Les Tribulations DUn Chinois En Chine
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Le richissime Chinois Kin-Fo vient de se trouver soudainement ruin?. La vie, qui lui paraissait jusqu'alors insipide, lui devient insupportable. Il contracte une assurance vie de 200 000 dollars en faveur de sa fianc?e L?-ou et du philosophe Wang, son mentor et ami ? qui il demande de le tuer dans un d?lai de deux mois, tout en lui remettant une lettre qui l'innocentera de ce meurtre. Avant le d?lai imparti, Kin-Fo recouvre sa fortune, doubl?e. Il n'est plus question pour lui de renoncer ? la vie. Mais Wang a disparu avec la lettre et il n'est pas homme ? rompre une promesse! Voil? donc Kin-Fo condamn? ? mort, par ses propres soins! Une seule ressource: retrouver Wang. Et Kin-Fo de se lancer dans le plus haletant des p?riples au pays du C?leste Empire. R?cit alerte ? l'intrigue parfaitement bien men?e, Les tribulations d'un Chinois en Chine est un des joyaux des " Voyages extraordinaires " du grand Jules Verne.
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Braves Yankees, qui croyaient être au bout de leurs peines!
La journée s'écoula sans incidents, sans accidents.
Toujours même calme de l'atmosphère, même aspect «flou» du ciel. Rien qui fit prévoir un changement dans l'état météorologique. Les eaux de la mer s'étaient immobilisées comme celles d'un lac.
Vers quatre heures, Soun reparut sur le pont, chancelant, titubant, semblable à un homme ivre, bien que de sa vie il n'eût jamais moins bu que pendant ces derniers jours.
Après avoir été violette au début, puis indigo, puis bleue, puis verte, sa face, maintenant, tendait à redevenir jaune.
Une fois à terre, lorsqu'elle serait orangée, sa couleur habituelle, et qu'un mouvement de colère la rendrait rouge, elle aurait passé successivement et dans leur ordre naturel par toute la gamme des couleurs du spectre solaire.
Soun se traîna vers les deux agents, les yeux à demi fermés, sans oser regarder au-delà des bastingages de la Sam-Yep.
«Arrivés?… demanda-t-il.
– Non, répondit Fry.
– Arrivons?…
– Non, répondit Craig.
– Ai ai ya!» fit Soun.
Et, désespéré, n'ayant pas la force d'en dire plus long, il alla s'étendre au pied du grand mât, agité de soubresauts convulsifs, qui remuaient sa natte écourtée comme une petite queue de chien.
Cependant, et d'après les ordres du capitaine Yin, les panneaux du pont avaient été ouverts, afin d'aérer la cale.
Bonne précaution, et d'un homme entendu. Le soleil aurait vite fait d'absorber l'humidité que deux ou trois lames, embarquées pendant le typhon, avaient introduite à l'intérieur de la jonque.
Craig-Fry, en se promenant sur le pont, s'étaient arrêtés plusieurs fois devant le grand panneau. Un sentiment de curiosité les poussa bientôt à visiter cette cale funéraire.
Ils descendirent donc par l'épontille entaillée, qui y donnait accès.
Le soleil dessinait alors un grand trapèze de lumière à l'aplomb même du grand panneau; mais la partie avant et arrière de la cale restait dans une obscurité profonde.
Cependant, les yeux de Craig-Fry se firent bientôt à ces ténèbres, et ils purent observer l'arrimage de cette cargaison spéciale de la Sam-Yep.
La cale n'était point divisée, ainsi que cela se fait dans la plupart des jonques de commerce, par des cloisons transversales. Elle demeurait donc libre de bout en bout; entièrement réservée au chargement, quel qu'il fût, car les rouffles du pont suffisaient au logement de l'équipage.
De chaque côté de cette cale, propre comme l'antichambre d'un cénotaphe, s'étageaient les soixante-quinze cercueils à destination de Fou-Ning. Solidement arrimés, ils ne pouvaient ni se déplacer aux coups de roulis et de tangage, ni compromettre en aucune façon la sécurité de la Jonque.
Une coursive, laissée libre entre la double rangée de bières, permettait d'aller d'une extrémité à l'autre de la cale, tantôt en pleine lumière à l'ouvert des deux panneaux, tantôt dans une obscurité relative.
Craig et Fry, silencieux comme s'ils eussent été dans un mausolée, s'engagèrent à travers cette coursive.
Ils regardaient, non sans quelque curiosité.
Là étaient des cercueils de toutes formes, de toutes dimensions, les uns riches, les autres pauvres. De ces émigrants, que les nécessités de la vie avaient entraînés au-delà du Pacifique, ceux-là avaient fait fortune aux placers californiens, aux mines de la Névada ou du Colorado, en petit nombre, hélas! Les autres, arrivés misérables, s'en retournaient tels. Mais tous revenaient au pays natal, égaux dans la mort. Une dizaine de bières en bois précieux, ornées avec toute la fantaisie du luxe chinois, les autres simplement faites de quatre planches, grossièrement ajustées et peintes en jaune, telle était la cargaison du navire. Riche ou pauvre, chaque cercueil portait un nom que Fry-Craig purent lire en passant: Lien-Fou de Yun-Ping-Fu, Nan-Loou de Fou-Ning, Shen-Kin de Lin-Kia, Luang de Ku-Li-Koa, etc. Il n'y avait pas de confusion possible. Chaque cadavre, soigneusement étiqueté, serait expédié à son adresse, et irait attendre dans les vergers, au milieu des champs, à la surface des plaines, l'heure de la sépulture définitive.
«Bien compris! dit Fry.
– Bien tenu!» répondit Craig.
Ils n'auraient pas parlé autrement des magasins d'un marchand et des docks d'un consignataire de San Francisco ou de New York!
Craig et Fry, arrivés à l'extrémité de la cale, vers l'avant, dans la partie la plus obscure, s'étaient arrêtés et regardaient la coursive, nettement dessinée comme une allée de cimetière.
Leur exploration achevée, ils s'apprêtaient à revenir sur le pont, lorsqu'un léger bruit se fit entendre, qui attira leur attention.
«Quelque rat! dit Craig.
– Quelque rat!» répondit Fry.
Mauvaise cargaison pour ces rongeurs! Un chargement de millet, de riz ou de maïs, eût mieux fait leur affaire!
Cependant, le bruit continuait. Il se produisait à hauteur d'homme, sur tribord, et, conséquemment, à la rangée supérieure des bières. Si ce n'était un grattement de dents, ce ne pouvait être qu'un grattement de griffes ou d'ongles?
«Frrr! Frrr!» firent Craig et Fry.
Le bruit ne cessa pas.
Les deux agents, se rapprochant, écoutèrent en retenant leur respiration. Très certainement, ce grattement se produisait à l'intérieur de l'un des cercueils.
«Est-ce qu'ils auraient mis dans une de ces boîtes quelque Chinois en léthargie?… dit Craig.
– Et qui se réveillerait, après une traversée de cinq semaines?» répondit Fry.
Les deux agents posèrent la main sur la bière suspecte et constatèrent, à ne pouvoir se tromper, qu'un mouvement se faisait dans l'intérieur.
«Diable! dit Craig.
– Diable!» dit Fry.
La même idée leur était naturellement venue à tous deux que quelque prochain danger menaçait leur client.
Aussitôt, retirant peu à peu la main, ils sentirent que le couvercle du cercueil se soulevait avec précaution.
Craig et Fry, en gens que rien ne saurait surprendre, restèrent immobiles, et, puisqu'ils ne pouvaient voir dans cette profonde obscurité, ils écoutèrent, non sans anxiété.
«Est-ce toi, Couo?» dit une voix, que contenait un sentiment d'excessive prudence.
Presque en même temps, de l'une des bières de bâbord, qui s'entrouvrit, une autre voix murmura: «Est-ce toi, Fâ-Kien?»