Ensemble, cest tout
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"Et puis, qu'est-ce que ?a veut dire, diff?rents ? C'est de la foutaise, tonhistoire de torchons et de serviettes... Ce qui emp?che les gens de vivreensemble, c'est leur connerie, pas leurs diff?rences... " Camille dessine.Dessinais plut?t, maintenant elle fait des m?nages, la nuit. Philibert, aristopur jus, h?berge Franck, cuisinier de son ?tat, dont l'existence tourne autourdes filles, de la moto et de Paulette, sa grand-m?re. Paulette vit seule, tombebeaucoup et cache ses bleus, paniqu?e ? l'id?e de mourir loin de son jardin. Cesquatre l? n'auraient jamais d? se rencontrer. Trop perdus, trop seuls, tropcaboss?s... Et pourtant, le destin, ou bien la vie, le hasard, l'amour -appelez?a comme vous voulez -, va se charger de les bousculer un peu. Leur histoire,c'est la th?orie des dominos, mais ? l'envers. Au lieu de se faire tomber, ilss'aident ? se relever."
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— À quoi tu penses ? lui demanda-t-il.
— À ton nom... J'ai lu l'autre jour dans un vieux dictionnaire qu'un estafier était un grand valet de pied qui suivait un homme à cheval et qui lui tenait l'étrier...
— Ah?
— Oui.
— Un larbin, quoi...
— Franck Lestafier ?
— Présent.
— Quand tu ne dors pas avec moi, tu dors avec qui?
- ...
— Tu leur fais les mêmes choses qu'à moi ? ajouta-t-elle en se mordant la lèvre.
— Non.
Ils se donnèrent la main en remontant à la surface.
La main, c'est bien.
Ça n'engage pas trop celui qui la donne et ça apaise beaucoup celui qui la reçoit...
L'endroit était un peu tristoune.
Ça sentait son collier de barbe, ses Fanta tièdes et ses rêves de gloire mal emboutis. Des affiches jaune fluo annonçaient la tournée triomphale de Ramon Riobambo et son orchestre en peau de lama. Camille et Franck prirent leurs billets et n'eurent que l'embarras du choix pour trouver une place...
Peu à peu la salle se remplit tout de même. Ambiance kermesse et patronage. Les mamans s'étaient faites belles et les papas vérifiaient les piles de leur caméscope.
Comme à chaque fois qu'il était énervé, Franck bran-douillait du pied. Camille posa sa main sur son genou pour le calmer.
— Savoir que mon Philou va se retrouver tout seul en face de tous ces gens, ça me tue... Je crois que je vais pas supporter... Imagine qu'il ait un trou de mémoire... Imagine qu'y se mette à bégayer... Pff... Il sera encore bon à ramasser à la petite cuillère...
— Chut... Tout va bien se passer...
— S'il y en a un seul qui ricane, je te jure, je lui saute dessus et je le bute...
— Du calme...
— Du calme, du calme ! J'aimerais bien t'y voir, toi ! T'irais faire le mariole, là, devant tous ces inconnus ?
D'abord, ce fut le tour des enfants. Du Scapin, du Queneau, du Petit Prince et de la rue Broca, en voulais-tu, en voilà.
Camille n'arrivait pas à les dessiner, elle s'amusait trop.
Ensuite une grappe d'ados dégingandés en cours de rénsertion expérimentale vinrent râper leur existentialisme en secouant de lourdes chaînes en plaqué or.
— Yô Men, mais qu'est-ce qu'y z'ont sur la tête? s'inquiéta Franck, des collants ou quoi ?
Entracte.
Merde. Le Fanta tiède et toujours pas de Philibert à l'horizon...
Quand l'obscurité revint, une fille insensée fit son apparition.
Haute comme trois pommes, elle portait des Converses roses customisées new look, des collants rayés multicolores, une minijupe en tulle vert et un petit blouson d'aviateur recouvert de perles. La couleur de ses cheveux était assortie à celle de ses chaussures.
Une elfe... Une poignée de confettis... Le genre de fofolle émouvante que l'on aimait du premier coup d'oeil ou que l'on ne comprendrait jamais.
Camille se pencha et vit que Franck souriait bêtement.
— Bonsoir... Alors euh... Voilà... Je... J'ai beaucoup réfléchi à la façon dont j'allais pouvoir vous présenter le... Le numéro suivant et finalement, j'ai... J'ai pensé que... Le mieux serait encore de... de vous raconter notre rencontre...
— Oh, oh... ça bégaye. C'est pour nous, ça... murmura-t-il
— Alors euh... C'était l'année dernière à peu près...
Elle agitait ses bras dans tous les sens.
— Vous savez que j'anime des ateliers pour les enfants à Beaubourg et euh... Je l'ai repéré parce qu'il était toujours en train de tourner autour de ses tourniquets pour compter et recompter ses cartes postales... À chaque fois que je passais, je m'arrangeais pour le surprendre et ça ne ratait pas : il était en train de recompter ses cartes en gémissant. Que... Comme Chaplin, vous voyez ? Avec cette espèce de grâce qui vous prend à la gorge... Quand vous ne savez plus si vous devez rire ou pleurer... Quand vous ne savez plus rien... Quand vous restez, là, toute bête, avec le cœur en aigre-doux... Un jour, je l'ai aidé et je... Je l'ai bien aimé, quoi... Vous aussi, vous verrez... On ne peut pas ne pas l'aimer... Ce garçon, c'est... C'est toutes les lumières de la ville à lui tout seul...
Camille broyait la main de Franck.
— Ah ! Encore une chose... Quand il s'est présenté la première fois, il m'a dit : « Philibert de la Durbellière » alors, moi, normale, polie, je lui ai répondu pareil, géographiquement : « Suzy... euh... de Belle-ville... » « Ah ! s'est-il exclamé, vous êtes une descendante de Geoffroy de Lajemme de Belleville qui combattit les Habsbourg en 1672 ? » Ouh là ! « Nan, j'ai bafouillé, de... de Belleville de... de Paris quoi... » Eh bien vous savez le pire ? Il n'était même pas déçu...
Elle sautillait.
— Alors voilà, tout est là, tout est dit. Et je vous demande de l'applaudir très fort...
Franck siffla entre ses doigts.
Philibert entra pesamment. En armure. Avec la cotte de mailles, l'aigrette au vent, la grande épée, le bouclier et toute la quincaille.
Frissons dans l'assistance.
Il se mit à parler mais on ne comprenait rien.
Au bout de quelques minutes, un gamin s'est approché avec un tabouret pour lui soulever sa visière.
L'autre, imperturbable, devint enfin audible.
Esquisses de sourires.
On ne savait pas encore si c'était du lard ou du cochon...
Philibert commença alors un strip-tease génial. À chaque, fois qu'il retirait un morceau de ferraille, son petit page le nommait bien fort :
— Le casque... Le bassinet... Le gorgerin... Le colletin... Le plastron... La pansière... Les cubitières... Le gantelet... Les cuissards... Les genouillères... Les jambières...
Complètement désossé, notre chevalier finit par s'affaisser et le gosse lui retira ses « chaussures ».
— Les solerets, annonça-t-il enfin, en les soulevant au-dessus de sa tête et en se bouchant le nez.
Vrais rires cette fois.
Rien ne vaut un bon gros gag pour chauffer une salle...
Pendant ce temps, Philibert, Jehan, Louis-Marie, Georges Marquet de la Durbellière détaillait, d'une voix monocorde et blasée, les branches de son arbre généalogique en énumérant les faits d'armes de sa prestigieuse lignée.
Son papy Charles contre les Turcs avec Saint Louis en 1271, son pépé Bertrand dans les choux à Azincourt en 1415, son tonton Bidule à la bataille de Fontenoy, son pépé Louis sur les berges de la Moine à Cholet, son grand-oncle Maximilien aux côtés de Napoléon, son arrière-grand-père sur le Chemin des Dames et son grand-père maternel prisonnier des boches en Poméranie.
Avec moult et moult détails. Les gosses ne pipaient pas mot. L'Histoire de France en 3 D. Du grand art.
— Et la dernière feuille de l'arbre, conclut-il, la voilà.
Il se releva. Tout blanc et tout maigrelet, seulement vêtu d'un caleçon imprimé de fleurs de lys.
— C'est moi, vous savez ? Celui qui compte ses cartes postales...
Son page lui apporta une capote militaire.
— Pourquoi ? les interrogea-t-il. Pourquoi, diantre, le dauphin d'un tel convoi compte et recompte des bouts de papier dans un lieu qu'il abhorre ? Eh bien, je vais vous le dire...
Et là, le vent tourna. Il raconta sa naissance cafouilleuse parce qu'il se présentait mal, « déjà... », soupira-t-il, et que sa mère refusait d'aller dans un hôpital où l'on pratiquait des avortements. Il raconta son enfance coupée du monde pendant laquelle on lui apprenait à garder ses distances d'avec le petit peuple. Il raconta ses années de pensionnat avec son Gaffiot comme fer de lance et les innombrables mesquineries dont il fut la victime, lui qui ne connaissait des rapports de force que les mouvements lents de ses soldats de plomb...
Et les gens riaient.
Ils riaient parce que c'était drôle. Le coup du verre de pipi, les railleries, les lunettes jetées dans les cabinets, les provocations à la branlette, la cruauté des petits paysans de Vendée et les consolations douteuses du surveillant. La blanche colombe, les longues prières du soir pour pardonner à ceux qui nous avaient offensés et ne pas nous soumettre à la tentation et son père qui lui demandait chaque samedi s'il avait su tenir son rang et faire honneur à ses ancêtres pendant qu'il se trémoussait parce qu'on lui avait encore passé la bis-touquette au savon noir.