La Dame Aux Camelias
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Inspir? de sa relation avec Marie Duplessis, le roman puis le drame c?l?bre de Dumas fils est l'histoire de Armand et Marguerite qui parviendront ? vaincre tous les obstacles pour vivre leur amour.
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Je gagnais trois cents louis.
Tous les joueurs étaient déjà en bas, moi seul étais resté en arrière sans que l'on s'en aperçût, car je n'étais l'ami d'aucun de ces messieurs.
Olympe éclairait elle-même l'escalier et j'allais descendre comme les autres, quand, revenant vers elle, je lui dis:
– Il faut que je vous parle.
– Demain, me dit-elle.
– Non, maintenant.
– Qu'avez-vous à me dire?
– Vous le verrez.
Et je rentrai dans l'appartement.
– Vous avez perdu, lui dis-je?
– Oui.
– Tout ce que vous aviez chez vous?
Elle hésita.
– Soyez franche.
– Eh bien, c'est vrai.
– J'ai gagné trois cents louis, les voilà, si vous voulez me garder ici.
Et, en même temps, je jetai l'or sur la table.
– Et pourquoi cette proposition?
– Parce que je vous aime, pardieu!
– Non, mais parce que vous êtes amoureux de Marguerite et que vous voulez vous venger d'elle en devenant mon amant. On ne trompe pas une femme comme moi, mon cher ami; malheureusement je suis encore trop jeune et trop belle pour accepter le rôle que vous me proposez.
– Ainsi, vous refusez?
– Oui.
– Préférez-vous m'aimer pour rien? C'est moi qui n'accepterais pas alors. Réfléchissez, ma chère Olympe; je vous aurais envoyé une personne quelconque vous proposer ces trois cents louis de ma part aux conditions que j'y mets, vous eussiez accepté. J'ai mieux aimé traiter directement avec vous. Acceptez sans chercher les causes qui me font agir; dites-vous que vous êtes belle, et qu'il n'y a rien d'étonnant que je sois amoureux de vous.
Marguerite était une fille entretenue comme Olympe, et cependant je n'eusse jamais osé lui dire, la première fois que je l'avais vue, ce que je venais de dire à cette femme. C'est que j'aimais Marguerite, c'est que j'avais deviné en elle des instincts qui manquaient à cette autre créature, et qu'au moment même où je proposais ce marché, malgré son extrême beauté, celle avec qui j'allais le conclure me dégoûtait.
Elle finit par accepter, bien entendu, et, à midi, je sortis de chez elle son amant: mais je quittai son lit sans emporter le souvenir des caresses et des mots d'amour qu'elle s'était crue obligée de me prodiguer pour les six mille francs que je lui laissais.
Et cependant on s'était ruiné pour cette femme-là.
À compter de ce jour, je fis subir à Marguerite une persécution de tous les instants. Olympe et elle cessèrent de se voir, vous comprenez aisément pourquoi. Je donnai à ma nouvelle maîtresse une voiture, des bijoux, je jouai, je fis enfin toutes les folies propres à un homme amoureux d'une femme comme Olympe. Le bruit de ma nouvelle passion se répandit aussitôt.
Prudence elle-même s'y laissa prendre et finit par croire que j'avais complètement oublié Marguerite. Celle-ci, soit qu'elle eût deviné le motif qui me faisait agir, soit qu'elle se trompât comme les autres, répondait par une grande dignité aux blessures que je lui faisais tous les jours. Seulement elle paraissait souffrir, car partout où je la rencontrais, je la revoyais toujours de plus en plus pâle, de plus en plus triste. Mon amour pour elle, exalté à ce point qu'il se croyait devenu de la haine, se réjouissait à la vue de cette douleur quotidienne. Plusieurs fois, dans des circonstances où je fus d'une cruauté infâme, Marguerite leva sur moi des regards si suppliants que je rougissais du rôle que j'avais pris, et que j'étais près de lui en demander pardon.
Mais ces repentirs avaient la durée de l'éclair et Olympe, qui avait fini par mettre toute espèce d'amour-propre de côté, et compris qu'en faisant du mal à Marguerite, elle obtiendrait de moi tout ce qu'elle voudrait, m'excitait sans cesse contre elle, et l'insultait chaque fois qu'elle en trouvait l'occasion, avec cette persistante lâcheté de la femme autorisée par un homme.
Marguerite avait fini par ne plus aller ni au bal, ni au spectacle, dans la crainte de nous y rencontrer, Olympe et moi. Alors les lettres anonymes avaient succédé aux impertinences directes, et il n'y avait honteuses choses que je n'engageasse ma maîtresse à raconter et que je ne racontasse moi-même sur Marguerite.
Il fallait être fou pour en arriver là. J'étais comme un homme qui, s'étant grisé avec du mauvais vin, tombe dans une de ces exaltations nerveuses où la main est capable d'un crime sans que la pensée y soit pour quelque chose. Au milieu de tout cela, je souffrais le martyre. Le calme sans dédain, la dignité sans mépris, avec lesquels Marguerite répondait à toutes mes attaques, et qui à mes propres yeux la faisaient supérieure à moi, m'irritaient encore contre elle.
Un soir, Olympe était allée je ne sais où, et s'y était rencontrée avec Marguerite, qui cette fois n'avait pas fait grâce à la sotte fille qui l'insultait, au point que celle-ci avait été forcée de céder la place. Olympe était rentrée furieuse, et l'on avait emporté Marguerite évanouie.
En rentrant, Olympe m'avait raconté ce qui s'était passé, m'avait dit que Marguerite, la voyant seule, avait voulu se venger de ce qu'elle était ma maîtresse, et qu'il fallait que je lui écrivisse de respecter, moi absent ou non, la femme que j'aimais.
Je n'ai pas besoin de vous dire que j'y consentis, et que tout ce que je pus trouver d'amer, de honteux et de cruel, je le mis dans cette épître que j'envoyai le jour même à son adresse.
Cette fois le coup était trop fort pour que la malheureuse le supportât sans rien dire.
Je me doutais bien qu'une réponse allait m'arriver; aussi étais-je résolu à ne pas sortir de chez moi de tout le jour.
Vers deux heures on sonna et je vis entrer Prudence.
J'essayai de prendre un air indifférent pour lui demander à quoi je devais sa visite; mais ce jour-là madame Duvernoy n'était pas rieuse, et d'un ton sérieusement ému elle me dit que, depuis mon retour, c'est-à-dire depuis trois semaines environ, je n'avais pas laissé échapper une occasion de faire de la peine à Marguerite; qu'elle en était malade, et que la scène de la veille et ma lettre du matin l'avaient mise dans son lit.
Bref, sans me faire de reproches, Marguerite m'envoyait demander grâce, en me faisant dire qu'elle n'avait plus la force morale ni la force physique de supporter ce que je lui faisais.
– Que mademoiselle Gautier, dis-je à Prudence, me congédie de chez elle, c'est son droit, mais qu'elle insulte une femme que j'aime, sous prétexte que cette femme est ma maîtresse, c'est ce que je ne permettrai jamais.
– Mon ami, me fit Prudence, vous subissez l'influence d'une fille sans cœur et sans esprit; vous en êtes amoureux, il est vrai, mais ce n'est pas une raison pour torturer une femme qui ne peut se défendre.