La fille du train
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Depuis la banlieue o? elle habite, Rachel prend le train deux fois par jour pour aller et revenir de Londres. Chaque jour elle est assise ? la m?me place et chaque jour elle observe une jolie maison. Cette maison, elle la conna?t par coeur, elle a m?me donn? un nom ? ses occupants qu'elle aper?oit derri?re la vitre : Jason et Jess. Un couple qu'elle imagine parfait, heureux, comme Rachel a pu l'?tre par le pass? avec son mari, avant qu'il ne la trompe, avant qu'il ne la quitte. Mais un matin, elle d?couvre un autre homme que Jason ? la fen?tre. Que se passe-t-il ? Jess tromperait-elle son mari ? Quelques jours plus tard, c'est avec stupeur qu'elle d?couvre la photo de Jess ? la une des journaux. La jeune femme, de son vrai nom Megan Hipwell, a myst?rieusement disparu...
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— Ce n’est pas possible, Rachel. Tu sais qu’il n’a pas pu faire ça. Tu ne pourrais pas aimer un homme capable d’une telle chose, après tout ?
— Et pourtant, je l’ai aimé, dit-elle. Nous l’avons aimé toutes les deux.
Des larmes coulent sur ses joues. Elle les essuie et, à cet instant, quelque chose change dans son visage et elle devient toute blanche. Ce n’est plus moi qu’elle regarde, ses yeux fixent quelque chose par-dessus mon épaule et, quand je me retourne, je le vois à la fenêtre de la cuisine, qui nous observe.
MEGAN
Vendredi 12 juillet 2013
Matin
Elle m’a forcé la main. Ou peut-être « il ». Mes tripes me soufflent que c’est une « elle ». Ou mon cœur, je ne sais pas. Je la sens, comme je l’ai sentie la fois d’avant, une graine dans sa cosse, mais cette graine-là sourit. Elle attend son heure. Je ne peux pas la détester. Et je ne peux pas m’en débarrasser. Impossible. Je pensais que j’en serais capable, je pensais que je voudrais l’arracher de là au plus vite, mais, quand je pense à elle, je ne vois plus que le visage de Libby, ses yeux noirs. Je respire l’odeur de sa peau. Je me souviens à quel point elle était froide, à la fin. Je ne peux pas me débarrasser d’elle. Je ne veux pas. Je veux l’aimer.
Je ne peux pas la détester, mais elle me fait peur. J’ai peur de ce qu’elle va me faire, ou de ce que je vais lui faire. C’est cette peur qui m’a réveillée en sursaut peu après cinq heures, ce matin, trempée de sueur malgré la fenêtre ouverte, et le fait que je suis seule. Scott est à une conférence dans le Hertfordshire, ou l’Essex, ou je-ne-sais-où. Il revient ce soir.
Qu’est-ce que c’est, mon problème ? Pourquoi ai-je toujours envie d’être seule quand il est là, alors que je ne peux pas supporter son absence ? Je ne supporte pas le silence. Je me mets à parler à voix haute uniquement pour le combler. Ce matin, dans mon lit, je n’arrêtais pas de me dire… et si la même chose se produit ? Qu’est-ce qui va se passer quand je serai seule avec elle ? Qu’est-ce qui va m’arriver s’il ne veut pas de moi, de nous ? Et qu’est-ce qui se passera s’il devine qu’elle n’est pas de lui ?
Mais, après tout, elle l’est peut-être. Je ne sais pas, j’ai juste le sentiment que non. Comme j’ai le sentiment que c’est une « elle ». Et même si elle n’est pas de lui, comment le saurait-il ? Non, impossible. Je raconte n’importe quoi. Il sera tellement heureux quand je lui annoncerai, fou de joie. L’idée qu’elle n’est pas de lui ne lui traversera même pas l’esprit. Et ce serait cruel de le lui dire, ça lui briserait le cœur, et je ne veux pas lui faire de mal. Je n’ai jamais voulu lui faire de mal.
Je suis comme ça, je n’y peux rien.
— Mais tu restes tout de même responsable de tes actes.
C’est ce que dit Kamal.
J’ai appelé Kamal un peu après six heures. Le silence s’affaissait de plus en plus sur moi et je commençais à paniquer. J’ai songé à appeler Tara – je savais qu’elle accourrait –, mais je ne pensais pas pouvoir le supporter, elle aurait été trop collante, à vouloir me protéger. Je ne voyais pas qui d’autre contacter, à part Kamal. Je l’ai appelé chez lui. Je lui ai dit que j’avais des ennuis, que je ne savais pas quoi faire, que ça n’allait pas du tout. Il est venu immédiatement. Pas sans poser de questions, mais presque. J’ai peut-être donné l’impression que c’était plus grave que ça ne l’était. Peut-être qu’il a eu peur que je « fasse une bêtise ».
Nous sommes dans la cuisine. Il est encore tôt, à peine sept heures et demie passées. Il va bientôt devoir partir s’il veut arriver à l’heure pour son premier rendez-vous. Je le regarde, assis en face de moi à la table de la cuisine, les mains sagement posées l’une sur l’autre devant lui, ses yeux doux concentrés sur moi, et je sens son amour. Vraiment. Il a été tellement gentil avec moi, malgré les saletés que j’ai faites.
Il a pardonné tout ce qui s’est passé avant, comme je l’espérais. Il a balayé tous mes péchés. Il m’a dit que, tant que je ne me pardonnais pas à moi-même, cela ne cesserait pas, que je ne pourrais jamais m’arrêter de courir. Et je ne peux plus courir, à présent ! Pas maintenant qu’elle est là.
— J’ai peur, lui dis-je. Et si je recommence à faire n’importe quoi ? Et si j’ai un problème ? Si ça se passe mal avec Scott ? Et si je finis encore toute seule ? Je ne sais pas si j’en suis capable, j’ai trop peur d’être à nouveau seule – je veux dire, seule avec un enfant…
Il se penche et pose une main sur la mienne.
— Tu ne feras pas n’importe quoi, je te l’assure. Tu n’es plus une enfant endeuillée, perdue. Tu es quelqu’un de complètement différent. Plus forte. Tu es une adulte, désormais. Tu n’as pas à craindre d’être seule. Ce n’est pas ce qui peut arriver de pire, n’est-ce pas ?
Je ne réponds pas, mais je ne peux pas m’empêcher de me demander si ce n'est pas pourtant ce qui peut arriver de pire. Parce que, quand je ferme les yeux, j’arrive à conjurer le sentiment qui m’envahit quand je suis au bord du sommeil, celui qui me ramène violemment à la conscience. C’est le sentiment d’être seule dans une maison plongée dans le noir, à guetter ses pleurs, dans l’attente d’entendre les pas de Mac sur le parquet du rez-de-chaussée, tout en sachant pertinemment qu’ils ne viendront jamais.
— Je ne peux pas te dicter ta décision pour Scott. Ta relation avec lui… Bon, je t’ai déjà dit ce qui m’inquiétait, mais c’est à toi de choisir ce que tu veux faire. Pour toi-même. C’est à toi de voir si tu lui fais confiance, si tu veux qu’il prenne soin de toi et de ton bébé. Il faut que ce soit ta décision. Mais je pense que tu peux avoir confiance en toi, Megan. Tu sauras faire le bon choix.
Dehors, sur la pelouse, il m’apporte une tasse de café. Je la pose et j'enroule mes bras autour de lui, je le rapproche de moi. Derrière nous, un train arrive bruyamment au niveau du feu de signalisation. Le bruit crée comme une barrière, un mur qui nous entoure, et j’ai la sensation que nous sommes enfin vraiment seuls. Il met ses bras autour de moi et m’embrasse.
— Merci, dis-je. Merci d’être venu, d’être là.
Il sourit, s’éloigne de moi, et me frotte la joue de son pouce.
— Tu vas très bien t’en sortir, Megan.
— Est-ce que je pourrais m’enfuir avec toi ? Toi et moi… est-ce qu’on ne pourrait pas simplement s’enfuir ensemble ?
Il rit.
— Tu n’as pas besoin de moi. Ni de continuer à t’enfuir. Tout ira bien. Toi et ton bébé, vous vous en sortirez très bien.
Samedi 13 juillet 2013
Matin
Je sais ce que j’ai à faire. J’y ai réfléchi toute la journée d’hier, et toute la nuit, aussi. Je n’ai presque pas dormi. Scott est rentré épuisé et d’une humeur de chien. Tout ce qu’il voulait, c’était manger, baiser et dormir. Pas le temps pour autre chose. Ce n’était certainement pas le bon moment pour parler de ça.
Je suis restée éveillée la majeure partie de la nuit, avec lui qui s’agitait à mes côtés, trop chaud. J’ai pris ma décision. Je vais faire le bon choix. Je vais tout faire comme il faut. Si je fais tout comme il faut, alors il ne pourra rien m’arriver. Ou, en tout cas, s’il arrive quelque chose, ça ne pourra pas être ma faute. Je vais aimer cet enfant, et je vais l’élever en sachant que j’aurai tout fait comme il faut dès le début. Bon, d’accord, peut-être pas depuis le tout début, mais dès le moment où j’ai su qu’elle était là. Je dois au moins ça à ce bébé, et je dois au moins ça à Libby. Je lui dois de tout faire différemment, cette fois.
Je reste allongée là et je pense à ce que ce professeur m’avait dit, à tout ce que j’ai été : enfant, adolescente rebelle, fugueuse, pute, amante, mauvaise mère, mauvaise épouse. Je ne sais pas si je peux me transformer en bonne épouse, mais en bonne mère, ça, je me dois d’essayer.
Ça va être dur. Ça risque même d’être la chose la plus difficile que j’aie jamais eu à faire, mais je vais dire la vérité. Finis les mensonges, les secrets, finie la fuite, finies les conneries. Je vais tout faire éclater au grand jour et, ensuite, on verra. S’il ne peut plus m’aimer après ça, eh bien d’accord.