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Catherine des grands chemins

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Catherine des grands chemins
Название: Catherine des grands chemins
Дата добавления: 15 январь 2020
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Catherine des grands chemins - читать бесплатно онлайн , автор Бенцони Жюльетта

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C'était une toute petite maison, modeste sous son toit de chaume délavé. Pour ne pas risquer de faire peur aux habitants, Gauthier et Catherine laissèrent leurs montures attachées à un arbre et grimpèrent à pied le raidillon qui menait jusqu'à la porte. Le bruit de leurs pas attira au seuil une vieille paysanne en coiffe jaune, qui tenait à la main une quenouille enveloppée d'osier. Elle devait être très âgée car elle était toute voûtée et, de sa main libre, s'appuyait sur un bâton de cornouiller, mais les yeux qu'elle leva sur les arrivants étaient demeurés jeunes et perçants : deux fleurs de pervenche dans un visage tanné, tout étoilé de rides.

— N'ayez pas peur, bonne mère, dit Gauthier en adoucissant sa voix autant qu'il le pouvait, nous ne vous voulons aucun mal.

Seulement un renseignement.

— Entrez, mes beaux seigneurs, la maison vous est ouverte.

— Nous ne voulons pas vous déranger, dit à son tour Catherine, et nous avons peu de temps.

Tout en parlant, elle se détournait, regardait le paysage étendu à ses pieds. En effet, au-delà de la ligne noire des arbres, on apercevait les ruines de la léproserie. Du geste, elle les désigna.

— Savez-vous ce qui s'est passé là-bas ?

La terreur se peignit sur le visage de la vieille qui se signa plusieurs fois et marmotta des paroles indistinctes, puis :

— C'est un lieu maudit... Il ne faut pas en parler, cela porte malheur.

— Cela dépend, reprit Catherine en tirant une pièce d'or qu'elle fit briller au soleil couchant avant de la glisser dans la main crochue de la vieille. Parlez, bonne mère, et vous en aurez une autre.

La vieille, l'œil incrédule, commença par mordre la pièce pour s'assurer de sa valeur.

— De l'or ! dit-elle. Du bel et bon or ! Voilà bien longtemps que je n'en ai vu. Que voulez-vous savoir, mon jeune damoiseau ?

— Quand la maladrerie a-t-elle brûlé ?

Malgré l'or, la vieille détourna la tête avec une visible répugnance à parler. Elle hésita, serra sa main ridée sur la pièce et, enfin, se décida :

— Dans la nuit de jeudi, les lépreux sont devenus fous. Il faut dire... le moine qui les gardait et veillait sur eux... un saint !... est mort la veille de la piqûre d'une vipère ; quel vacarme ils ont fait ! Tout le jour, on les a entendus pleurer, hurler... comme des démons ! .

« Les montagnes en tremblaient. C'était comme si l'enfer s'était ouvert d'un seul coup... Les gens du village ont eu peur. Ils ont cru que les lépreux allaient sortir, les attaquer.

« Ils ont couru à Carlat demander du secours. Alors les hommes d'armes sont venus... »

Elle s'arrêta, jetant sur les ruines des regards encore effrayés de ce qu'ils avaient vu. De nouveau elle se signa.

— Alors ? demanda Catherine haletante.

Ils .sont arrivés à la nuit, continua la vieille d'une voix qui faiblissait. Les lépreux criaient toujours leur douleur... C'était affreux. Mais après... ç'a été pire !

Catherine se sentait défaillir. Elle s'assit sur un banc de pierre placé contre la chaumière et essuya de sa manche la sueur qui lui coulait du front.

— Par pitié... Achevez !

Les hommes d'armes étaient des soudards, de vrais barbares, lança la vieille avec une soudaine violence. Ils ont barricadé le portail de la maladrerie... et puis ils ont mis le feu.

Un double cri d'horreur lui répondit. Catherine, frappée au cœur, s'était laissée aller contre le mur.

— Arnaud ! gémit-elle... Mon Dieu !

La vieille était lancée, elle poursuivit avec une sorte de rage :

Les soldats étaient ivres parce que les gens du village les avaient fait boire pour qu'ils aient le courage d'aller jusqu'à la maladrerie. Ils hurlaient qu'il fallait détruire ce nid de réprouvés...

que le val devait être purifié... Toute la nuit, cela a brûlé. Mais, avant la minuit, on n'entendait plus crier... rien que le ronflement des flammes.

Elle se tut enfin et il était temps. Catherine défaillait.

Gauthier, vivement, se pencha vers elle, la prit sous le bras.

— Venez, dit-il doucement... Nous allons partir...

Mais, presque insensible, elle demeurait inerte. La vieille la regardait avec curiosité.

Le jeune seigneur semble souffrir. Connaissait-il l'un de ces malheureux ?

Le jeune seigneur est une femme, répliqua Gauthier brièvement. Elle connaissait... en effet, l'un d'eux.

Catherine n'entendait plus rien. Son corps lui semblait fait de pierre et, dans sa tête vide, une seule pensée sonnait comme un battant de cloche.

— Il est mort ! Ils me l'ont tué !

Elle avait tout oublié de ce que lui avait dit Gauthier. Il n'y avait plus, devant ses yeux qui ne voyaient rien, qu'un brasier flambant dans la nuit. Et son cœur lui faisait mal comme si des griffes de fer tentaient de l'arracher de sa poitrine.

La vieille, silencieusement, était rentrée dans sa maison. Elle en ressortit portant une écuelle.

— Tenez, pauvre dame, dit-elle, buvez ça. Ce sont des herbes macérées dans du vin. Cela vous fera du bien.

Catherine but, se sentit un peu mieux et voulut se lever, mais la vieille s'interposa.

— Non, restez. La nuit vient et les chemins ne sont pas sûrs. Si personne ne vous attend, restez jusqu'au matin... J'ai peu de choses à vous offrir, mais je l'offre simplement.

Gauthier consulta seulement le visage pâle de la jeune femme qui paraissait ne se soutenir qu'à peine. Elle était incapable de retourner à Montsalvy cette nuit.

— Nous resterons, dit-il simplement. Merci à vous.

Toute la nuit, Gauthier la passa au chevet du matelas de paille sur lequel Catherine, étendue, cherchait en vain le sommeil. Toute la nuit il essaya de faire passer dans l'âme meurtrie de la jeune femme la confiance qui habitait la sienne. Il redit, il répéta sans se lasser, toujours les mêmes choses. Catherine n'avait pas vu de fantôme. Elle avait vu Arnaud lui-même, échappé sans doute à l'incendie avec l'aide de Fortunat... et les deux hommes avaient dû fuir en prenant les chevaux. Mais elle ne voulait plus le croire. Arnaud n'avait aucune raison de fuir Montsalvy. Là, il pouvait, au moins, chercher refuge chez Saturnin qui, malgré la peur du mal, l'eût accueilli... Non, rétorquait Gauthier, le maître craignait trop de contaminer les siens.

S'il avait approché sa mère, c'est parce qu'il la savait mourante... et Fortunat, peut- être, l'avait conduit à une autre maladrerie. On disait que, vers Conques, il en existait une...

— Ne désespérez pas, dame Catherine... Nous allons rentrer à Montsalvy et, dans quelques jours, vous verrez revenir Fortunat.

Croyez-moi.

— Je voudrais bien te croire, soupirait Catherine, mais je n'ose pas. Tant de fois, j'ai été déçue.

— Je sais. Mais avec du courage, de l'obstination, on peut venir à bout de l'adversité. Un jour, dame Catherine, vous aussi...

— Non. Ne dis plus rien. J'essayerai d'être raisonnable...

J'essayerai de te croire...

Mais elle n'y parvenait pas. Le jour levant la trouva aussi abattue, aussi désespérée. Elle remercia généreusement la vieille paysanne de son hospitalité puis, dans une gloire de soleil qui blessait à la fois ses yeux las et son cœur lourd, elle reprit avec Gauthier le chemin de Montsalvy.

Du magnifique paysage de la vallée de la Truyère avec ses vertes pentes boisées Catherine ne vit rien. Elle chevauchait, le dos rond, les yeux mi-clos, traînant son cœur comme un boulet. La vision de l'autre nuit l'avait tellement persuadée de la mort d'Arnaud que le monde entier, tout à coup, avait perdu sa couleur. Elle ne voyait ni l'exubérante verdure des arbres, ni les fleurs des champs, ni les haies fleuries, ni l'éclat du soleil. C'était comme si quelque chose était mort en elle. Son esprit vide ne trouvait même plus une prière pour implorer du ciel un secours quelconque. A deux doigts du blasphème, Catherine ne pensait à Dieu que pour l'accuser d'injuste cruauté. De quel prix ne lui faisait-il pas payer chacune des faveurs qu'il lui accordait si parcimonieusement ?

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