La Tempete
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Tragicom?die en cinq actes. Le duc de Milan, Prospero, apr?s avoir ?t? d?chu et exil? par son fr?re, se retrouve avec sa fille Miranda sur une ?le d?serte. Gr?ce ? la magie que lui conf?rent ses livres, il ma?trise les ?l?ments naturels et les esprits, notamment Ariel, esprit positif de l'air et du souffle de vie ainsi que Caliban, ?tre n?gatif symbolisant la terre, la violence et la mort. La sc?ne s'ouvre sur le naufrage, provoqu? par Ariel, d'un navire portant le roi de Naples, son fils Ferdinand ainsi que le fr?re parjure de Prospero, Antonio. Usant de sa magie et de l'illusion, Prospero fera subir aux trois personnages ?chou?s sur l'?le diverses ?preuves destin?es ? les punir de leur tra?trise, mais qui auront ?galement un caract?re initiatique... ?dition Ebooks libres et gratuits.
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STEPHANO.-C'est là quelque monstre de l'île, avec quatre jambes. Celui-là, je m'imagine, aura gagné la fièvre. Où diable peut-il avoir appris notre langue? Ne fût-ce que pour cela, je veux lui donner quelque secours. Si je puis le guérir et l'apprivoiser, et lui faire gagner Naples avec moi, c'est un présent digne de quelque empereur que ce soit qui ait jamais marché sur cuir de boeuf.
CALIBAN.-Ne me tourmente pas, je t'en prie; je porterai mon bois plus vite à la maison.
STEPHANO.-Le voilà dans son accès maintenant! il n'est pas des plus sensés dans ce qu'il dit. Il tâtera de ma bouteille: s'il n'a jamais encore goûté de vin, il ne s'en faudra guère que cela ne guérisse son accès. Si je parviens à le guérir et à l'apprivoiser, je n'en demanderai jamais trop cher: il défrayera le maître qui l'aura, et comme il faut.
CALIBAN.-Tu ne me fais pas encore grand mal, mais cela viendra bientôt; je le sens à ton tremblement. Dans ce moment Prospero agit sur toi.
STEPHANO, à Caliban.-Allons, venez; voici qui vous donnera la parole, chat8. Ouvrez la bouche; je peux dire que cela secouera votre tremblement, et comme il faut. (Caliban boit avec plaisir.) Vous ne connaissez pas celui qui est ici votre ami. Allons, ouvrez encore vos mâchoires.
Note 8: Allusion au vieux dicton anglais: Ce vin est si bon qu'il ferait parler un chat.
TRINCULO.-Je crois reconnaître cette voix. Ce pourrait être… Mais il est noyé. Ce sont des diables. O défendez-moi!
STEPHANO.-Quatre jambes et deux voix! un monstre tout à fait mignon; sa voix de devant est sans doute pour dire du bien de son ami, sa voix de derrière pour tenir de mauvais discours et dénigrer. Si tout le vin de mon broc suffit pour le rétablir, je veux médicamenter sa fièvre. Allons, ainsi soit-il! Je vais en verser un peu dans ton autre bouche.
TRINCULO.-Stephano?
STEPHANO.-Comment, ton autre voix m'appelle?-Miséricorde! Miséricorde! ce n'est pas un monstre, c'est un diable. Laissons-le là, je n'ai pas une longue cuiller, moi9.
Note 9: Allusion au proverbe écossais: Qui fait manger le diable a besoin d'une longue cuiller.
TRINCULO.-Stephano? si tu es Stephano, touche-moi, parle-moi. Je suis Trinculo;-ne sois pas effrayé,-ton bon ami Trinculo.
STEPHANO.-Si tu es Trinculo, sors de là, je vais te tirer par les jambes les plus courtes. S'il y a ici des jambes à Trinculo, ce sont celles-là. En effet, tu es Trinculo lui-même: comment es-tu devenu le siège de ce veau de lune10? Rend-il des Trinculos?
Note 10: Toute génération informe et monstrueuse était attribuée à l'influence de la lune.
TRINCULO.-Je l'ai cru tué d'un coup de tonnerre. Mais n'es-tu donc pas noyé, Stephano? Je commence à espérer que tu n'es pas noyé. L'orage a-t-il crevé tout à fait? Moi, dans la peur de l'orage, je me suis caché sous le manteau de ce veau de la lune mort.-Es-tu bien vivant, Stephano? O Stephano? deux Napolitains de réchappés!
STEPHANO.-Je te prie, ne tourne pas autour de moi; mon estomac n'est pas bien ferme.
CALIBAN.-Ce sont là deux beaux objets, si ce ne sont pas des lutins. Celui-ci est un brave dieu qui porte avec lui une liqueur céleste: je veux me mettre à genoux devant lui.
STEPHANO.-Comment t'es-tu sauvé? Comment es-tu arrivé ici? dis-le moi par serment sur ma bouteille, comment es-tu venu ici? Moi, je me suis sauvé sur un tonneau de vin de Canarie que les matelots avaient roulé à grand' peine hors du navire. J'en jure par cette bouteille que j'ai faite de mes propres mains, avec l'écorce d'un arbre, depuis que j'ai été jeté sur le rivage.
CALIBAN.-Je veux jurer sur cette bouteille d'être ton fidèle sujet, car ta liqueur ne vient pas de la terre.
STEPHANO.-Allons, jure: comment t'es-tu sauvé?
TRINCULO.-J'ai nagé jusqu'au rivage, mon ami, comme un canard. Je nage comme un canard; j'en jurerai.
STEPHANO.-Tiens, baise le livre.-Cependant tu ne peux nager comme un canard, car tu es fait comme une oie.
TRINCULO.-O Stephano, as-tu encore de ceci?
STEPHANO.-La futaille entière, mon ami; mon cellier est dans un rocher au bord de la mer: c'est là que j'ai caché mon vin.-Eh bien! maintenant, veau de lune, comment va ta fièvre?
CALIBAN.-N'es-tu pas tombé du ciel?
STEPHANO.-Oui vraiment, de la lune. J'étais de mon temps l'homme qu'on voyait dans la lune.
CALIBAN.-Je t'y ai vu, et je t'adore. Ma maîtresse t'a montré à moi, toi, ton chien et ton buisson.
STEPHANO.-Allons, jure-le, baise le livre; tout à l'heure je le remplirai de nouveau. Jure.
TRINCULO.-Par cette bonne lumière, voilà un sot monstre! moi, avoir peur de lui! un imbécile de monstre! l'homme de la lune! un pauvre monstre bien crédule!-C'est boire net, monstre, sur ma parole.
CALIBAN, à Stephano.-Je veux te montrer dans l'île chaque pouce de terre fertile, et je veux baiser ton pied. Je t'en prie, sois mon dieu.
TRINCULO.-Par cette clarté, le plus perfide et le plus ivrogne des monstres!-Quand son dieu sera endormi, il lui volera sa bouteille.
CALIBAN.-Je baiserai ton pied; je jurerai d'être ton sujet.
STEPHANO.-Eh bien! approche; à terre, et jure.
TRINCULO.-J'en mourrai à force de rire de ce monstre à tête de chien. Un monstre dégoûtant! je me sentirais en goût de le battre…
STEPHANO.-Allons, baise.
TRINCULO.-… Si ce n'était que ce pauvre monstre est ivre. C'est un abominable monstre!
CALIBAN.-Je te conduirai aux meilleures sources, je te cueillerai des baies. Je veux pêcher pour toi et t'apporter du bois à ta suffisance. La peste étreigne le tyran que je sers! je ne lui porterai plus de fagots; mais c'est toi que je servirai, homme merveilleux.
TRINCULO.-Un monstre bien ridicule, de faire une merveille d'un pauvre ivrogne!
CALIBAN.-Je t'en prie, laisse-moi te mener à l'endroit où croissent les pommes sauvages: de mes longs ongles je déterrerai des truffes; je te montrerai un nid de geais, et je t'enseignerai à prendre au piège le singe agile; je te conduirai à l'endroit où sont les bosquets de noisettes, et quelquefois je t'apporterai du rocher de jeunes pingouins. Veux-tu venir avec moi?
STEPHANO.-J'y consens; marche devant nous sans babiller davantage.-Trinculo, le roi et tout le reste de la compagnie étant noyés, nous héritons de tout ici.-(A Caliban.) Viens, porte ma bouteille.-Camarade Trinculo, nous allons tout à l'heure la remplir de nouveau.
CALIBAN chante comme un ivrogne.
Adieu, mon maître; adieu, adieu.
TRINCULO.-Monstre hurlant! ivrogne de monstre!
CALIBAN.
Je ne ferai plus de viviers pour le poisson;
Je n'apporterai plus à ton commandement de quoi faire le feu.
Je ne gratterai plus la table et ne laverai plus les plats,
Ban, ban, Ca… Caliban
A un autre maître, devient un autre homme.
Liberté! vive la joie! vive la joie! liberté! liberté! vive la joie! liberté!
STEPHANO.-Le brave monstre! Allons, conduis-nous.
(Ils sortent.)