La Tempete
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Tragicom?die en cinq actes. Le duc de Milan, Prospero, apr?s avoir ?t? d?chu et exil? par son fr?re, se retrouve avec sa fille Miranda sur une ?le d?serte. Gr?ce ? la magie que lui conf?rent ses livres, il ma?trise les ?l?ments naturels et les esprits, notamment Ariel, esprit positif de l'air et du souffle de vie ainsi que Caliban, ?tre n?gatif symbolisant la terre, la violence et la mort. La sc?ne s'ouvre sur le naufrage, provoqu? par Ariel, d'un navire portant le roi de Naples, son fils Ferdinand ainsi que le fr?re parjure de Prospero, Antonio. Usant de sa magie et de l'illusion, Prospero fera subir aux trois personnages ?chou?s sur l'?le diverses ?preuves destin?es ? les punir de leur tra?trise, mais qui auront ?galement un caract?re initiatique... ?dition Ebooks libres et gratuits.
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ARIEL chante, en aidant Prospero à s'habiller.
Je suce la fleur que suce l'abeille;
J'habite le calice d'une primevère;
Et là je me repose quand les hiboux crient.
Monté sur le dos de la chauve-souris, je vole
Gaiement après l'été.
Gaiement, gaiement, je vivrai désormais
Sous la fleur qui pend à la branche.
PROSPERO.-Oui, mon gentil petit Ariel, il en sera ainsi. Je sentirai que tu me manques; mais tu n'en auras pas moins ta liberté. Allons, allons, allons! vite au vaisseau du roi, invisible comme tu l'es: tu trouveras les matelots endormis sous les écoutilles. Réveille le maître et le bosseman; force-les à te suivre en ce lieu. Dans l'instant, je t'en prie.
ARIEL.-Je bois l'air devant moi, et je reviens avant que votre pouls ait battu deux fois.
(Il sort.)
GONZALO.-Tout ce qui trouble, étonne, tourmente, confond, habite en ce lieu. Oh! que quelque pouvoir céleste daigne nous guider hors de cette île redoutable!
PROSPERO.-Seigneur roi, reconnais le duc outragé de Milan, Prospero. Pour te mieux convaincre que c'est un prince vivant qui te parle, je te presse dans mes bras, et je te souhaite cordialement la bienvenue à toi et à ceux qui t'accompagnent.
ALONZO.-Es-tu Prospero? ne l'es-tu pas? N'es-tu qu'un vain enchantement dont je doive être abusé comme je l'ai été tout à l'heure? Je n'en sais rien. Ton pouls bat comme celui d'un corps de chair et de sang; et depuis que je te vois, je sens s'adoucir l'affliction de mon esprit, qui, je le crains, a été accompagnée de démence.-Tout cela (si tout cela existe réellement) doit nous faire aspirer après d'étranges récits. Je te remets ton duché et te conjure de me pardonner mes injustices. Mais comment Prospero pourrait-il être vivant et se trouver ici?
PROSPERO, à Gonzalo.-D'abord, généreux ami, permets que j'embrasse ta vieillesse, que tu as honorée au delà de toute mesure et de toute limite.
GONZALO.-Je ne saurais jurer que cela soit ou ne soit pas réel.
PROSPERO.-Vous vous ressentez encore de quelques-unes des illusions que présente cette île; elles ne vous permettent plus de croire même aux choses certaines. Soyez tous les bienvenus, mes amis. Mais vous (A part, à Antonio et Sébastien), digne paire de seigneurs, si j'en avais l'envie, je pourrais ici recueillir pour vous de Sa Majesté quelques regards irrités, et démasquer en vous deux traîtres. En ce moment je ne veux point faire de mauvais rapports.
SÉBASTIEN, à part.-Le démon parle par sa voix.
PROSPERO.-Non.-Pour toi, le plus pervers des hommes, que je ne pourrais, sans souiller ma bouche, nommer mon frère, je te pardonne tes plus noirs attentats; je te les pardonne tous, mais je te redemande mon duché, qu'aujourd'hui, je le sais bien, tu es forcé de me rendre.
ALONZO.-Si tu es en effet Prospero, raconte-nous quels événements ont sauvé tes jours. Dis-nous comment tu nous rencontres ici, nous qui depuis trois heures à peine avons fait naufrage sur ces bords où j'ai perdu (quel trait aigu porte avec lui ce souvenir!) où j'ai perdu mon cher fils Ferdinand.
PROSPERO.-J'en suis affligé, seigneur.
ALONZO.-Irréparable est ma perte, et la patience me dit qu'il est au delà de son pouvoir de m'en guérir.
PROSPERO.-Je croirais plutôt que vous n'avez pas réclamé son assistance. Pour une perte semblable, sa douce faveur m'accorde ses tout-puissants secours, et je repose satisfait.
ALONZO.-Vous, une perte semblable?
PROSPERO.-Aussi grande pour moi, aussi récente; et pour supporter la perte d'un bien si cher, je n'ai autour de moi que des consolations bien plus faibles que celles que vous pouvez appeler à votre aide. J'ai perdu ma fille.
ALONZO.-Une fille! vous? O ciel! que ne sont-ils tous deux vivants dans Naples! que n'y sont-ils roi et reine! Pour qu'ils y fussent, je demanderais à être enseveli dans la bourbe de ce lit fangeux où est étendu mon fils! Quand avez-vous perdu votre fille?
PROSPERO.-Dans cette dernière tempête.-Ma rencontre ici, je le vois, a frappé ces seigneurs d'un tel étonnement qu'ils dévorent leur raison, croient à peine que leurs yeux les servent fidèlement, et que leurs paroles soient les sons naturels de leur voix. Mais, par quelques secousses que vous ayez été jetés hors de vos sens, tenez pour certain que je suis ce Prospero, ce même duc que la violence arracha de Milan, et qu'une étrange destinée a fait débarquer ici pour être le souverain de cette île où vous avez trouvé le naufrage.-Mais n'allons pas plus loin pour le moment: c'est une chronique à faire jour par jour, non un récit qui puisse figurer à un déjeuner, ou convenir à cette première entrevue. Vous êtes le bienvenu, seigneur. Cette grotte est ma cour: là j'ai peu de suivants; et de sujets au dehors, aucun. Je vous prie, jetez les yeux dans cet intérieur: puisque vous m'avez rendu mon duché, je veux m'acquitter envers vous par quelque chose d'aussi précieux; du moins je veux vous faire voir une merveille dont vous serez aussi satisfait que je peux l'être de mon duché.
(La grotte s'ouvre, et l'on voit dans le fond Ferdinand et Miranda assis et jouant ensemble aux échecs.)
MIRANDA.-Mon doux seigneur, vous me trichez.
FERDINAND.-Non, mon très-cher amour; je ne le voudrais pas pour le monde entier.
MIRANDA.-Oui, et quand même vous voudriez disputer pour une vingtaine de royaumes, je dirais que c'est de franc jeu.
ALONZO.-Si c'est là une vision de cette île, il me faudra perdre deux fois un fils chéri.
SÉBASTIEN.-Voici le plus grand des miracles!
FERDINAND.-Si les mers menacent, elles font grâce aussi. Je les ai maudites sans sujet.
(Il se met à genoux devant son père.)
ALONZO.-Maintenant, que toutes les bénédictions d'un père rempli de joie t'environnent de toutes parts! Lève-toi; dis, comment es-tu venu ici?
MIRANDA.-O merveille! combien d'excellentes créatures sont ici et là encore! Que le genre humain est beau! O glorieux nouveau monde, qui contient de pareils habitants!
PROSPERO.-Il est nouveau pour toi.
ALONZO.-Quelle est cette jeune fille avec laquelle tu étais au jeu? Votre plus ancienne connaissance ne peut dater de trois heures… Est-elle la déesse qui nous a séparés, et qui nous réunit ainsi?
FERDINAND.-C'est une mortelle; mais, grâce à l'immortelle Providence, elle est à moi: j'en ai fait choix dans un temps où je ne pouvais consulter mon père, où je ne croyais plus que j'eusse encore un père. Elle est la fille de ce fameux duc de Milan dont le renom a si souvent frappé mes oreilles, mais que je n'avais jamais vu jusqu'à ce jour. C'est de lui que j'ai reçu une seconde vie, et cette jeune dame me donne en lui un second père.
ALONZO.-Je suis le sien. Mais, oh! de quel oeil verra-t-on qu'il me faille demander pardon à mon enfant?
PROSPERO.-Arrêtez, seigneur: ne chargeons point notre mémoire du poids d'un mal qui nous a quittés.
GONZALO.-Je pleurais au fond de mon âme, sans quoi j'aurais déjà parlé. Abaissez vos regards, ô dieux, et faites descendre sur ce couple une couronne de bénédiction; car vous seuls avez tracé la route qui nous a conduits ici.
ALONZO.-Je te dis amen, Gonzalo.
GONZALO.-Le duc de Milan fut donc chassé de Milan pour que sa race un jour donnât des rois à Naples. Oh! réjouissez-vous d'une joie plus qu'ordinaire; que ceci soit inscrit en or sur des colonnes impérissables! Dans le même voyage, Claribel a trouvé un époux à Tunis, Ferdinand, son frère, une épouse sur une terre où il était perdu, et Prospero son duché dans une île misérable; et nous tous sommes rendus à nous-mêmes, après avoir cessé de nous appartenir.
ALONZO, à Ferdinand et à Miranda.-Donnez-moi vos mains. Que les chagrins, que la tristesse étreignent à jamais le coeur qui ne bénit pas votre union!
GONZALO.-Ainsi soit-il. Amen.
(Ariel reparaît avec le maître et le bosseman qui le suivent ébahis.)