cent mille dollars!» ajouta Fry.
Kin-Fo ne put s'empêcher de sourire.
«Si je flotte, répondit Kin-Fo, c'est grâce à vous, messieurs! Sans votre aide, je serais maintenant où est le pauvre capitaine Yin!
– Nous aussi! répliquèrent Fry-Craig.
– Et moi donc! s'écria Soun, en faisant passer, non sans quelque effort, un énorme morceau de pain de sa bouche dans son œsophage.
– N'importe, reprit Kin-Fo, je sais ce que je vous dois!
– Vous ne nous devez rien, répondit Fry, puisque vous êtes le client de la Centenaire…
– Compagnie d'assurances sur la vie…
– Capital de garantie: vingt millions de dollars…
– Et nous espérons bien…
– Qu'elle n'aura rien à vous devoir!»
Au fond, Kin-Fo était très touché du dévouement dont les deux agents avaient fait preuve envers lui, quel qu'en fût le mobile. Aussi ne leur cacha-t-il point ses sentiments à leur égard.
«Nous reparlerons de tout ceci, ajouta-t-il, lorsque Lao-Shen m'aura rendu la lettre dont Wang s'est si fâcheusement dessaisi!»
Craig et Fry se regardèrent. Un sourire imperceptible se dessina sur leurs lèvres. Ils avaient évidemment eu la même pensée.
«Soun? dit Kin-Fo.
– Monsieur?
– Le thé?
– Voilà!» répondit Fry.
Et Fry eut raison de répondre, car de faire du thé dans ces conditions, Soun eût répondu que cela était absolument impossible.
Mais croire que les deux agents fussent embarrassés pour si peu, c'eût été ne pas les connaître.
Fry tira donc du sac un petit ustensile, qui est le complément indispensable des appareils Boyton. En effet, il peut servir de fanal quand il fait nuit, de foyer quand il fait froid, de fourneau lorsqu'on veut obtenir quelque boisson chaude.
Rien de plus simple, en vérité. Un tuyau de cinq à six pouces, relié à un récipient métallique, muni d'un robinet supérieur et d'un robinet inférieur le tout encastré dans une plaque de liège, à la façon de ces thermomètres flottants qui sont en usage dans les maisons de bains, tel est l'appareil en question.
Fry posa cet ustensile à la surface de l'eau, qui était parfaitement unie.
D'une main, il ouvrit le robinet supérieur, de l'autre le robinet inférieur, adapté au récipient immergé. Aussitôt une belle flamme fusa à l'extrémité, en dégageant une chaleur très appréciable.
«Voilà le fourneau!» dit Fry.
Soun n'en pouvait croire ses yeux.
«Vous faites du feu avec de l'eau? s'écria-t-il.
– Avec de l'eau et du phosphure de calcium!» répondit Craig.
En effet, cet appareil était construit de manière à utiliser une singulière propriété du phosphure de calcium, ce composé du phosphore, qui produit au contact de l'eau de l'hydrogène phosphoré. Or, ce gaz brûle spontanément à l'air, et ni le vent, ni la pluie, ni la mer, ne peuvent l'éteindre. Aussi est-il employé maintenant pour éclairer les bouées de sauvetage perfectionnées. La chute de la bouée met l'eau en contact avec le phosphure de calcium.
Aussitôt une longue flamme en jaillit, qui permet, soit à l'homme tombé à la mer de la retrouver dans la nuit, soit aux matelots de venir directement à son secours.
Pendant que l'hydrogène brûlait à la pointe du tube Craig tenait au-dessus une bouilloire remplie d'eau douce qu'il avait puisée à un petit tonnelet, enfermé dans son sac.
En quelques minutes, le liquide fut porté à l'état d'ébullition. Craig le versa dans une théière, qui contenait quelques pincées d'un thé excellent, et, cette fois, Kin-Fo et Soun le burent à l'américaine, ce qui n'amena aucune réclamation de leur part.
Cette chaude boisson termina convenablement ce déjeuner, servi à la surface de la mer, par «tant» de latitude et «tant» de longitude. Il ne manquait qu'un sextant et un chronomètre pour déterminer la position, à quelques, secondes près. Ces instruments compléteront un jour le sac des appareils Boyton, et les naufragés ne courront plus risque de s'égarer sur l'Océan.
Kin-Fo et ses compagnons, bien reposés, bien refaits, déployèrent alors les petites voiles, et reprirent vers l'ouest leur navigation, agréablement interrompue par ce repas matinal.
La brise se maintint encore pendant douze heures, et les scaphandres firent bonne route, vent arrière. A peine leur fallait-il la rectifier, de temps en temps, par un léger coup de pagaie.
Dans cette position horizontale, moelleusement et doucement entraînés, ils avaient une certaine tendance à s'endormir. De là, nécessité de résister au sommeil, qui eût été fort inopportun en ces circonstances. Craig et Fry, pour n'y point succomber, avaient allumé un cigare et ils fumaient, comme font les baigneurs-dandys dans l'enceinte d'une école de natation.
Plusieurs fois, du reste, les scaphandres furent troublés par les gambades de quelques animaux marins, qui causèrent au malheureux Soun les plus grandes frayeurs.
Ce n'étaient heureusement que d'inoffensifs marsouins.
Ces «clowns» de la mer venaient tout bonnement reconnaître quels étaient ces êtres singuliers qui flottaient dans leur élément, des mammifères comme eux, mais nullement marins.
Curieux spectacle! Ces marsouins s'approchaient en troupes; ils filaient comme des flèches, en nuançant les couches liquides de leurs couleurs d'émeraude; ils s'élançaient de cinq à six pieds hors des flots; ils faisaient une sorte de saut périlleux, qui attestait la souplesse et la vigueur de leurs muscles. Ah! si les scaphandres avaient pu fendre l'eau avec cette rapidité, qui est supérieure à celle îles meilleurs navires, ils n'auraient sans doute pas tardé à rallier la terre! C'était à donner envie de s'amarrer à quelques-uns de ces animaux, et de se faire remorquer par eux. Mais quelles culbutes et quels plongeons! Mieux valait encore ne demander qu'à la brise un déplacement qui, pour être plus lent, était infiniment plus pratique.