Madame Bovary
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Madame Bovary est un roman de Gustave Flaubert paru en 1857. Le titre original ?tait Madame Bovary, m?urs de province. Au d?but, Flaubert ne voulait qu'on illustre son roman avec un portrait de femme pour laisser libre cours ? l'imagination du lecteur.
Flaubert commence le roman en 1851 et y travaille pendant 5 ans, jusqu’en 1856. ? partir d’octobre, le texte est publi? dans la Revue de Paris sous la forme de feuilleton jusqu’au 15 d?cembre suivant. En f?vrier 1857, le g?rant de la revue, L?on Laurent-Pichat, l’imprimeur et Gustave Flaubert sont jug?s pour «outrage ? la morale publique et religieuse et aux bonnes m?urs». D?fendu par l’avocat Ma?tre Jules S?nard, Gustave Flaubert sera finalement acquitt?. Le roman conna?tra un important succ?s en librairie.
Honor? de Balzac avait d?j? abord? le m?me sujet dans la Femme de trente ans en 1831 sous forme de nouvelle-roman qui parut en 1842 dans l’?dition Furne de la Com?die humaine, sans toutefois faire scandale.
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– Voilà une salle à manger, pensait Emma, comme il m’en faudrait une.
Le notaire entra, serrant du bras gauche contre son corps sa robe de chambre à palmes, tandis qu’il ôtait et remettait vite de l’autre main sa toque de velours marron, prétentieusement posée sur le côté droit, où retombaient les bouts de trois mèches blondes qui, prises à l’occiput, contournaient son crâne chauve.
Après qu’il eut offert un siège, il s’assit pour déjeuner, tout en s’excusant beaucoup de l’impolitesse.
– Monsieur, dit-elle, je vous prierais…
– De quoi, madame? J’écoute.
Elle se mit à lui exposer sa situation.
Maître Guillaumin la connaissait, étant lié secrètement avec le marchand d’étoffes, chez lequel il trouvait toujours des capitaux pour les prêts hypothécaires qu’on lui demandait à contracter.
Donc, il savait (et mieux qu’elle) la longue histoire de ces billets, minimes d’abord, portant comme endosseurs des noms divers, espacés à de longues échéances et renouvelés continuellement, jusqu’au jour où, ramassant tous les protêts, le marchand avait chargé son ami Vinçart de faire en son nom propre les poursuites qu’il fallait, ne voulant point passer pour un tigre parmi ses concitoyens.
Elle entremêla son récit de récriminations contre Lheureux, récriminations auxquelles le notaire répondait de temps à autre par une parole insignifiante. Mangeant sa côtelette et buvant son thé, il baissait le menton dans sa cravate bleu de ciel, piquée par deux épingles de diamants que rattachait une chaînette d’or; et il souriait d’un singulier sourire, d’une façon douceâtre et ambiguë. Mais, s’apercevant qu’elle avait les pieds humides:
– Approchez-vous donc du poêle… plus haut…, contre la porcelaine.
Elle avait peur de la salir. Le notaire reprit d’un ton galant:
– Les belles choses ne gâtent rien.
Alors elle tâcha de l’émouvoir, et, s’émotionnant elle-même, elle vint à lui conter l’étroitesse de son ménage, ses tiraillements, ses besoins. Il comprenait cela: une femme élégante! et, sans s’interrompre de manger, il s’était tourné vers elle complètement, si bien qu’il frôlait du genou sa bottine, dont la semelle se recourbait tout en fumant contre le poêle.
Mais, lorsqu’elle lui demanda mille écus, il serra les lèvres, puis se déclara très peiné de n’avoir pas eu autrefois la direction de sa fortune, car il y avait cent moyens fort commodes, même pour une dame, de faire valoir son argent. On aurait pu, soit dans les tourbières de Grumesnil ou les terrains du Havre, hasarder presque à coup sûr d’excellentes spéculations; et il la laissa se dévorer de rage à l’idée des sommes fantastiques qu’elle aurait certainement gagnées.
– D’où vient, reprit-il, que vous n’êtes pas venue chez moi?
– Je ne sais trop, dit-elle.
– Pourquoi, hein?… Je vous faisais donc bien peur? C’est moi, au contraire, qui devrais me plaindre! À peine si nous nous connaissons! Je vous suis pourtant très dévoué; vous n’en doutez plus, j’espère?
Il tendit sa main, prit la sienne, la couvrit d’un baiser vorace, puis la garda sur son genou; et il jouait avec ses doigts délicatement, tout en lui contant mille douceurs.
Sa voix fade susurrait, comme un ruisseau qui coule; une étincelle jaillissait de sa pupille à travers le miroitement de ses lunettes, et ses mains s’avançaient dans la manche d’Emma, pour lui palper le bras. Elle sentait contre sa joue le souffle d’une respiration haletante. Cet homme la gênait horriblement.
Elle se leva d’un bond et lui dit:
– Monsieur, j’attends!
– Quoi donc? fit le notaire, qui devint tout à coup extrêmement pâle.
– Cet argent.
– Mais…
Puis, cédant à l’irruption d’un désir trop fort:
– Eh bien, oui!…
Il se traînait à genoux vers elle, sans égard pour sa robe de chambre.
– De grâce, restez! je vous aime!
Il la saisit par la taille.
Un flot de pourpre monta vite au visage de madame Bovary. Elle se recula d’un air terrible, en s’écriant:
– Vous profitez impudemment de ma détresse, monsieur! Je suis à plaindre, mais pas à vendre!
Et elle sortit.
Le notaire resta fort stupéfait, les yeux fixés sur ses belles pantoufles en tapisserie. C’était un présent de l’amour. Cette vue à la fin le consola. D’ailleurs, il songeait qu’une aventure pareille l’aurait entraîné trop loin.
– Quel misérable! quel goujat!… quelle infamie! se disait-elle, en fuyant d’un pied nerveux sous les trembles de la route. Le désappointement de l’insuccès renforçait l’indignation de sa pudeur outragée; il lui semblait que la Providence s’acharnait à la poursuivre, et, s’en rehaussant d’orgueil, jamais elle n’avait eu tant d’estime pour elle-même ni tant de mépris pour les autres. Quelque chose de belliqueux la transportait. Elle aurait voulu battre les hommes, leur cracher au visage, les broyer tous; et elle continuait à marcher rapidement devant elle, pâle, frémissante, enragée, furetant d’un œil en pleurs l’horizon vide, et comme se délectant à la haine qui l’étouffait.
Quand elle aperçut sa maison, un engourdissement la saisit. Elle ne pouvait avancer; il le fallait cependant; d’ailleurs, où fuir?
Félicité l’attendait sur la porte.
– Eh bien?
– Non! dit Emma.
Et, pendant un quart d’heure, toutes les deux, elles avisèrent les différentes personnes d’Yonville disposées peut-être à la secourir. Mais, chaque fois que Félicité nommait quelqu’un, Emma répliquait:
– Est-ce possible! Ils ne voudront pas!
– Et monsieur qui va rentrer!
– Je le sais bien… Laisse-moi seule.
Elle avait tout tenté. Il n’y avait plus rien à faire maintenant; et, quand Charles paraîtrait, elle allait donc lui dire:
– Retire-toi. Ce tapis où tu marches n’est plus à nous. De ta maison, tu n’as pas un meuble, une épingle, une paille, et c’est moi qui t’ai ruiné, pauvre homme!
Alors ce serait un grand sanglot, puis il pleurerait abondamment, et enfin, la surprise passée, il pardonnerait.
– Oui, murmurait-elle en grinçant des dents, il me pardonnera, lui qui n’aurait pas assez d’un million à m’offrir pour que je l’excuse de m’avoir connue… Jamais! jamais!
Cette idée de la supériorité de Bovary sur elle l’exaspérait. Puis, qu’elle avouât ou n’avouât pas, tout à l’heure, tantôt, demain, il n’en saurait pas moins la catastrophe; donc, il fallait attendre cette horrible scène et subir le poids de sa magnanimité. L’envie lui vint de retourner chez Lheureux: à quoi bon? d’écrire à son père; il était trop tard; et peut-être qu’elle se repentait maintenant de n’avoir pas cédé à l’autre, lorsqu’elle entendit le trot d’un cheval dans l’allée. C’était lui, il ouvrait la barrière, il était plus blême que le mur de plâtre. Bondissant dans l’escalier, elle s’échappa vivement par la place; et la femme du maire, qui causait devant l’église avec Lestiboudois, la vit entrer chez le percepteur.