Le Prisonnier De Zenda
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?crit en 1894, ce court roman d'Anthony Hope est devenu un classique du livre d'aventures outre-manche, m?me s'il reste m?connu en France, malgr? plusieurs adaptations au cin?ma et ? la t?l?vision.
Rudolf Rassendyll, cadet d'une bonne famille anglaise sympathique mais d'un temp?rament peu s?rieux, d?cide d'aller passer quelques jours de vacances en Ruritanie (un royaume fictif style balkanique) qui va bient?t c?l?brer le couronnement de Rudolf V, qui suite ? un scandale ayant eu lieu plus d'un si?cle auparavant, se trouve ?tre le lointain cousin de Rassendyll.
Celui-ci faisant la connaissance du roi au cours d'une petite promenade en for?t la veille du couronnement, s'aper?oit qu'il en est le sosie quasi-parfait. Tr?s amus? par la situation, le futur Rudolf V l'invite ? passer la soir?e dans son pavillon de chasse. Manque de bol, le vilain demi-fr?re de Rudolf, Black Michael, s'arrange pour que le vin du roi soit drogu?, le rendant indisponible pour la c?r?monie du lendemain. Comme on s'en doute, Rassendyll va prendre momentan?ment sa place pour lui sauver la mise, et c'est le d?but des ennuis.
Il y a plusieurs choses excellentes dans ce roman. La premi?re et non des moindres, c'est la suspension d'incr?dulit? ? laquelle l'auteur nous fait parvenir sans probl?me. Parce qu'apr?s le petit r?sum? que vous venez de lire, votre r?action doit ?tre sans doute: "c'est quoi ces conneries? Personne ne va gober quelque chose d'aussi gros".
Eh bien si. La narration est enjou?e, rapide et naturelle, si bien qu'on est entra?n? dans le r?cit sans prendre la peine de se poser des questions et on suit les aventures de Rudolf Rassendyll, un branleur de premi?re classe qui se r?v?le un habile souverain, sans tilter. Autre r?ussite du bouquin, c'est le personnage de Rupert de Hentzau, homme de main de Black Michael, qui se r?v?le plus marquant que son ma?tre. Jeune, plein d'humour et totalement d?nu? de scrupules, Rupert est le genre de m?chant qui semble prendre tellement de plaisir ? l'?tre que ce plaisir en devient contagieux et chacune de ses apparitions vaut son pesant de cacahu?tes.
Le livre trouve une conclusion convenable, m?me si on sent qu'il y a possibilit? d'une suite… Qui existe et s'intitule Rupert De Hentzau. Comme quoi c'est vraiment lui la star.
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XXI La fin d’un rêve. – Dernier adieu
Il faisait nuit. J’étais dans le cachot, au château de Zenda, où le roi avait passé de si tristes semaines. Le grand tuyau que Rupert de Hentzau avait surnommé l’échelle de Jacob avait été enlevé, et la lumière du jour, au-dessus de l’étang, venait en éclairer l’obscurité. Tout était calme; les bruits et les cris de combat s’étaient évanouis.
J’avais passé la journée caché dans la forêt, après que Fritz m’avait entraîné, laissant Sapt avec la princesse. À la tombée de la nuit, bien emmitouflé, on m’avait ramené au château.
Bien que trois hommes fussent morts dans cette cellule, dont deux de ma main, je n’avais pas l’imagination troublée par des fantômes; je m’étais jeté sur un lit de camp, et je regardais couler l’eau des fossés.
Jean, dont la blessure avait été sans gravité, m’apporta à souper et me donna des nouvelles: le roi était mieux; il avait vu la princesse et avait eu un long entretien avec Sapt et Fritz, à la suite duquel le maréchal Strakencz était parti pour Strelsau.
On avait procédé à la cérémonie de la mise en bière du duc Noir. Antoinette de Mauban le veillait. Les chants funèbres, les hymnes, les voix des prêtres, à la chapelle, venaient jusqu’à moi.
Au-dehors, d’étranges rumeurs circulaient. Les uns disaient que le prisonnier de Zenda était mort; d’autres qu’il avait disparu, mais qu’il était bien vivant; d’autres encore, que c’était un ami du roi qui lui avait rendu des services lors d’une aventure en Angleterre; d’autres enfin, que c’est lui qui avait découvert les projets du duc et que c’est pour cette raison qu’il avait été enlevé par lui. Une ou deux personnes plus clairvoyantes secouaient la tête et se contentaient de dire qu’elles ne diraient rien, et qu’on ne saurait pas grand-chose tant que le colonel Sapt se tairait.
Alors je bavardai avec Jean, puis je le renvoyai et demeurai seul, songeant non pas à l’avenir, mais – comme un homme est porté à le faire lorsque des aventures émouvantes viennent de lui arriver – me remémorant les événements de ces dernières semaines et admirant l’étrange façon dont ils s’étaient dénoués. Et au-dessus de moi, dans le silence de la nuit, j’entendais les drapeaux claquant le long de leurs hampes, car le pavillon du duc Noir était maintenant en berne et, par-dessus, flottait l’étendard royal de Ruritanie. Une habitude est si vite prise que je dus faire un effort pour me souvenir que cet étendard ne flotterait plus longtemps pour moi.
Fritz von Tarlenheim entra. J’étais alors près de la fenêtre; la vitre était ouverte et, machinalement, je grattais du doigt le ciment de la maçonnerie qui avait soutenu l’échelle de Jacob.
Il me dit brièvement que le roi désirait me parler et, tous deux, nous traversâmes le pont-levis pour nous rendre dans la chambre qui était autrefois celle du duc Noir. Le roi était couché; notre médecin de Tarlenheim était auprès de lui, et il me recommanda à voix basse de ne pas rester trop longtemps. Le roi me prit la main, qu’il serra. Fritz et le docteur s’étaient retirés au fond de la chambre.
Aussitôt je retirai la bague que je portais encore, et la passai à son doigt.
«J’ai essayé de m’en montrer digne, Sire, fis-je.
– C’est à peine si je puis parler, me répondit-il, d’une voix faible; je suis épuisé: je viens de discuter une heure avec Sapt et le maréchal, car nous avons mis le maréchal dans la confidence. Je voulais vous emmener avec moi à Strelsau, vous garder à la cour, et proclamer bien haut ce que vous aviez fait pour moi. Vous eussiez été mon meilleur et mon plus sûr ami, cousin Rodolphe. Mais on me dit que je ne dois pas le faire, qu’il faut garder le secret sur ce qui s’est passé, si c’est possible.
– On a parfaitement raison, Sire: Votre Majesté doit me laisser partir. J’ai fait ici tout ce que j’avais à faire.
– Et vous l’avez fait comme nul homme ne l’eût fait. Quand on me reverra, j’aurai laissé pousser ma barbe, je serai maigri, dévasté par la maladie. On ne s’étonnera pas de trouver le roi si changé de visage. Cousin, je ferai mon possible pour qu’on ne le trouve pas non plus au moral. Vous m’avez montré comment doit se comporter un roi.
– Sire, interrompis-je, je vous en supplie: pas de compliments; je ne saurais les accepter de vous. C’est une grâce spéciale du ciel que je ne me sois pas montré envers vous plus traître encore que votre frère.»
Il tourna vers moi des yeux interrogateurs; mais tout est effort pour un malade, et déchiffrer des énigmes n’est pas son fait; il n’avait point la force de m’interroger. Ses yeux pourtant s’arrêtèrent un moment sur la bague de Flavie, que je portais à mon doigt. Je crus qu’il allait me faire quelques questions à ce sujet; mais, après avoir joué avec elle quelques instants du bout des doigts, il laissa retomber sa tête sur l’oreiller.»
«Quand vous reverrai-je? fit-il, d’une voix faible, presque indifférente.
– Quand je pourrai être utile à Votre Majesté», dis-je en lui baisant la main.
Ses yeux se fermèrent. Fritz se rapprocha avec le docteur, et je me laissai emmener. Je n’ai jamais revu le roi.
Une fois dehors, Fritz ne reprit pas le chemin du pont-levis, mais s’engagea à gauche, et, sans parler, me conduisit par de vastes corridors jusqu’au château.
«Où allons-nous?» demandai-je.». Fritz, sans oser me regarder, répondit:
«Elle vous a envoyé chercher. Une fois l’entrevue terminée, venez me retrouver à l’entrée du pont, je vous y attendrai.
– Que me veut-elle?» demandai-je, la respiration haletante.
Il secoua la tête.
«Est-ce qu’elle sait tout?
– Oui, tout.»
Il ouvrit une porte, et, me poussant doucement en avant, la referma derrière moi.
Je me trouvais dans un petit salon, richement et élégamment meublé. D’abord je crus que j’étais seul, car la lumière que répandaient deux mauvaises bougies sur la cheminée était assez faible. Mais bientôt je discernai la silhouette d’une femme près de la fenêtre. Je reconnus que c’était la princesse. Je m’avançai, mis un genou en terre, pris la main qui pendait à son côté, et la portai à mes lèvres. Elle ne parla ni ne remua. Je me redressai alors, et, dans la pénombre que mes yeux ardents arrivaient à percer, j’aperçus son visage pâle et le reflet de ses cheveux d’or, et, avant même d’en avoir conscience, je prononçai son nom.
«Flavie!»
Elle eut un sursaut et regarda autour d’elle. Alors elle m’aperçut et me prit les mains. «Ne restez pas ainsi; non, non, il ne faut pas! Vous êtes blessé! Venez vous asseoir, ici…, ici!»
Elle me fit asseoir sur un sofa et mit sa main sur mon front.
«Que votre front est chaud», dit-elle, s’agenouillant près de moi, et, plus bas, elle murmura encore: «Mon ami, que votre front est chaud!»
J’étais venu pour m’humilier, pour obtenir le pardon de ma présomption, et voici que je disais:
«Je vous aime de toute mon âme.
«De toute mon âme et de tout mon cœur, repris-je. Dès le premier jour, quand je vous ai vue dans la cathédrale, il n’y a plus eu au monde qu’une seule femme pour moi, et il n’y en aura jamais d’autre. Mais que Dieu me pardonne le mal que je vous ai fait!
– Ils vous y ont forcé», s’écria-t-elle vivement.
Et elle ajouta, levant la tête et me regardant dans les yeux: «Cela n’aurait rien changé, si je l’avais su. Car c’est bien vous que j’aimais, ce n’a jamais été le roi.
– Je voulais tout vous dire, repris-je, et j’allais le faire le soir du bal, à Strelsau, quand Sapt est venu nous interrompre. Après cela, je n’en ai plus trouvé le courage: trouver le courage de vous perdre avant l’heure! J’ai failli trahir le roi, j’ai risqué sa vie.
– Je sais, je sais. Mais que faire maintenant?
– Je pars cette nuit, répondis-je.
– Oh! non, non, cria-t-elle. Pas cette nuit!
– Il le faut; il faut que je parte avant que trop de gens ne m’aient vu. Et comment voulez-vous que je reste, si je ne…
– Si je pouvais partir avec vous! murmura-t-elle très bas.
– Pour Dieu! fis-je rudement, ne parlez pas de cela!»
Et, durant quelques secondes, je m’éloignai d’elle.
«Et pourquoi pas? Puisque je vous aime. Vous êtes un aussi bon gentilhomme que le roi!»
Alors je faillis à toutes les promesses que je m’étais faites, et je la suppliai, en termes brûlants, de me suivre, défiant toute la Ruritanie de venir l’arracher à moi. Et, pendant un moment, elle m’écouta, les yeux brillants, émerveillés. Mais, comme son regard tombait sur moi, je fus saisi de honte, et ma voix s’éteignit en murmures et en balbutiements, puis je me tus.
Elle se leva et alla s’appuyer contre le mur, tandis que je demeurais assis sur l’extrémité du sofa, tremblant de tous mes membres, me rendant compte de ce que je venais de faire, ayant horreur de mes paroles et sentant qu’il m’eût été impossible de ne pas les prononcer. Un long temps, le silence régna.