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Au Piano

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Au Piano
Название: Au Piano
Автор: Echenoz Jean
Дата добавления: 16 январь 2020
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Au Piano - читать бесплатно онлайн , автор Echenoz Jean

La pratique professionnelle du piano suppose une discipline stricte. Elle exclut tout divertissement susceptible d'?loigner l'artiste de son clavier. Pourtant il aimerait, lui aussi, jouir de la lumi?re du monde, de la douceur de vivre, de la ti?deur de l'air et de l'amour des femmes. Eh bien non! Mort ou vif, le pianiste se doit d'abord ? son public.

Dans les all?es du parc Monceau ? Paris, Max a peur. «Max va mourir violemment dans vingt-deux jours mais, comme il l’ignore, ce n’est pas de cela qu’il a peur». Il a peur de son piano, peur de lui-m?me, surtout. Mais n’a-t-il pas raison puisqu’un soir, apr?s un concert de gala, il est agress? et meurt au coin d’une rue? Fin de la premi?re partie.

On range le piano. On arr?te l’alcool. On bascule, dans une clinique bizarre, le Centre, une version moderne du purgatoire qui recycle «des personnalit?s pour faire partie du personnel». Max fera partie du personnel, aux c?t?s de Dean Martin et de Doris Day. Il attend son verdict, le Parc (paradis) ou la Section urbaine (enfer). On tranche pour la Section urbaine et Max revient sur terre, avec l'interdiction formelle de retrouver quiconque a fait partie de son pass?.

Troisi?me volet, il y aura l’Am?rique du Sud. Mais Max cherche d?sesp?r?ment sa Rose, une femme ? qui il n'a jamais avou? son amour et qu'il a perdu de vue depuis ses ann?es d'?tude.

Jouant avec l'?ternit? et le salut, Jean Echenoz nous prend ? t?moin, nous pr?cisant avec humour que c’est une fiction qu'il invente pour nous. Je vous laisse le plaisir de d?couvrir le d?nouement fantastique de cette parodie loufoque jusqu’? l’absurde, o? il est question de partir vers l’obscur objet de son d?sir. C'est en tout cas un magnifique roman sur la peur de vivre.

Jean Echenoz a re?u en 2006 le Grand Prix de litt?rature Paul Morand pour l'ensemble de son oeuvre.

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À l'arrivée du train, bien avant qu'il se fût immobilisé, les passagers s'étaient levés de leurs sièges, emparés de leurs sacs et massés aux environs des portes. Sauf Max qui descendit très lentement de la voiture après tout le monde, et Bernie, qui l'attendait sur le quai 8 de la gare Montparnasse, vit tout de suite que ça n'allait pas bien. Il accourut, s'empara du bras de Max, tâchant de tenir le cap le plus droit vers la sortie de la gare tout en parlant sans cesse, informant le pianiste que la critique du dernier concert à Pleyel avait été unanimement louangeuse (enfin c'est ce qu'on m'a dit, je ne lis jamais le journal), qu'à n'en pas douter Gaveau serait comble ce soir, que les États-Unis avaient appelé en prévision d'une tournée d'un mois, que le cachet proposé par le festival de Fougères était selon Parisy scandaleusement inacceptable et que, l'intégrale Chausson étant très attendue, le Japon insistait pour les dates de réservation des studios Cerumen (ils n'ont vraiment rien trouvé de plus drôle, comme nom?) ainsi que pas mal d'autres choses encore.

Tout cela, dans les escalators, ne provoquait chez Max que de petits ricanements entendus qui, conjugués à son haleine, ne manquèrent pas d'inquiéter supérieurement Bernie. Au fait, dit Max, comment ça s'est passé l'autre soir avec Parisy? Tu sais, ton augmentation. Eh bien pas mal, répondit Bernie, mais ça va dépendre un peu de vous. Ne t'inquiète pas, dit Max en trébuchant sur une marche, ça va aller. Si ça ne va pas, on se débarrassera de lui, de toute façon. Ça se change, un impresario. Nous formons, toi et moi, une excellente équipe et Parisy est un crétin. Quand même, objecta Bernie. Tais-toi, commanda Max, il n'entend rien à la musique, il a autant de sens artistique qu'un yaourt. De plus, insista-t-il en ratant une autre marche, il est complètement sourd. Quand même, répéta Bernie en saisissant plus fermement Max par le coude. Mais si, mais si, développa Max, il est si sourd que ses oreilles ne servent qu'à tenir les branches de ses lunettes. Et puis il ne comprend rien à mon projet. Mais de toute façon, généralisa-t-il, personne ne comprend rien à mon projet. Même pas moi.

Comme il était maintenant midi et quelque, après avoir déposé Max chez lui en taxi, Bernie descendait à pied le boulevard Barbès à la recherche d'une quelconque brasserie. L'ayant trouvée, une fois le plat du jour commandé, il gagna le sous-sol de l'établissement où se morfondaient comme toujours le téléphone et les toilettes. Ayant usé de celles-ci, il décrocha celui-là et composa le numéro de Parisy. Alors, s'inquiétait celui-ci, il est comment? Ça ne va pas trop fort, dit Bernie, j'ai l'impression qu'il n'est pas bien. Quoi, s'exclama Parisy, il est encore bourré? Déjà, à cette heure-ci? Il est fatigué, reconnut Bernie, je le trouve bien fatigué. Écoutez, Bernard, dit sèchement Parisy, ça c'est votre affaire, hein, c'est votre responsabilité. Vous vous souvenez de notre arrangement de l'autre jour? Il va de soi que si le concert est compromis, ça ne tient plus. Faites votre travail, maintenant.

Après que Max eut déjeuné chez lui à Château-Rouge, où Alice avait laissé du poulet froid dans la cuisine, il s'assoupit un moment sur le divan du studio, réveillé en sursaut par le retour de la peur qu'il essaya d'exorciser avec un verre, n'arrivant qu'à la potentialiser. Quand Bernie reparut chez lui en fin d'après-midi, pour l'escorter comme d'habitude avant le concert, Max avait l'air encore moins sûr de lui qu'à la gare et Bernie dut le guider vers sa douche avant de l'aider à s'habiller, puis, au coin de la rue Custine, il héla un taxi dans lequel on s'engouffra. Parc Monceau, annonça Bernie. Mais pourquoi le parc Monceau? protesta Max, pourquoi tu m'emmènes toujours là? C'est bien, le parc Monceau, répondit Bernie. C'est pratique, c'est joli, c'est pas mal desservi. C'est à côté de chez moi. Et puis c'est aussi que je n'ai pas beaucoup d'imagination.

Le ciel était gris sombre sur les boulevards qui défilaient, l'air était lourd avec des coups de fraîcheur, de petites gifles intermittentes qui entraient par les vitres baissées du taxi, Max ne cessait d'ouvrir et de refermer son imperméable. Tiens, observa-t-il quand le taxi se fut garé devant les grilles dorées, voilà qu'il pleut. Attendez un instant avant de descendre, avait prévu Bernie, je vais vous abriter. Vous me faites une petite fiche, s'il vous plaît, dit-il au chauffeur avant de contourner la voiture au pas de course, faisant apparaître un parapluie télescopique qu'il déploya au-dessus de Max, celui-ci chancelant en sortant du taxi sous la pluie fine.

Ils entrèrent à nouveau dans le parc. Bernie se contorsionnait un peu pour maintenir Max par un bras en continuant de brandir, au bout de son autre bras, le parapluie parfaitement centré sur le crâne de Max qui protesta: Mais protège-toi un peu, toi aussi. Tu vas être trempé. J'ai mon chapeau, rappela Bernie. Écoute, dit Max, si on passait plutôt prendre un verre chez toi, juste une petite bière, bien au chaud. Non, monsieur Max, dit Bernie d'une voix ferme. Écoute, insista Max, tu sais que la pluie ça n'est pas bon du tout pour mes mains. Ça me tue les doigts, je me gèle, je sens venir ma petite arthrose, je la sens qui vient. Je ne vais pas pouvoir jouer dans ces conditions. Monsieur Max, gémit Bernie désespérément. Sentant l'autre faiblir, Max plongea la main dans une poche de son imperméable, en retira une des petites bouteilles achetées dans le TGV, la brandit d'un air menaçant comme une grenade offensive. Regarde, dit-il, si c'est cela que tu crains, je l'ai sur moi de toute façon. Ça ne peut que me réchauffer. Alors voilà, c'est simple, ou bien une bière chez toi ou bien je bois ça ici même. Tu trouves que ce serait mieux? Ce n'est pas bien, capitula Bernie, ce n'est pas bien. Mais qu'est-ce qui n'est pas bien? s'étonna Max. Où est le mal? Et puis c'est où, déjà, chez toi, au juste? Rue Murillo, dit Bernie d'une voix morne, c'est par là. Je vois très bien, dit Max. Eh bien dis donc, ricana-t-il désagréablement, tu es dans les beaux quartiers, toi. C'est tout petit, protesta mollement Bernie, c'est au dernier étage, juste la place pour mon beau-fils et moi. Je tiens ça de ma famille. Allons-y, dit Max. Résigné, Bernie suivit Max plus qu'il ne le précéda vers le portail sud du parc, prenant quand même soin d'éviter, par principe, le monument dédié à Chopin – où l'on voit celui-ci, sculpté en pleine action à son piano, martelant on ne sait quelle mazurka pendant que l'inévitable jeune femme assise au-dessous de l'instrument, les cheveux recouverts d'un voile et curieusement dotée de très grands pieds, à l'évidence très concentrée, se couvre lés yeux d'une main sous l'emprise de l'extase – Putain mais c'est pas vrai comme c'est beau, cette musique – ou de l'exaspération – Putain mais c'est pas vrai comme j'en peux plus, de ce mec.

Le 4 rue Murillo est en effet un assez bel immeuble mais le logement de Bernie y consistait en trois chambres de bonne, réunies et donnant sur la cour. Bernie fit entrer Max dans la pièce principale cumulant les fonctions de salon, de cuisine et de salle à manger, et qui contenait également son lit. Par une porte ouverte, Max aperçut du matériel informatique perfectionné dans la chambre du beau-fils très intelligent qui paraissait absent. Bernie, comme convenu, servit à Max une bière dans laquelle, à sa consternation, l'autre vida une bonne moitié de l'alcool exhibé au parc. Puis le petit homme tenta comme d'habitude de distraire le pianiste, de lui faire oublier l'échéance du concert, cherchant des arguments et des idées avec d'autant plus de peine que l'ébriété de Max s'aggravait au fil des minutes – bien que, seul fait positif, elle parût adoucir son trac.

Et vers sept heures et demie, l'un soutenant l'autre tant bien que mal, ils descendaient doucement l'avenue de Messine en direction de la salle Gaveau. Et à huit heures pile, après bien des soucis pour faire tenir Max debout, Bernie le propulsa vers le piano selon sa technique habituelle. De manière imprévisible, l'autre marcha d'un pas ferme vers l'instrument bien que, dans sa vision troublée par l'imprégnation, le clavier ne fût plus comme d'habitude un simple maxillaire mais une authentique paire de mâchoires qui s'apprêtaient cette fois, le plus sérieusement du monde, à l'absorber pour le disloquer en le mastiquant. Or comme, à peine apparut-il sur scène, la salle entière se dressait pour l'acclamer, interminable Niagara d'applaudissements, plus vif encore que la semaine dernière, comme l'ovation plus enthousiaste que jamais se prolongeait sans faiblir, Max qui n'avait plus toute sa tête crut pouvoir en déduire que le concert était fini. Il salua donc profondément le public à plusieurs reprises avant de retourner d'un pas non moins ferme vers la coulisse sous le regard horrifié de Parisy – mais, ni une ni deux, Bernie reprit aussitôt Max par les épaules et le retourna sur lui-même et, d'une robuste poussée, le renvoya vigoureusement sur scène et allez: sonate.

Bien joué, Bernard, dit Parisy, vous avez été bon. Vous avez été vraiment bon. Ce n'est pas tous les jours facile, vous savez, fit observer Bernie. C'est quand même un métier très physique.

7.

Deux heures plus tard, dégrisé par l'épreuve du concert, le cœur en paix mais l'esprit vide, Max Delmarc somnolait à l'arrière d'un taxi. Comme celui-ci finit par s'arrêter, Max ouvrant l'œil reconnut son immeuble avant d'apercevoir, devant le portail, un très gros chien immobile qui regardait fixement dans sa direction. Une fois le chauffeur payé, le chien continua d'observer Max en train de descendre du taxi: c'était une bête vraiment volumineuse, de format terre-neuve ou mastiff, d'apparence pacifique et bonasse et qui finit par s'en aller, tiré par une longue laisse dont le regard de Max suivit en travelling le fil tendu pour aboutir à une personne de sexe féminin, envisagée de dos. Or même de dos, même de loin, même sous un réverbère en panne sur deux, Max n'eut aucun mal à reconnaître la femme surnaturellement belle qu'il lui arrivait de croiser dans le quartier. Voici qu'elle s'éloignait à présent, suivie de son animal, vers le square de la Villette. A une heure pareille.

Max n'est vraiment pas du genre qui aborde les inconnues dans la rue, surtout à une heure pareille. C'est une question de principe, bien sûr, mais pas seulement: le voudrait-il qu'il en serait incapable. Pourtant, était-ce un effet retard de tout l'alcool de la journée, sans doute mais peut-être pas seulement, le voilà qui se mit à suivre cette femme dans la ferme intention de lui parler. Il ne savait nullement ce qu'il allait lui dire, ne s'en inquiétait pas, ne s'étonnait même pas de ne pas s'en inquiéter, il trouverait au dernier moment. Hélas en arrivant à sa hauteur, soudain surpris de l'entendre parler toute seule, il s'aperçut qu'elle s'entretenait avec un téléphone mobile. Pas question de l'aborder dans ces conditions, aussi la dépassa-t-il d'un pas vif comme si de rien n'était, sans se retourner ni bien savoir où il allait, bien obligé de faire semblant d'y aller, improvisant un objectif qui serait justement le square de la Villette, à trois angles plus loin. Peu de monde à cette heure-ci dans les petites rues du quartier: le bruit de ses pas sonnait trop fort, semblait se répercuter contre les façades sombres et, comme il rendait gauche sa démarche, Max mal à l'aise s'imagina vu de dos. Puis, arrivé au square, son plan très simple était fixé: il allait rebrousser chemin pour croiser cette personne et cette fois il lui parlerait, toujours aucune idée de ce qu'il pourrait lui dire mais ce point, curieusement, lui semblait négligeable.

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