O.N.G.!
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La guerre. Ca se passe en France. Une ville moyenne. Un immeuble tout confort. Et deux locataires, les organisations non gouvernementales La Foul?e verte et Enfance et vaccin, qui ne se supportent pas. La Foul?e verte travaille ?videmment ? sauver l'humanit? des catastrophes ?cologiques qui la menacent et ? la prot?ger des poisons qu'on lui distille. Quant ? Enfance et vaccin, inutile d'insister. Beaucoup de bons sentiments de part et d'autre. Beaucoup de mots, beaucoup de formules et d'id?es toutes faites. Une certitude ?norme d'?tre indispensable et la bonne conscience monstrueuse qui va avec. Le sel de la terre! Et c'est bien s?r au niveau le plus mesquin que naissent les premi?res difficult?s entre les deux organisations.
Julien est b?gue depuis l'?ge de dix ans, depuis que son p?re l'a surpris en train de br?ler les testicules d'un chat errant. B?gue mais pas manchot quand il s'agit de tenir une plume. ? la recherche d'un stage et bien d?sireux de fuir l'exemple "mini-bourgeois" de ses parents, Julien d?gotte une place ? la Foul?e Verte, ONG quasi mystique d?fendant les pingouins du p?le et la couche d'ozone. Sous la houlette d'Ulis, le chef charismatique au glorieux pass? et de la belle Celsa, Julien s'?panouit et s'enflamme pour la cause, pr?t ? tout pour faire triompher ses id?aux et ceux de ses sup?rieurs. ? tout dites-vous? ? tout, oui. Car, quand une ONG baptis?e "Enfance et vaccin" s'installe dans le m?me immeuble, bousille affiches et v?los, lance des insultes et pactise avec les pires ennemis de la Foul?e Verte, c'est la guerre que l'on d?clare. Et Julien, en plus de son r?le de chroniqueur de guerre, est bien d?cid? ? en d?coudre.
Iegor Gran a un talent d'?criture certain, beaucoup d'humour et une dent contre ses personnages. Pas de h?ros dans cette histoire naviguant sur l'oc?an de l'absurde mais une tripot?e d'individus plus ou moins recommandables qui s'arrachent le monopole de la bonne conscience. Et qui justifient par un soi-disant code d'honneur et un pataqu?s philosophico-social un peu plus de richesse, un peu plus de pouvoir. Sur ce th?me, Iegor Gran offre un tr?s bon roman et donne un grand coup de pied ? notre soci?t?. Comme quoi le mariage des deux n'est pas impossible.
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– Pahé qu'hi hou houlez le hou-louer, ou éhanger ahec nous, quitte à he que l'on hou her'he une indemnité, n'héhitez pas.
Ulis a bredouillé quelque chose comme “merci, merci bio”, et le handicapé s'est fendu d'un large sourire qui ressemblait à une plaie
ouverte.
Après ce cauchemar, on n'avait plus l'appétit. On a mâchouillé en silence une salade avec des dents cotonneuses, on aurait dit que l'on nous forçait à manger de la viande.
Et le soir même, je me suis remis à fumer.
Je le savais, fumer était complètement contraire à l'attitude positive de la Foulée verte. Aujourd'hui encore, j'ai du mal à me pardonner cet accès de faiblesse. Je songe aux exploités des pays pauvres qui s'abîment les mains à ramasser les feuilles de tabac, je pense aux grandes multinationales USA qui nous imposent leurs Cowboys à grandes marmites de publicité subliminale, et j'ai honte. Les circonstances atténuantes étaient mon statut de débutant à la Foulée verte et ma nervosité, attisée par l'intuition, qui s'est hélas vérifiée, d'une catastrophe imminente. La fumée que crachait ma bouche était un pâle reflet des nuages de poudre qui allaient bientôt recouvrir le champ de bataille.
Avec toutes ces pensées sombres, le matin suivant j'ai oublié de changer de chemise, et je puais fort la cigarette.
– Tu sens bizarre, a fait Celsa en me faisant la bise.
– Wok wok barbecue, ai-je trouvé à répondre, puis je me suis rendu compte de la gaffe et j'ai ajouté précipitamment:
– Légu caro toma auber!
Si elle avait creusé mes paroles, elle n'aurait pas tardé à démasquer la cigarette, et je risquais l'expulsion. Heureusement elle ne comprenait pas bio ce que je racontais à cause de mon bégaiement, et comme elle avait d'autres soucis – Machepot, l'industriel des pots d'échappement, n'avait toujours pas renouvelé son contrat – elle s'est éloignée, la mine pensive.
N'empêche, pour ne pas risquer de me faire attraper, je suis allé aux toilettes où j'ai vidé sur ma personne un déodorant Air jresh à la lavande, spécial petites odeurs. Tant pis pour l'ozone! pensais-je égoïstetnent, pendant que le jet froid de chlorofluoro-carbone me rendait présentable. C'était une très mauvaise pensée, je le reconnais, et j'ai pénible conscience encore aujourd'hui. Pour ma défense, je voudrais dire que je n'étais pas le seul coupable dans cette affaire: l'homme ou la femme de ménage qui avait laissé de tels produits dans nos locaux sans se soucier de leur composition était autant à blâmer que moi.
En rentrant des toilettes, je me suis cogné à Josas.
– Misérables caries! jurait-il entre ses dents. Esprits immondes!
Immédiatement j'ai compris.
– Enc', enc', enc'? ai-je fait.
– Exactement. On ne peut pas leur faire confiance, à ces gens, même d'un orteil. Ils ont fini par déchirer l'affiche, tout le bas est parti comme un glissement de terrain… Comment
ont-ils pu? C'est inhumain…
Il avait les éclairs.
Nos troupes mijotaient devant l'ascenseur. La désolation régnait sur notre affiche. Les pattes du pingouin avaient été sectionnées. Le bas des ailes arraché. En regardant de près, je me suis aperçu qu'on lui avait brûlé le ventre avec un briquet. La pauvre bête n'avait que les yeux pour pleurer. L'enfant brunâtre, lui, se portait comme un charme. Le regard de chien battu qu'il nous a adressé était désagréablement collant. On avait l'impression qu'il se glissait dans le portefeuille.
Une sourde colère a grondé dans nos veines, une envie de réparation a suinté par les pores. On est montés au quatrième.
Les vaccins nous ont opposé un mur fait d'incompréhension et de mauvaise foi.
– Quelle affiche? disaient-ils. On n'a pas touché à votre affiche. Elle ne nous intéresse pas, votre affiche. Sauf à dire qu'elle est repoussante., pisseuse à souhait, mais bon, les goûts et les couleurs…
Ulis a écouté leur baratin. Calmement, sans geste vulgaire, sans proférer de mot déplacé, mais en articulant pour être bio compris, il a énoncé ce qui sera notre position diplomatique pour les prochains jours:
– Nous, représentants de la Foulée verte, n'aimant rien davantage que la paix dans le monde, sommes contraints de nous plaindre officiellement de votre conduite. Nous regrettons de constater votre mauvaise attitude. Deux agressions en deux jours – la coupe est pleine.
Les vaccins se sont affolés: leurs voix s'élevaient, on captait dans l'air des germes d'hystérie. Leur comportement était typique des coupables qui sentent sur leurs épaules le souffle d'airain de la justice.
– C'est qu'il nous menacerait!… Nous sommes dans nos droits!… Face de pingouin!…
Le dernier commentaire était dit à mi-voix, évidemment. Les lâches savent s'y prendre. Mais leurs propos n'ont pas atteint un homme comme Ulis. Il avait en lui une verdeur inouïe. Je le regardais avec des yeux émerveillés. Ayant tout dit, il est resté silencieux, pour que ses paroles empreignent les esprits. Puis il a tourné le dos.
On a regagné nos étages sous les quolibets. Certains bénévoles ne comprenaient pas cette façon de s'écraser. Ils voulaient en découdre dans l'instant. Après tout, se disaient-ils, on n'est pas des n'importe qui! On a terrassé des pollueurs très arrogants! Des mastodontes du pétrole ont mordu le limon! Des réchauffeurs de climat! Des découpeurs d'Amazonie! On ne va pas se laisser faire!
Ulis sentait bien, lui, qu'un maelstrom se préparait. Il avait besoin de calmer le rythme. Il avait des responsabilités. Le poids de notre communauté sur les épaules. Il ne pouvait pas déclarer la guerre à la légère. Il a dit:
– Les choses sont claires maintenant. Le deuxième avertissement a été donné. Il n'y en aura pas de troisième.
Puis il a fait un grand geste du bras qui ressemblait à une bénédiction.
– Vaquez à vos occupations. Ne songez pas au passé. Ouvrez votre cœur à l'avenir. Nous avons des missions à accomplir. Les oiseaux, le ciel et la terre ont besoin de notre lucidité. Allez!
Les camarades se sont dispersés, chacun à sa tâche. Ulis m'a fait signe de le suivre.
On est entrés dans son bureau. Il s'est assis, le visage figé, les bras fatigués.
– Julien, Julien… T'es encore jeune, Julien, mazette ce que t'es jeune…
Je me taisais. D'un côté j'étais flatté qu'il m'ait pris seul avec lui, en confident en quelque sorte, d'un autre je ne savais que penser de ce ton mi-solennel, mi-accablé.
– Tu sais quel est notre pire ennemi, Julien?
J'ai répondu quelque chose comme “le nucléaire” ou “les OGM”, je ne sais plus.
– Non, Julien. Tu te trompes. Le voilà l'ennemi. (En disant cela, il a pointé le doigt vers sa poitrine.) On est chacun son propre ennemi. Et celui-là est implacable, crois-moi. Tu as le tien, j'ai le mien, aussi secret et insaisissable que le karma. C'est lui qui nous rend faibles. Il pousse aux compromis… Tu as fumé hier, hein?
J'ai failli m'évanouir.
– Je l’ai su dès que je t'ai vu ce matin. Les Cow-boys donnent au regard un je-ne-sais-quoi de coupable… Range-moi ces yeux de chien battu. C'est le climat qui règne ici qui t'a fait craquer… Je ne t'en veux pas et je ne dirai rien à Celsa. Va pour cette fois-ci. À l'avenir sois fort, Julien. Combats!… Désormais je ne veux plus entendre parler de Cow-boys, ni même de cigarettes françaises. Nous sommes d'accord?
J'avais les yeux tellement baissés qu'il me semblait voir ma pomme d'Adam. Elle déglutissait misérablement.
– Allons, ce n'est pas la peine de pleurer. Sèche tes larmes, mon enfant. Nous avons tous été un peu chahutés depuis hier. L'ennemi pousse en chacun de nous! Il guette le moindre faux pas. Tu crois que je ne vois pas les affres de mes troupes?… Tous les camarades sont tangents. Celsa déprime. Josas se ronge pour l'affiche. Chatou, Robinson, Saint-Cyr, sont impulsifs comme de jeunes loups. Et moi… Tu sais ce que j'ai, moi?
J'ai ouvert mes yeux en grand tellement je ne voyais pas ce que le saint homme pouvait se reprocher.
– L'ennui, Julien… Cette monotonie gluante des cheminots à la trentième semaine de grève… Le cafard du prof à la énième étudiante séduite… J'ai l'impression d'avoir déjà vécu – dans une autre vie, probablement – chaque événement qui touche à la Foulée verte. Enfance et vaccin excepté… Je suis blasé, Julien. Je me fais vieux.
Comme j'allais protester, il m'a jeté un regard sans appel.
– Pas la peine de se voiler la face. Mon karma n'est pas des meilleurs en ce moment. Le feng shui est nord-ouest. L'année du cheval est mauvaise pour les Capricornes. Mon inconscient clignote à l'orange. Et avec moi c'est toute la Foulée verte qui est menacée… Ce qu'il nous faudrait pour nous réveiller c'est qu'un millier de baleines viennent mourir sur nos côtes! Qu'une fuite radioactive contamine l'eau de la ville! Une grande catastrophe écologique! Ô ce serait… Où sont-elles? Je doute… Parfois j'ai l'impression que les temps glorieux des Exxon Valdez appartiennent au passé… Laisse-moi.
Il s'est mis en position du lotus.
Je suis sorti, un peu sonné, ébloui par la grandeur de cet homme.
La différence avec paternel criait dans mon cœur. L'un se contentait d'être un rouage du système, tandis que l'autre! L'un ne remettait jamais en cause les clichés sur le travail ou la famille, clichés qui se transmettaient paisiblement de génération en génération comme de mauvais gènes, alors que l'autre! L'un était absolument insensible à la magnifique chanson de la nature, aux fluides invisibles qui nous gouvernent, pendant que l'autre!
Comment paternel pouvait-il investir son temps dans un hochet aussi futile que la messe du dimanche alors qu'il y avait des Exxon Valdez de par le monde? C'était d'un passéisme révoltant. L'essence malfaisante de la minibourgeoisie, son pitoyable nombrilisme, son instinct de propriétaire foncier, tous les médiocres renoncements se révélaient dans ce passe-temps improductif. Ah, je pouvais l'entendre, leur prière, comme si j'étais dans leur tête. Aidez-nous, petit Dieu, à compléter nos points-retraite! Donnez-nous, miséricordieux, de bons feuilletons télé! Et surtout, faites donc que nos enfants nous ressemblent!
La maternelle, elle, se méfiait de l'Eglise, du curé surtout, car on le savait hostile au préservatif. Or il y avait un refrain que maternelle me répétait assez, dès que j'en ai eu l'âge, un refrain qui tenait aux risques de l'acte non protégé. Les martingales féminines étaient remplies de virus en embuscade. Ils attendaient que j'y mette les pieds, si je puis dire, pour me saisir à la gorge. C'était son obsession. Elle a grandement contribué à m'aseptiser.