Pierre Et Jean
Pierre Et Jean читать книгу онлайн
Ce roman de Guy de Maupassant a ?t? publi? en feuilleton dans la nouvelle Revue du 1er d?cembre 1887 au 1er janvier 1888 et en volume chez Ollendorff la m?me ann?e.
Les Roland, anciens bijoutiers parisiens se sont retir?s au Havre, o? ils vivent des jours heureux. Ils ont deux fils: l’a?n?, Pierre, pr?s de la trentaine, brun, maigre et nerveux, tourment? par de grands projets et sujet ? des d?couragements impr?vus, vient d'obtenir son de terminer ses ?tudes de m?decine. Jean, son cadet de cinq ans, gros, blond, et placide vient d'obtenir son d'achever ses ?tudes de droit. Ils sont venus tous deux prendre du repos apr?s leurs ?tudes couronn?es de succ?s.
Ils songent ? s’installer et convoitent tous deux la jeune et belle veuve d’un riche capitaine de vaisseau, Mme Ros?milly.
Au cours d’une partie de p?che familiale en compagnie de Mme Ros?milly, les deux fr?res, pour s?duire la jeune femme, se livrent ? une comp?tition acharn?e ? la rame. Le lecteur d?couvre que sous une apparence d’union et d’affection, une vraie rivalit? oppose les deux fr?res.
Le soir m?me, au retour de cette promenade en mer ils apprennent que Mar?chal, un ancien ami de la famille, vient de mourir ? Paris et qu’il l?gue toute sa fortune ? Jean. Sur le port, Pierre f?licite son fr?re pour sa nouvelle fortune, mais il ressent int?rieurement un irr?pressible sentiment de jalousie.
Cette jalousie, aliment?e par les insinuations du pharmacien Marowsko, ? qui il vient d’apprendre la nouvelle («?a ne fera pas bon effet»), et les r?flexions d’une fille de la brasserie («?a n’est pas ?tonnant qu’il te ressemble si peu») se transforme bient?t en une suspicion obsessionnelle: Et si Jean ?tait le fils naturel de Mar?chal?
Pierre, tr?s choqu?, trouble le joyeux repas familial.
Il sort en mer, mais est tr?s affect? par les soup?ons qu’ont fait na?tre les remarques de ses proches. Il ne parvient pas ? comprendre pourquoi seul Jean a h?rit? de la fortune de Mar?chal, alors que ce dernier le connaissait depuis qu'il ?tait tout petit.
La brume l’oblige ? rentrer. Il commence alors «une enqu?te minutieuse» en vue de percer ce myst?re. Il se souvient alors qu’? la naissance de Jean, on avait d?croch? du mur le portrait de Mar?chal.
Il demande ? sa m?re o? se trouve le portrait de Mar?chal. Il lui laisse entendre qu’il sait tout. Un voyage ? Trouville, dont il esp?re une diversion, ne parvient h?las pas ? lui changer les id?es. L’attitude de sa m?re ? propos du portrait, et la ressemblance qu’il note entre Mar?chal et son fr?re, transforment le doute en «intol?rable certitude».
Malheureux, tortur? par ce secret et par le remords qui le rend honteux de lui-m?me, Pierre tourmente sa m?re. ? l’occasion d’une sortie sur la plage, il se d?clare ? Mme Ros?milly, qui ne reste pas indiff?rente ? ses avances.
Jean s’est install? dans un nouvel appartement, ce qui suscite la jalousie de Pierre. Les deux fr?res se querellent. Pierre, sous le coup de la col?re, r?v?le, sans m?nagement, ? son fr?re la v?rit?: «Tu es le fils d’un homme qui t’as laiss? sa fortune». Leur m?re, qui est dans la chambre ? c?t?, entend certainement cet horrible aveu.
La m?re de Jean lui confirme ce secret: «Tu n’es pas le fils de Roland». Elle veut partir ? tout jamais, mais Jean la supplie de rester. La m?re et le fils se r?concilient.
Pierre souhaite s’?loigner et d?cide de s’embarquer comme m?decin ? bord d'un paquebot transatlantique.
M. Roland ne soup?onne pas la trag?die qui se joue au sein de sa famille.Nous retrouvons alors dans ce dernier chapitre les m?mes protagonistes que ceux du d?but du roman. Seul Pierre manque ? l‘appel. Tout ce groupe est r?uni dans la m?me barque, pour saluer le d?part de La Lorraine, ? bord de laquelle Pierre commence une nouvelle «vie de for?at vagabond».
Внимание! Книга может содержать контент только для совершеннолетних. Для несовершеннолетних чтение данного контента СТРОГО ЗАПРЕЩЕНО! Если в книге присутствует наличие пропаганды ЛГБТ и другого, запрещенного контента - просьба написать на почту [email protected] для удаления материала
Roland s’élança.
«Bonjour, cher maître.» Il donnait comme titre à M. Lecanu le «maître» qui précède le nom de tous les notaires.
Mme Rosémilly se leva:
«Je m’en vais, je suis très fatiguée.» On tenta faiblement de la retenir; mais elle n’y consentit point et elle s’en alla sans qu’un des trois hommes la reconduisît, comme on le faisait toujours.
Mme Roland s’empressa près du nouveau venu:
«Une tasse de café, Monsieur?
– Non, merci, je sors de table.
– Une tasse de thé, alors?
– Je ne dis pas non, mais un peu plus tard, nous allons d’abord parler affaires.» Dans le profond silence qui suivit ces mots on n’entendit plus que le mouvement rythmé de la pendule, et à l’étage au-dessous, le bruit des casseroles lavées par la bonne trop bête même pour écouter aux portes.
Le notaire reprit:
«Avez-vous connu à Paris un certain M. Maréchal, Léon Maréchal?»
M. et Mme Roland poussèrent la même exclamation.
«Je crois bien!
– C’était un de vos amis?» Roland déclara:
«Le meilleur, Monsieur, mais un Parisien enragé; il ne quitte pas le boulevard. Il est chef de bureau aux finances. Je ne l’ai plus revu depuis mon départ de la capitale. Et puis nous avons cessé de nous écrire. Vous savez, quand on vit loin l’un de l’autre…» Le notaire reprit gravement:
«M. Maréchal est décédé.» L’homme et la femme eurent ensemble ce petit mouvement de surprise triste, feint ou vrai, mais toujours prompt, dont on accueille ces nouvelles.
M. Lecanu continua:
«Mon confrère de Paris vient de me communiquer la principale disposition de son testament par laquelle il institue votre fils Jean, M. Jean Roland, son légataire universel.» L’étonnement fut si grand qu’on ne trouvait pas un mot à dire.
Mme Roland, la première, dominant son émotion, balbutia:
«Mon Dieu, ce pauvre Léon… notre pauvre ami… mon Dieu… mon Dieu… mort!…» Des larmes apparurent dans ses yeux, ces larmes silencieuses des femmes, gouttes de chagrin venues de l’âme qui coulent sur les joues et semblent si douloureuses, étant si claires.
Mais Roland songeait moins à la tristesse de cette perte qu’à l’espérance annoncée. Il n’osait cependant interroger tout de suite sur les clauses de ce testament, et sur le chiffre de la fortune; et il demanda, pour arriver à la question intéressante:
«De quoi est-il mort, ce pauvre Maréchal?»
M. Lecanu l’ignorait parfaitement.
«Je sais seulement, disait-il, que, décédé sans héritiers directs, il laisse toute sa fortune, une vingtaine de mille francs de rentes en obligations trois pour cent, à votre second fils, qu’il a vu naître, grandir, et qu’il juge digne de ce legs. À défaut d’acceptation de la part de M. Jean, l’héritage irait aux enfants abandonnés.» Le père Roland déjà ne pouvait plus dissimuler sa joie et il s’écria:
«Sacristi! voilà une bonne pensée du cœur. Moi, si je n’avais pas eu de descendant, je ne l’aurais certainement point oublié non plus, ce brave ami!» Le notaire souriait:
«J’ai été bien aise, dit-il, de vous annoncer moi-même la chose. Ça fait toujours plaisir d’apporter aux gens une bonne nouvelle.» Il n’avait point du tout songé que cette bonne nouvelle était la mort d’un ami, du meilleur ami du père Roland, qui venait lui-même d’oublier subitement cette intimité annoncée tout à l’heure avec conviction.
Seuls, Mme Roland et ses fils gardaient une physionomie triste. Elle pleurait toujours un peu, essuyant ses yeux avec un mouchoir qu’elle appuyait ensuite sur sa bouche pour comprimer de gros soupirs.
Le docteur murmura:
«C’était un brave homme, bien affectueux. Il nous invitait souvent à dîner, mon frère et moi.» Jean, les yeux grands ouverts et brillants, prenait d’un geste familier sa belle barbe blonde dans sa main droite, et l’y faisait glisser, jusqu’aux derniers poils, comme pour l’allonger et l’amincir.
Il remua deux fois les lèvres pour prononcer aussi une phrase convenable, et, après avoir longtemps cherché, il ne trouva que ceci:
«Il m’aimait bien, en effet, il m’embrassait toujours quand j’allais le voir.» Mais la pensée du père galopait; elle galopait autour de cet héritage annoncé, acquis déjà, de cet argent caché derrière la porte et qui allait entrer tout à l’heure, demain, sur un mot d’acceptation.
Il demanda:
«Il n’y a pas de difficultés possibles?… pas de procès?… pas de contestations?…» M. Lecanu semblait tranquille:
«Non, mon confrère de Paris me signale la situation comme très nette. Il ne nous faut que l’acceptation de M. Jean.
– Parfait, alors… et la fortune est bien claire?
– Très claire.
– Toutes les formalités ont été remplies?
– Toutes.» Soudain, l’ancien bijoutier eut un peu honte, une honte vague, instinctive et passagère de sa hâte à se renseigner, et il reprit:
«Vous comprenez bien que si je vous demande immédiatement toutes ces choses, c’est pour éviter à mon fils des désagréments qu’il pourrait ne pas prévoir. Quelquefois il y a des dettes, une situation embarrassée, est-ce que je sais, moi? et on se fourre dans un roncier inextricable. En somme, ce n’est pas moi qui hérite, mais je pense au petit avant tout.» Dans la famille on appelait toujours Jean «le petit», bien qu’il fût beaucoup plus grand que Pierre.
Mme Roland, tout à coup, parut sortir d’un rêve, se rappeler une chose lointaine, presque oubliée, qu’elle avait entendue autrefois, dont elle n’était pas sûre d’ailleurs, et elle balbutia:
«Ne disiez-vous point que notre pauvre Maréchal avait laissé sa fortune à mon petit Jean?
– Oui, Madame.» Elle reprit alors simplement:
«Cela me fait grand plaisir, car cela prouve qu’il nous aimait.» Roland s’était levé:
«Voulez-vous, cher maître, que mon fils signe tout de suite l’acceptation?
– Non… non… monsieur Roland. Demain, demain, à mon étude, à deux heures, si cela vous convient.
– Mais oui, mais oui, je crois bien!» Alors, Mme Roland qui s’était levée aussi, et qui souriait après les larmes, fit deux pas vers le notaire, posa sa main sur le dos de son fauteuil, et le couvrant d’un regard attendri de mère reconnaissante, elle demanda:
«Et cette tasse de thé, monsieur Lecanu?
– Maintenant, je veux bien, Madame, avec plaisir.» La bonne appelée apporta d’abord des gâteaux secs en de profondes boîtes de fer-blanc, ces fades et cassantes pâtisseries anglaises qui semblent cuites pour des becs de perroquet et soudées en des caisses de métal pour des voyages autour du monde. Elle alla chercher ensuite des serviettes grises, pliées en petits carrés, ces serviettes à thé qu’on ne lave jamais dans les familles besogneuses. Elle revint une troisième fois avec le sucrier et les tasses; puis elle ressortit pour faire chauffer l’eau. Alors on attendit.
Personne ne pouvait parler; on avait trop à penser, et rien à dire. Seule Mme Roland cherchait des phrases banales. Elle raconta la partie de pêche, fit l’éloge de la Perle et de Mme Rosémilly.
«Charmante, charmante», répétait le notaire.
Roland, les reins appuyés au marbre de la cheminée, comme en hiver, quand le feu brille, les mains dans ses poches et les lèvres remuantes comme pour siffler, ne pouvait plus tenir en place, torturé du désir impérieux de laisser sortir toute sa joie.
Les deux frères, en deux fauteuils pareils, les jambes croisées de la même façon, à droite et à gauche du guéridon central, regardaient fixement devant eux, en des attitudes semblables, pleines d’expressions différentes.
Le thé parut enfin. Le notaire prit, sucra et but sa tasse, après avoir émietté dedans une petite galette trop dure pour être croquée; puis il se leva, serra les mains et sortit.
«C’est entendu, répétait Roland, demain, chez vous, à deux heures.
– C’est entendu, demain, deux heures.» Jean n’avait pas dit un mot.
Après ce départ, il y eut encore un silence, puis le père Roland vint taper de ses deux mains ouvertes sur les eux épaules de son jeune fils en criant:
«Eh bien, sacré veinard, tu ne m’embrasses pas?» Alors Jean eut un sourire, et il embrassa son père en disant:
«Cela ne m’apparaissait pas comme indispensable.» Mais le bonhomme ne se possédait plus d’allégresse. Il marchait, jouait du piano sur les meubles avec ses ongles maladroits, pivotait sur ses talons, et répétait:
«Quelle chance! quelle chance! En voilà une, de chance!» Pierre demanda:
«Vous le connaissiez donc beaucoup, autrefois, ce Maréchal?» Le père répondit: