Quatrevingt-Treize
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Initialement pr?vu pour une trilogie qui aurait compris, outre L'homme qui rit, roman consacr? ? l'aristocratie, un volume sur la monarchie, Quatrevingt-Treize, ?crit ? Guernesey de d?cembre 1872 ? juin 1873, apr?s l'?chec de Hugo aux ?lections de janvier 1872, ach?ve la r?flexion de l'?crivain sur la R?volution ? la lumi?re de la Commune et tente de r?pondre ? ces questions: ? quelles conditions une r?volution peut-elle cr?er un nouvel ordre des choses? 1793 ?tait-il, est-il toujours n?cessaire? Le roman valut ? son auteur la haine des conservateurs.
En mai 1793, le marquis de Lantenac, ?me de l'insurrection vend?enne, arrive en Bretagne sur la Claymore, une corvette anglaise. ? bord, il n'a pas h?sit? ? d?corer puis ? faire ex?cuter un matelot qui n'avait pas arrim? assez solidement un canon. La consigne du marquis est claire: il faut tout mettre ? feu et ? sang. D'horribles combats s'ensuivent. Lantenac massacre des Bleus et capture trois enfants…
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– Et nous avait fait ce rapport. Et il avait ajouté que la charrette, étant bien attelée et partie vers deux heures du matin, serait ici avant le coucher du soleil. Je sais tout cela. Eh bien?
– Eh bien, mon commandant, le soleil vient de se coucher et la charrette qui apporte l’échelle n’est pas encore arrivée.
– Est-ce possible? Mais il faut pourtant que nous attaquions. L’heure est venue. Si nous tardions, les assiégés croiraient que nous reculons.
– Commandant, on peut attaquer.
– Mais l’échelle de sauvetage est nécessaire.
– Sans doute.
– Mais nous ne l’avons pas.
– Nous l’avons.
– Comment?
– C’est ce qui m’a fait dire: Ah! enfin! La charrette n’arrivait pas; j’ai pris ma longue-vue, et j’ai examiné la route de Parigné à la Tourgue, et, mon commandant, je suis content. La charrette est là-bas avec l’escorte; elle descend une côte. Vous pouvez la voir.
Gauvain prit la longue-vue et regarda.
– En effet. La voici. Il ne fait plus assez de jour pour tout distinguer. Mais on voit l’escorte, c’est bien cela. Seulement l’escorte me paraît plus nombreuse que vous ne le disiez, Guéchamp.
– Et à moi aussi.
– Ils sont à environ un quart de lieue.
– Mon commandant, l’échelle de sauvetage sera ici dans un quart d’heure.
– On peut attaquer.
C’était bien une charrette en effet qui arrivait, mais ce n’était pas celle qu’ils croyaient.
Gauvain, en se retournant, vit derrière lui le sergent Radoub, droit, les yeux baissés, dans l’attitude du salut militaire.
– Qu’est-ce, sergent Radoub?
– Citoyen commandant, nous, les hommes du bataillon du Bonnet-Rouge, nous avons une grâce à vous demander.
– Laquelle?
– De nous faire tuer.
– Ah! dit Gauvain.
– Voulez-vous avoir cette bonté?
– Mais… c’est selon, dit Gauvain.
– Voici, commandant. Depuis l’affaire de Dol, vous nous ménagez. Nous sommes encore douze.
– Eh bien?
– Ça nous humilie.
– Vous êtes la réserve.
– Nous aimons mieux être l’avant-garde.
– Mais j’ai besoin de vous pour décider le succès à la fin d’une action. Je vous conserve.
– Trop.
– C’est égal. Vous êtes dans la colonne. Vous marchez.
– Derrière. C’est le droit de Paris de marcher devant.
– J’y penserai, sergent Radoub.
– Pensez-y aujourd’hui, mon commandant. Voici une occasion. Il va y avoir un rude croc-en-jambe à donner ou à recevoir. Ce sera dru. La Tourgue brûlera les doigts de ceux qui y toucheront. Nous demandons la faveur d’en être.
Le sergent s’interrompit, se tordit la moustache, et reprit d’une voix altérée:
– Et puis, voyez-vous, mon commandant, dans cette tour, il y a nos mômes. Nous avons là nos enfants, les enfants du bataillon, nos trois enfants. Cette affreuse face de Gribouille-mon-cul-te-baise, le nommé Brise-Bleu, le nommé Imânus, ce Gouge-le-Bruant, ce Bouge-le-Gruand, ce Fouge-le-Truand, ce tonnerre de Dieu d’homme du diable, menace nos enfants. Nos enfants, nos mioches, mon commandant. Quand tous les tremblements s’en mêleraient, nous ne voulons pas qu’il leur arrive malheur. Entendez-vous ça, autorité? Nous ne le voulons pas. Tantôt, j’ai profité de ce qu’on ne se battait pas, et je suis monté sur le plateau, et je les ai regardés par une fenêtre, oui, ils sont vraiment là, on peut les voir du bord du ravin, et je les ai vus, et je leur ai fait peur, à ces amours. Mon commandant, s’il tombe un seul cheveu de leurs petites caboches de chérubins, je le jure, mille noms de noms de tout ce qu’il y a de sacré, moi le sergent Radoub, je m’en prends à la carcasse du Père Éternel. Et voici ce que dit le bataillon: nous voulons que les mômes soient sauvés, ou être tous tués. C’est notre droit, ventraboumine! oui, tous tués. Et maintenant, salut et respect.
Gauvain tendit la main à Radoub, et dit:
– Vous êtes des braves. Vous serez de la colonne d’attaque. Je vous partage en deux. Je mets six de vous à l’avant-garde, afin qu’on avance, et j’en mets six à l’arrière-garde, afin qu’on ne recule pas.
– Est-ce toujours moi qui commande les douze?
– Certes.
– Alors, mon commandant, merci. Car je suis de l’avant-garde.
Radoub refit le salut militaire et regagna le rang.
Gauvain tira sa montre, dit quelques mots à l’oreille de Guéchamp, et la colonne d’attaque commença à se former.
VIII LE VERBE ET LE RUGISSEMENT
Cependant Cimourdain, qui n’avait pas encore gagné son poste du plateau, et qui était à côté de Gauvain, s’approcha d’un clairon.
– Sonne à la trompe, lui dit-il.
Le clairon sonna, la trompe répondit.
Un son de clairon et un son de trompe s’échangèrent encore.
– Qu’est-ce que c’est? demanda Gauvain à Guéchamp. Que veut Cimourdain?
Cimourdain s’était avancé vers la tour, un mouchoir blanc à la main.
Il éleva la voix.
– Hommes qui êtes dans la tour, me connaissez-vous?
Une voix, la voix de l’Imânus, répliqua du haut de la tour:
– Oui.
Les deux voix alors se parlèrent et se répondirent, et l’on entendit ceci:
– Je suis l’envoyé de la République.
– Tu es l’ancien curé de Parigné.
– Je suis le délégué du Comité de salut public.
– Tu es un prêtre.
– Je suis le représentant de la loi.
– Tu es un renégat.
– Je suis le commissaire de la Révolution.
– Tu es un apostat.
– Je suis Cimourdain.
– Tu es le démon.
– Vous me connaissez?
– Nous t’exécrons.
– Seriez-vous contents de me tenir en votre pouvoir?
– Nous sommes ici dix-huit qui donnerions nos têtes pour avoir la tienne.
– Eh bien, je viens me livrer à vous.
On entendit au haut de la tour un éclat de rire sauvage et ce cri:
– Viens!
Il y avait dans le camp un profond silence d’attente.
Cimourdain reprit:
– À une condition.
– Laquelle?
– Écoutez.
– Parle.
– Vous me haïssez?
– Oui.
– Moi, je vous aime. Je suis votre frère.
La voix du haut de la tour répondit:
– Oui, Caïn.
Cimourdain repartit avec une inflexion singulière, qui était à la fois haute et douce:
– Insultez, mais écoutez. Je viens ici en parlementaire. Oui, vous êtes mes frères. Vous êtes de pauvres hommes égarés. Je suis votre ami. Je suis la lumière et je parle à l’ignorance. La lumière contient toujours de la fraternité. D’ailleurs, est-ce que nous n’avons pas tous la même mère, la patrie? Eh bien, écoutez-moi. Vous saurez plus tard, ou vos enfants sauront, ou les enfants de vos enfants sauront que tout ce qui se fait en ce moment se fait par l’accomplissement des lois d’en haut, et que ce qu’il y a dans la Révolution, c’est Dieu. En attendant le moment où toutes les consciences, même les vôtres, comprendront, et où tous les fanatismes, même les nôtres, s’évanouiront, en attendant que cette grande clarté soit faite, personne n’aura-t-il pitié de vos ténèbres? Je viens à vous, je vous offre ma tête; je fais plus, je vous tends la main. Je vous demande la grâce de me perdre pour vous sauver. J’ai pleins pouvoirs, et ce que je dis, je le puis. C’est un instant suprême; je fais un dernier effort. Oui, celui qui vous parle est un citoyen, et dans ce citoyen, oui, il y a un prêtre. Le citoyen vous combat, mais le prêtre vous supplie. Écoutez-moi. Beaucoup d’entre vous ont des femmes et des enfants. Je prends la défense de vos enfants et de vos femmes. Je prends leur défense contre vous. Ô mes frères…
– Va, prêche! ricana l’Imânus.
Cimourdain continua:
