Maximilien Heller
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"Le roman populaire a donn? naissance au roman policier, et cette transition s'op?re sous nos yeux comme par magie, gr?ce ? un auteur presque oubli?, Henry Cauvain (1817 – 1899) et ? son merveilleux roman Maximilien Heller. Ce r?cit est excellent, entre autres raisons, parce qu'il est relativement bref et ne s'encombre d'aucune intrigue amoureuse. Il comporte un criminel de g?nie, un crime en chambre close remarquablement expliqu? compte tenu de l'?poque, et un enqu?teur r?solument priv?!On peut y faire des comparaisons amusantes. Heller aime les chats, comme Sherlock Holmes. Il prend de l'opium pour s'endormir – comme Holmes. Comme lui, il proc?de par d?ductions logiques. Il a un confident qui raconte l'histoire, et qui est m?decin, comme le Watson de Holmes… Tout pourrait laisser croire que Cauvain, imbib? de Gaboriau, a ?galement lu Conan Doyle et lui a emprunt? personnages, techniques et d?tails! Or Maximilien Heller date de 1871, alors que la premi?re aventure de Sherlock Holmes ne sera publi?e que seize ans plus tard!"
Les aventures d'un d?tective amateur sur les traces de Sherlock Holmes: comme lui, il a une forte personnalit?, une facult? de concentration intellectuelle extraordinaire qui souvent l'emp?che de dormir: c'est pourquoi il prend de l'opium.
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Je m’approchai alors des bocaux où étaient contenus les viscères afin de les découvrir; mais l’Anglais me prévint et défit avec une sorte d’impatience la couverture cachetée.
Je remarquai qu’il garda ses gants blancs, tout en se livrant à ce travail.
«Messieurs, dit-il d’une voix solennelle en s’adressant aux magistrats, mais sans lever les yeux, vous connaissez sans doute les effets de cet appareil. Je vais diriger un jet de gaz contre ces vitres. S’il y a de l’arsenic dans la portion des viscères que j’ai enfermée dans le flacon, la vitre se noircira aussitôt.»
Il s’avança vers la fenêtre voisine de celle où se tenait caché le philosophe et dirigea le jet de gaz enflammé sur la vitre.
Nous ne pûmes réprimer une exclamation de surprise. Le verre s’était soudainement couvert de taches noires. En même temps une forte odeur d’ail se répandait dans la chambre et révélait la présence du toxique.
Mon pauvre professeur était battu du premier coup! Le juge d’instruction fixa sur moi un regard poliment ironique:
«Oh! oh! dit-il, voilà qui est grave, et bien en faveur de l’accusation!
– Cette expérience ne sera concluante à mes yeux, fis-je observer, que si on me permet de la recommencer moi-même.»
L’Anglais, que son succès avait laissé impassible, me tendit le flacon avec un geste plein de grâce.
Je fis l’expérience: la vitre se noircit encore et avec une intensité qui prouvait l’abondance de la substance toxique. Je recommençai trois ou quatre fois: même résultat.
Le rideau derrière lequel se trouvait Maximilien Heller remua légèrement. Je tressaillis, car il me sembla que l’œil de l’Anglais s’était un instant fixé avec inquiétude de ce côté. Ce ne fut qu’un éclair, car il reprit son sourire habituel, et se tournant vers les magistrats: «Il me semble cette fois que l’expérience est décisive, dit-il. Et veuillez remarquer, ajouta-t-il avec un certain air de triomphe, que je me suis servi de l’appareil du docteur B…
– Je n’ai rien à objecter, fis-je assez vexé de ce résultat si prompt et si inattendu.
– Alors, Monsieur, dit le procureur du roi qui prenait pour la première fois la parole, vous êtes prêt à signer le procès-verbal et le rapport qui conclut à la présence du poison dans le corps du défunt?»
Je m’inclinai en signe d’assentiment.
«Greffier, continua le magistrat en se tournant vers un petit bonhomme noir qui griffonnait dans un coin, veuillez apporter le rapport et le procès-verbal: ces messieurs vont les signer.»
Le docteur Wickson signa – sans ôter ses gants – et je signai à mon tour. L’Anglais paraissait avoir peine à contenir la joie intérieure qu’il ressentait.
Il me salua gravement et je lui rendis son salut d’assez mauvaise grâce. Avant de sortir, Wickson me chargea encore une fois de vouloir bien assurer M. B… de toute sa respectueuse sympathie.
«Monsieur de Ribeyrac, dit en sortant le juge d’instruction à son majestueux collègue, vous venez déjeuner avec moi, n’est-ce pas? Je meurs de faim.»
Ce jour-là, les étudiants qui fréquentaient le cours de M. B… ne surent à quoi attribuer les distractions continuelles, l’agitation fébrile et la mauvaise humeur de leur vieux professeur.
Je fis quelques pas sur le palier, à la suite de ces messieurs, et les saluai une dernière fois.
M. Prosper les reconduisit jusqu’à la porte, puis revint vers moi d’un air mystérieux; il grillait de savoir ce qui s’était passé: mais je ne crus pas devoir l’en informer.
«J’ai quelques dispositions dernières à prendre, lui dis-je en remontant l’escalier. Veuillez me laisser seul encore une demi-heure dans le cabinet où est le corps.
– Comment donc! Monsieur; restez aussi longtemps qu’il vous sera agréable, me dit le petit intendant de son ton mielleux. Moi, je monte dans la chambre de M. Bréhat-Kerguen…, pour voir si rien ne lui manque. Il a fermé sa porte à double tour, le vieux madré, et m’a fait jurer que je n’avais pas une seconde clef… Eh! eh! continua-t-il en tirant un trousseau de clefs de sa poche, je le lui ai juré. Mais il faut tout de même que je jette un coup d’œil dans sa chambre: M. Castille m’a bien recommandé de ne pas laisser détériorer l’immeuble de la succession.»
Au moment où j’ouvris la porte du cabinet, le petit vieillard, dont décidément le défaut dominant était une incroyable curiosité, glissa un regard dans la pièce, pour s’assurer que Maximilien Heller était toujours là, puis il secoua la tête de l’air d’un homme qui se dit: «J’ai eu une lubie», et grimpa au second étage.
Le philosophe avait quitté sa cachette et examinait minutieusement les bocaux et le flacon qui avaient servi à l’expertise.
Il releva lentement la tête et me dit avec un étrange sourire:
«Allons! vous n’avez pas été heureux, docteur, et décidément il y a empoisonnement… Mais aussi pourquoi diable ne lui avez-vous pas fait ôter ses gants?»
Je le regardai, étonné de cette question.
«Venez ici», me dit-il.
Il m’indiqua du doigt le bord de la table.
«Eh bien?
– Regardez… plus près… ne voyez-vous rien à cette place?»
Je distinguai sur le bois quelques grains d’une fine poussière blanche.
«De l’arsenic! fis-je stupéfait.
– Justement, reprit Maximilien. Or, comment pouvez-vous expliquer la présence du poison sur cette table? Ce n’est pas vous qui l’y avez mis, n’est-ce pas? Donc… c’est l’autre!
– Voilà un singulier soupçon!
– Avez-vous remarqué qu’il a gardé ses gants pendant l’opération?
– Oui.
– Avez-vous remarqué qu’il a fréquemment posé, par un geste machinal, sa main droite à cette même place où vous voyez la poussière blanche? qu’à un certain moment, il a porté la main à ses lèvres, puis l’en a éloignée par un vif mouvement de répulsion?
– Non.
– C’est juste… vous n’étiez pas ici en observation… Mais je l’ai remarqué, moi, ainsi que plusieurs autres choses singulières; comme celle-ci, par exemple: pourquoi a-t-il voulu déboucher lui-même les bocaux? pourquoi a-t-il coupé lui-même les viscères avec des ciseaux tirés de sa propre trousse? Vous avez eu, docteur, en sa bonne foi une confiance qui d’ailleurs vous honore, mais qui, selon moi, était mal placée.
– Ainsi, vous croyez…
– Je crois, ou plutôt je suis persuadé que la justice et vous êtes tombés dans un piège. Cet homme avait mis de l’arsenic dans ses gants, dont sans doute l’extrémité était percée; il empoisonnait tout ce qu’il touchait.