Metaphysique des tubes
Metaphysique des tubes читать книгу онлайн
"M?taphysique des tubes" est une autobiographie ?crite par Am?lie Nothomb. Dans ce livre l'auteur nous d?crit sa vie de l'age de 0 ? 3 ans avec un style simple et dr?le. M?me si le d?but du texte para?t ? premi?re vue compliqu?, il ne faut surtout pas s'arr?ter ? cet obstacle car la suite est vraiment passionnante.
Au d?but, l'auteur nous expose une th?orie selon laquelle Dieu serait un tube et nous explique alors le titre de son ?uvre: l'auteur veut rechercher au del? des apparences des r?ponses sur son existence, la vie, Dieu…
A sa naissance l'auteur d?finit sa vie comme celle d'un Dieu ou plut?t d'un tube: elle existe, mais ne ressent aucun manque et est le centre de l'univers. L'enfant (ou le tube) ne bouge pas, ne crie pas, ses parents l'appellent donc " la plante " en r?f?rence au l?gume qu'il ?tait. Cet ?tat presque l?thargique va ?tre suivi d'un ?tat tr?s diff?rent o? le b?b? cri, hurle, tape pour exprimer son m?contentement, sa frustration. En effet, il s'aper?oit qu'il n'est plus le centre du monde, qu'il n'a plus le pouvoir absolu d'exister car il ne peut pas parler, il a beau crier aucune personne n'a l'air de le comprendre, il n'impose pas son pouvoir.
Puis un jour, l'enfant rena?t par la gr?ce d'un bout de chocolat blanc tendu par sa grand-m?re. En r?alit?, l'enfant revit car il a d?couvert qu'il a de l'emprise, du pouvoir sur ce b?ton de chocolat, car en le mangeant celui-ci devient du plaisir. A partir de cette renaissance l'enfant retrouve une vie " normale " mais ne cesse pas d'?tre un Dieu car au Japon un enfant de moins de 3 ans est consid?r? comme tel.
C'est ? partir de ce moment, que l'auteur arr?te de baser son r?cit sur des souvenirs ?voqu?s par ses parents et utilise ses propres souvenirs. La partie qu'on appellera vie post-natale [car l'auteur ne consid?re pas ?tre n? avant l'?v?nement du chocolat], ne prend qu'une courte place dans l'?uvre. Ainsi 2 ans et demi de la vie d'Am?lie Nothomb prend moins de place que une demi-ann?e.
Cette autobiographie s'arr?te ? l'age de 3 ans juste apr?s son " suicide " car l'auteur annonce qu'apr?s " il ne s'est plus rien pass? ". En effet, celle-ci pense qu'apr?s 3 ans on ne vit plus, on s'habitue. Ce livre fait beaucoup de r?f?rences ? la mort, ce qui nous renvois ? l'?tude de l'existence et donc au titre de l'?uvre: l'auteur a bien respect? son pacte annonc? par le titre.
On peut dire que l'auteur termine son livre ? 3 ans car c'est vers cet age qu'elle apprend qu'elle ne restera pas ?ternellement au Japon. Cette nouvelle sera une grande r?v?lation pour elle et ce livre met bien en valeur l'importance de son pays natal et explique la trace que le Japon a eut et a toujours sur l'auteur. Une trace qui reste dans ses souvenirs et dans son ?criture.
On remarque aussi que le r?cit s'arr?te lorsque l'enfant, dans les coutumes japonaises, n'est plus consid?r? comme un Dieu. On peut en d?duire que ce roman fait refl?ter le sentiment d'?gocentrisme des enfants avant l'age de 3 ans qui se croient le centre du monde.
Cette autobiographie est attachante car elle raconte les souvenirs du point de vue de l'enfant, on d?couvre alors ses questions, ses jeux, ses explications. Comme lorsqu'elle s'imagine que " consul " veut dire ?goutier et qu'elle laisse son p?re coinc? dans une bouche d'?gout car elle pense qu'il est au travail. Ou bien, lorsqu'elle choisit quels seront ses trois premiers mots.
Внимание! Книга может содержать контент только для совершеннолетних. Для несовершеннолетних чтение данного контента СТРОГО ЗАПРЕЩЕНО! Если в книге присутствует наличие пропаганды ЛГБТ и другого, запрещенного контента - просьба написать на почту [email protected] для удаления материала
Un midi, ma mère s'aperçut de ce manège et me gronda sévèrement. Elle enjoignit ensuite à Nishio-san de ne plus accepter ma tyrannie. Peine perdue: dès que Maman eut le dos tourné, mes prélèvements reprirent. Et pour cause: l'okonomiyaki (crêpe au chou, aux crevettes et au gingembre) et le riz au tsukemono (raifort mariné dans une saumure jaune safran) étaient autrement alléchants que les carrés de viande aux carottes bouillies.
Il y avait deux repas: celui de la salle à manger et celui de la cuisine. Je chipotais au premier pour garder de la place pour le second. Très vite, je choisis mon camp: entre des parents qui me traitaient comme les autres et une gouvernante qui me divinisait, il n'y avait pas à hésiter.
Je serais japonaise.
J'étais japonaise.
A deux ans et demi, dans la province du Kansai, être japonaise consistait à vivre au cœur de la beauté et de l'adoration. Etre japonaise consistait à s'empiffrer des fleurs exagérément odorantes du jardin mouillé de pluie, à s'asseoir au bord de l'étang de pierre, à regarder, au loin, les montagnes grandes comme l'intérieur de sa poitrine, à prolonger en son cœur le chant mystique du vendeur de patates douces qui traversait le quartier à la tombée du soir.
À deux ans et demi, être japonaise signifiait être l'élue de Nishio-san. A tout instant, si je le lui demandais, elle abandonnait son activité pour me prendre dans ses bras, me dorloter, me chanter des chansons où il était question de chatons ou de cerisiers en fleur.
Elle était toujours prête à me raconter ses histoires de corps coupés en morceaux qui m'émerveillaient, ou alors la légende de telle ou telle sorcière qui cuisait les gens dans un chaudron pour en faire de la soupe: ces contes adorables me ravissaient jusqu'à l'hébétude.
Elle s'asseyait et me berçait comme une poupée. Je prenais un air de souffrance sans autre motif que mon désir d'être consolée: Nishio-san me consolait longuement de mes chagrins inexistants, jouant le jeu, me plaignant avec un art consommé.
Puis elle suivait d'un doigt délicat le dessin de mes traits et en vantait la beauté qu'elle disait extrême: elle s'exaltait de ma bouche, de mon front, de mes joues, de mes yeux, et concluait qu'elle n'avait jamais vu une déesse au visage aussi admirable. C'était une bonne personne.
Et je restais dans ses bras inlassablement, et j'y serais restée toujours, pâmée de son idolâtrie. Et elle se pâmait de m'idolâtrer ainsi, prouvant de la sorte la justesse et l'excellence de ma divinité.
A deux ans et demi, il eût fallu être idiote pour ne pas être japonaise.
Ce n'était pas un hasard si j'avais révélé plus tôt ma connaissance de la langue nippone que de la langue maternelle: le culte de ma personne avait ses exigences linguistiques. J'avais besoin d'un idiome pour communiquer avec mes fidèles. Ces derniers n'étaient pas très nombreux mais ils me suffisaient par l'intensité de leur foi et par l'importance de leur place dans mon univers: c'était Nishio-san, les futago et les passants.
Quand je me promenais dans la rue en donnant la main à la principale prêtresse de mon adoration, j'attendais avec sérénité les acclamations des badauds. Je savais qu'ils ne manqueraient jamais de se récrier sur mes charmes.
Cependant, cette religion ne me plaisait jamais autant qu'entre les quatre murs du jardin: ce dernier était mon temple. Une portion de terrain plantée de fleurs et d'arbres et entourée d'une enceinte: on n'a rien inventé de mieux pour réconcilier avec l'univers.
Le jardin de la maison était nippon, ce qui en faisait un jardin pléonastique. Il n'était pas zen mais son étang de pierre, sa sobriété et le choix de sa toison disaient le pays qui, plus religieusement que les autres, a défini le jardin.
L'aire géographique de la croyance en moi atteignait son plus haut degré de densité dans le jardin. Les murs élevés et chapeautés de tuiles japonaises qui le cloîtraient me dérobaient aux regards des laïcs et prouvaient que nous étions en un sanctuaire.
Quand Dieu a besoin d'un lieu pour symboliser le bonheur terrestre, il n'opte ni pour l'île déserte, ni pour la plage de sable fin, ni pour le champ de blé mûr, ni pour l'alpage verdoyant; il élit le jardin.
Je partageais son opinion: il n'y a pas meilleur territoire pour régner. Fieffée du jardin, j'avais pour sujets des plantes qui, sur mon ordre, s'épanouissaient à vue d'œil. C'était le premier printemps de mon existence et je n'imaginais pas que cette adolescence végétale connaîtrait un apogée suivi d'un déclin.
Un soir, j'avais dit, à une tige surmontée d'un bouton: «Fleuris.» Le lendemain, c'était devenu une pivoine blanche en pleine déflagration. Pas de doute, j'avais des pouvoirs. J'en parlai à Nishio-san qui ne démentit pas.
Depuis la naissance de ma mémoire, en février, le monde n'avait cessé d'éclore. La nature s'associait à mon avènement. Chaque jour, le jardin était plus luxuriant que la veille. Une fleur ne se fanait que pour renaître plus belle un peu plus loin.
Comme les gens devaient m'être reconnaissants! Comme leur vie devait être triste avant moi! Car c'était moi qui leur avais apporté ces merveilles innombrables. Quoi de plus compréhensible que leur adoration?
Pourtant, il demeurait un problème logique dans cette apologétique: Kashima-san.
Elle ne croyait pas en moi. C'était l'unique Japonaise qui n'acceptait pas la religion nouvelle. Elle me détestait. Seuls les grammairiens sont assez naïfs pour penser que l'exception confirme la règle: je ne l'étais pas et le cas de Kashima-san me perturbait.
Ainsi, quand j'allais prendre mon deuxième repas à la cuisine, elle ne me laissait pas manger dans son assiette. Stupéfiée par son impertinence, j'avais remis ma main dans sa nourriture: cela m'avait valu une gifle.
Estomaquée, j'étais allée pleurer chez Nishio-san, espérant qu'elle châtierait l'impie; il n'en fut rien.
– Tu trouves ça normal? lui dis-je avec indignation.
– C'est Kashima-san. Elle est comme ça.
Je me demandai si cette réponse était acceptable. Avait-on le droit de me frapper pour cette seule raison qu'on était «comme ça»? C'était un peu fort. Il en coûterait à l'irréductible de se dérober à mon culte.
J'ordonnai que son jardin ne fleurisse pas. Cela n'eut pas l'air de l'émouvoir. J'en conclus qu'elle était indifférente aux charmes de la botanique. En vérité, elle n'avait pas de jardin.
J'optai alors pour une attitude plus charitable et décidai de la séduire. J'allai au-devant d'elle avec un sourire magnanime et lui tendis la main, tel Dieu à Adam sur le plafond de la chapelle Sixtine: elle se détourna.
Kashima-san me refusait. Elle me niait. De même qu'il y a l'Antéchrist, elle était l'Antémoi.
Je me pris pour elle d'une pitié profonde. Comme ce devait être sinistre de ne pas m'adorer! Cela se voyait: Nishio-san et mes autres fidèles rayonnaient de bonheur, car il était bon pour eux de m'aimer.
Kashima-san ne se laissait pas aller à ce doux besoin: cela se lisait sur les beaux traits de son visage, sur son expression toute de dureté et de refus. Je tournais autour d'elle en l'observant, cherchant le motif de son peu d'inclination pour moi. Jamais je n'eusse imaginé que la cause pût être en moi, si forte était ma conviction d'être, des pieds à la tête, l'indiscutable gemme de la planète. Si l'aristocratique gouvernante ne m'aimait pas, c'était qu'elle avait un problème.
Je le trouvai: à force de scruter Kashima-san, je vis qu'elle souffrait de la maladie de se retenir. Chaque fois qu'il y avait une occasion de se réjouir, de se régaler, de s'extasier ou de s'amuser, la bouche de la noble dame se serrait, ses lèvres devenaient rigides: elle se retenait.
C'était comme si les plaisirs étaient indignes d'elle. Comme si la joie lui était une abdication.
Je me livrai à quelques expériences scientifiques. J'apportai à Kashima-san le plus beau camélia du jardin en précisant que je l'avais cueilli pour elle: bouche plissée, merci sec. Je demandai à Nishio-san de lui préparer son plat préféré: elle prépara un chawan mushi sublime qui fut mangé du bout des lèvres et commenté de silence. Apercevant un arc-en-ciel, je courus appeler Kashima-san pour qu'elle l'admire: elle haussa les épaules.
