Ensemble, cest tout
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"Et puis, qu'est-ce que ?a veut dire, diff?rents ? C'est de la foutaise, tonhistoire de torchons et de serviettes... Ce qui emp?che les gens de vivreensemble, c'est leur connerie, pas leurs diff?rences... " Camille dessine.Dessinais plut?t, maintenant elle fait des m?nages, la nuit. Philibert, aristopur jus, h?berge Franck, cuisinier de son ?tat, dont l'existence tourne autourdes filles, de la moto et de Paulette, sa grand-m?re. Paulette vit seule, tombebeaucoup et cache ses bleus, paniqu?e ? l'id?e de mourir loin de son jardin. Cesquatre l? n'auraient jamais d? se rencontrer. Trop perdus, trop seuls, tropcaboss?s... Et pourtant, le destin, ou bien la vie, le hasard, l'amour -appelez?a comme vous voulez -, va se charger de les bousculer un peu. Leur histoire,c'est la th?orie des dominos, mais ? l'envers. Au lieu de se faire tomber, ilss'aident ? se relever."
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— Réponds « oui, chef », lui chuchota-t-il.
— Oui, chef !
— Je vais jamais y arriver... se lamenta Camille.
— Tu n'as qu'à en faire qu'une à chaque fois...
— À gauche ou à droite ?
— À gauche, ça sera plus logique...
— Ça fait un peu morbide, non ?
— Nan, c'est marrant... De. toute façon, t'as plus le choix maintenant...
— J'aurais mieux fait de me taire...
— Principe numéro un. T'auras au moins appris ça... Tiens, voilà le bon jus...
— Pourquoi il est rouge ?
— Il est à base de betterave... Vas-y, je te passe les assiettes...
Ils échangèrent leur place. Elle dessinait, il tranchait le bloc de foie gras, le disposait, le saupoudrait de fleur de sel et de poivre grossièrement concassé puis passait l'assiette à un troisième larron qui disposait la salade avec des gestes d'orfèvre.
— Qu'est-ce qu'ils font, tous ?
— Ils vont manger... On ira plus tard... C'est nous qui ouvrons le bal, on descendra quand ce sera leur tour... Tu m'aideras pour les huîtres aussi ?
— Il faut les ouvrir ? !
— Non, non, juste les faire belles... Au fait, c'est toi qui as pelé les pommes vertes ?
— Oui. Elles sont là... Oh, merde ! On dirait plutôt un dindon, mon truc...
— Pardon. J'arrête de te parler.
Franck passa près d'eux en fronçant les sourcils. Il les trouva bien dissipés. Ou bien gais.
Ça ne lui plaisait pas trop cette affaire-là...
— On s'amuse bien ? demanda-t-il, moqueur.
— On fait ce qu'on peut...
— Rassure-moi... ça se réchauffe pas au moins ?
— Pourquoi il t'a dit ça ?
— Laisse, c'est un truc entre nous... Ceux qui font le chaud se sentent investis d'une mission suprême, alors que nous, là, même si on se donne un mal de chien, ils nous mépriseront toujours. On ne touche pas au feu, nous... Tu le connais bien, Lestafier ?
— Non.
— Ah ouais, ça m'étonnait aussi...
— De quoi ?
— Nan, rien...
Pendant que les autres étaient partis dîner, deux Blacks nettoyèrent le sol à grande eau et passèrent plusieurs coups de raclette pour le faire sécher plus vite. Le chef discutait avec un type super élégant dans son bureau.
— C'est déjà un client ?
— Non, c'est le maître d'hôtel...
— Eh ben... Il est drôlement classe...
— En salle, ils sont tous beaux... Au début du service, c'est nous qui sommes propres et eux qui passent l'aspirateur en tee-shirt et plus le temps passe, plus la tendance s'inverse : on pue, on devient crades et eux ils passent devant nous, frais comme des gardons, avec leurs brushings et leurs costumes impeccables...
Franck vint la voir alors qu'elle finissait sa dernière rangée d'assiettes :
— Tu peux y aller si tu veux...
— Ben, non... Je n'ai plus envie de partir maintenant... J'aurais l'impression de louper le spectacle...
— T'as encore du taf pour elle ?
— Tu parles ! Autant qu'elle veut ! Elle peut prendre la salamandre...
— C'est quoi ? demanda Camille.
— C'est ce truc-là, cette espèce de gril qui monte et qui descend... Tu veux t'occuper des toasts ?
— Pas de problème... Euh... à propos, j'ai le temps de m'en griller une ?
— Vas-y, descends. Franck l'accompagna.
— Ça va ?
— Super. Il est très gentil ce Sébastien finalement...
— Ouaif...
— ...
— Pourquoi tu fais cette tête, là ?
— Parce que... J'ai voulu parler à Philibert tout a l'heure pour lui souhaiter la bonne année et je me suis fait jeter par une petite morveuse...
— Attends, je vais l'appeler, moi...
— Non. Ils seront de nouveau à table à cette heure-là...
— Laisse-moi faire...
— Allô... Excusez-moi de vous déranger, Franck de Lestafier à l'appareil, le colocataire de Philibert... Oui... C'est cela même... Bonjour madame... Pourrais-je lui parler, je vous prie, c'est à propos du chauffe-eau... Oui... Voilà... au revoir madame...
Il adressa un clin d'œil à Camille qui souriait en recrachant sa fumée.
— Philou ! C'est toi mon gros lapin ? Bonne année mon trésor ! Je t'embrasse pas mais je te passe ta petite princesse. De quoi ? Mais on en a rien à foutre du chauffe-eau ! Allez, bonne année, bonne santé et plein de bisous à tes sœurs. Enfin... Seulement celles qui ont des gros nichons, hein !
Camille prit l'appareil en plissant les yeux. Non, le chauffe-eau n'avait rien. Oui, moi aussi je vous embrasse. Non, Franck ne l'avait pas enfermée dans un placard. Oui, elle aussi, elle pensait souvent à lui. Non, elle n'était pas encore allée faire ses prises de sang. Oui, vous aussi Philibert, je vous souhaite une bonne santé...
— Il avait une bonne voix, non ? ajouta Franck.
— Il n'a bégayé que huit fois.
— C'est bien ce que je dis.
Quand ils revinrent prendre leurs postes, le vent tourna. Ceux qui n'avaient pas mis leur toque l'ajustèrent et le chef posa son ventre sur le passe et croisa ses bras par-dessus. On n'entendait plus une mouche voler.
— Messieurs, au travail...
C'était comme si la pièce prenait un degré Celsius par seconde. Chacun s'agitait en prenant soin de ne pas gêner le voisin. Les visages étaient contractés. Des jurons mal étouffés fusaient ici ou là. Certains restaient assez calmes, d'autres, comme ce Japonais, là, semblaient au bord de l'implosion.
Des serveurs attendaient à la queue leu leu devant le passe pendant que le chef se penchait sur chaque assiette en l'inspectant furieusement. Le garçon qui se tenait en face de lui se servait d'une minuscule éponge pour nettoyer d'éventuelles traces de doigt ou de sauce sur les rebords et, quand le gros hochait la tête, un serveur soulevait le grand plateau argenté en serrant les dents.
Camille s'occupait des amuse-bouches avec Marc. Elle déposait des trucs sur une assiette, des espèces de chips ou d'écorces de quelque chose un peu roux. Elle n'osait plus poser de questions. Ensuite elle arrangeait des brins de ciboulette.
— Va plus vite, on n'a pas le temps de fignoler ce soir...
Elle trouva un morceau de ficelle pour retenir son pantalon et pestait parce que sa toque en papier ne cessait de lui tomber sur les yeux. Son voisin sortit une petite agrafeuse de sa boîte à couteaux :
— Tiens...
— Merci.
Elle écouta ensuite l'un des serveurs qui lui expliquait comment préparer les tranches de pain de mie brioché en triangles en coupant les bords :
— Tu les veux grillés comment ?
— Ben... Bien dorés, quoi...
— Vas-y, fais-moi un modèle. Montre-moi exactement la couleur que tu veux...
— La couleur, la couleur... On voit pas ça à la couleur, c'est une question de feeling...
— Ben, moi, je marche à la couleur, alors fais-moi un modèle sinon je vais être trop stressée.
Elle prit sa mission très à cœur et ne fut jamais prise au dépourvu. Les serveurs attrapaient ses toasts en les glissant dans les plis d'une serviette. Elle aurait bien aimé un petit compliment : « Oh ! Camille, quels merveilleux toasts tu nous fais là ! » mais bon...
Elle apercevait Franck, toujours de dos, il s'agitait au-dessus de ses fourneaux comme un batteur devant son instrument : un coup de couvercle par-ci, un coup de couvercle par-là, une cuillerée par-ci, une cuillerée par-là. Le grand maigre, le second à ce qu'elle avait pu comprendre, ne cessait de lui poser des questions auxquelles il répondait rarement et par onomatopées. Toutes ses casseroles étaient en cuivre et il était obligé de s'aider d'un torchon pour les attraper. Il devait se brûler quelquefois car elle le voyait secouer sa main avant de la porter à sa bouche.
Le chef s'énervait. Ça n'allait pas assez vite. Ça allait trop vite. Ce n'était pas assez chaud. C'était trop cuit. « On se concentre, messieurs, on se concentre ! » ne cessait-il de répéter.
Plus son poste se détendait, plus ça s'agitait en face. C'était impressionnant. Elle les voyait transpirer et se frotter la tête dans l'épaule à la manière des chats pour s'éponger le front. Le gars qui s'occupait de la rôtissoire surtout, était rouge écarlate et tétait une bouteille d'eau entre chaque aller retour à ses volailles. (Des trucs avec des ailes, certains beaucoup plus petits qu'un poulet et d'autres, deux fois plus gros...)