LIdiot. Tome I
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Le prince Mychkine est un ?tre fondamentalement bon, mais sa bont? confine ? la na?vet? et ? l'idiotie, m?me s'il est capable d'analyses psychologiques tr?s fines. Apr?s avoir pass? sa jeunesse en Suisse dans un sanatorium pour soigner son ?pilepsie (maladie dont ?tait ?galement atteint Dosto?evski) doubl?e d'une sorte d'autisme, il retourne en Russie pour p?n?trer les cercles ferm?s de la soci?t? russe. Lors de la soir?e d'anniversaire de Nastassia Filippovna, le prince Mychkine voit un jeune bourgeois, Parfen Semenovitch Rogojine arriver ivre et offrir une forte somme d'argent ? la jeune femme pour qu'elle le suive. Le prince per?oit le d?sespoir de Nastasia Philippovna, en tombe maladivement amoureux, et lui propose de l'?pouser. Apr?s avoir accept? son offre, elle s'enfuit pourtant avec Rogojine. Constatant leur rivalit?, Rogojine tente de tuer le prince mais ce dernier est paradoxalement sauv? par une crise d'?pilepsie qui le fait s'?crouler juste avant le meurtre… Ayant cr?? des liens aupr?s de la famille Epantchine, il fait la connaissance d'une soci?t? petersbourgeoise m?lant des bourgeois, des ivrognes, des anciens militaires et des fonctionnaires fielleux. Se trouvant du jour au lendemain ? la t?te d'une grande fortune, il avive la curiosit? de la soci?t? p?tersbourgeoise et vient s'installer dans un lieu de vill?giature couru, le village de Pavlovsk…
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Le prince voulut dire quelque chose, mais son trouble était tel qu’il ne put articuler un mot. Seule Aglaé, qui venait de se permettre tant de hardiesse en «débitant sa leçon», ne montrait aucune confusion et paraissait même contente d’elle. Toujours aussi grave et aussi solennelle, elle se leva aussitôt, comme si elle s’était tenue prête à réciter les vers et n’avait attendu qu’une invitation à le faire; puis, s’avançant au milieu de la terrasse, elle se plaça face au prince encore assis dans son fauteuil. Tout le monde la regardait avec une certaine surprise. Le prince Stch…, ses sœurs, sa mère, bref presque tous les assistants éprouvaient un sentiment de gêne devant cette nouvelle gaminerie dont on pouvait prévoir qu’elle allait passer la mesure. Mais il était visible qu’Aglaé était enchantée de cette manière de préluder à sa récitation. Elisabeth Prokofievna fut sur le point de la faire rasseoir, mais, au moment même où la jeune fille allait commencer à réciter la fameuse ballade, deux nouveaux visiteurs montèrent de la rue à la terrasse en conversant à haute voix. C’était le général Ivan Fiodorovitch Epantchine suivi d’un jeune homme. Leur apparition produisit quelque sensation.
VII
Le jeune homme qui accompagnait le général pouvait avoir vingt-huit ans. De haute taille, bien fait, il avait un visage séduisant et spirituel, avec de grands yeux noirs pétillants de vivacité et de malice. Aglaé ne se retourna même pas vers lui et continua à déclamer sa poésie en affectant de ne regarder que le prince et de ne s’adresser qu’à lui seul. Celui-ci comprit bien qu’elle y mettait une intention particulière. Toutefois, la venue des nouveaux visiteurs atténua un peu son embarras. Dès qu’il les aperçut, il se leva à demi, fit de loin un signe de tête aimable au général et recommanda d’un geste qu’on n’interrompît point la récitation. Puis il alla se placer derrière son siège et s’accouda du bras gauche sur le dossier, afin d’écouter la suite de la ballade dans une posture plus dégagée et moins ridicule que celle d’un homme enfoncé dans un fauteuil. De son côté Elisabeth Prokofievna invita par deux fois, d’un geste autoritaire, les nouveaux venus à s’arrêter.
Le prince s’intéressa vivement au jeune homme qui accompagnait le général; il eut l’intuition que c’était Eugène Pavlovitch Radomski, dont il avait beaucoup entendu parler et auquel il avait pensé plus d’une fois. Toutefois la tenue civile de ce jeune homme le dérouta, car il avait ouï dire qu’Eugène Pavlovitch était militaire. Pendant toute la récitation, un sourire ironique erra sur les lèvres du nouveau venu; c’était à croire que, lui aussi, connaissait l’histoire du «chevalier pauvre».
«Peut-être est-ce lui qui a inventé cela», pensa le prince.
L’état d’esprit d’Aglaé était bien différent. L’affectation et l’emphase qu’elle avait d’abord mises dans son débit avaient fait place à un sentiment de gravité, tout pénétré du sens des vers qu’elle récitait. Elle détachait chaque mot avec tant d’ex pression, elle le prononçait avec une si grande simplicité qu’à la fin de sa déclamation elle avait non seulement captivé l’attention générale, mais encore justifié par la mise en valeur de la haute inspiration de cette ballade, la solennité affectée avec laquelle elle s’était tout à l’heure campée au milieu de la terrasse. On pouvait maintenant ne voir dans cette affectation que l’indice d’un respect ingénu et sans bornes pour l’œuvre qu’elle s’était chargée d’interpréter. Ses yeux étincelaient et un frisson d’enthousiasme à peine perceptible passa à deux reprises sur son beau visage.
Voici ce qu’elle récita:
Il était un chevalier pauvre
Silencieux et simple,
Son visage était sombre et pâle,
Son âme hardie et franche.
Il avait eu une vision,
Une vision merveilleuse,
Qui avait gravé dans son cœur
Une impression profonde.
Depuis lors, son âme était brûlante;
Il détourna ses yeux des femmes
Et jusqu’au tombeau
N’adressa plus un mot à aucune d’elles^
Il se mit au cou un chapelet
À la place d’une écharpe
Et ne leva devant personne
La visière d’acier de son casque.
Rempli d’un amour pur,
Fidèle à sa douce vision,
Il écrivit avec son sang
A. M. D. sur son écu.
Et, dans les déserts de Palestine,
Tandis que, parmi les rochers,
Les Paladins couraient au combat
En invoquant le nom de leur dame,
Il s’écria avec une exaltation farouche:
Lumen cœli, sancta Rosa
Et, comme la foudre, son élan
Terrassa les musulmans.
Rentré dans son lointain donjon,
Il y vécut sévèrement reclus,
Toujours silencieux, toujours triste,
Et mourut comme un dément [77].
Plus tard, en se remémorant ces instants, le prince eut l’esprit torturé par une question qui était pour lui insoluble: comment avait-on pu allier un sentiment aussi vrai et aussi beau à une ironie aussi peu voilée et aussi malveillante? Car l’ironie ne faisait aucun doute pour lui; elle lui apparaissait clairement, et non sans raison à l’appui: au cours de sa récitation, Aglaé s’était permis de changer les lettres A. M. D. en N. PH. B. Il était sûr de ne pas se tromper et d’avoir bien entendu (ce dont il eut plus tard la preuve). Quoi qu’il en fût, la plaisanterie d’Aglaé – car toute blessante et étourdie qu’elle fût, c’était une plaisanterie – avait été préméditée. Depuis un mois tout le monde parlait (et riait) du «chevalier pauvre». Cependant, en revenant plus tard sur ses souvenirs, le prince se convainquit qu’Aglaé avait articulé ces lettres N. PH. B. sans leur donner un accent de plaisanterie ou de sarcasme, ni les souligner de façon à en faire ressortir le sens caché. Au contraire, elle les avait proférées avec tant d’impassible gravité, tant d’innocente et naïve simplicité qu’on pouvait penser qu’elles se trouvaient en effet dans le texte imprimé de la ballade.
Toujours est-il qu’aussitôt après la récitation le prince éprouva une cruelle sensation de malaise. Bien entendu, Elisabeth Prokofievna ne remarqua pas le changement des lettres et l’allusion qui s’y cachait. Le général Ivan Fiodorovitch comprit seulement qu’on déclamait des vers. Parmi les autres auditeurs, plusieurs saisirent l’intention d’Aglaé et s’étonnèrent de tant de hardiesse; mais ils se turent et firent comme si de rien n’était. Quant à Eugène Pavlovitch, non seulement il avait compris (ce que le prince aurait parié), mais encore il s’efforçait de le laisser voir en accentuant l’expression sarcastique de son sourire.
– C’est ravissant! s’écria la générale dans un élan sincère d’admiration, aussitôt que la récitation eut pris fin. De qui sont ces vers?
– De Pouchkine, maman, s’exclama Adélaïde; ne nous faites pas honte! comment peut-on l’ignorer?
– Avec vous on pourrait devenir encore plus bête! repartit Elisabeth Prokofievna d’un ton acerbe. – C’est une indignité. Dès que nous rentrerons, vous me montrerez ces vers de Pouchkine.
– Je crois que nous n’avons rien de Pouchkine chez nous.
– Si, il y en a deux tomes en très mauvais état, qui traînent à la maison de temps immémorial.
– Il faut tout de suite envoyer quelqu’un en ville chercher les œuvres de Pouchkine. Que Fiodor ou Alexis y aille par le premier train. Mieux vaut Alexis. Aglaé, viens ici! Embrasse-moi. Tu as très bien récité. Mais – ajouta-t-elle en lui parlant à l’oreille – si l’accent que tu y as mis était sincère, je te plains. Si tu as voulu te moquer de lui, je n’approuve pas ton sentiment. En sorte que, dans un cas comme dans l’autre, tu aurais mieux fait de ne pas réciter cette poésie. Tu me comprends? Allez, mademoiselle, j’aurais encore à vous parler, mais il y a assez longtemps que nous sommes ici.