Lettres De Mon Moulin

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Lettres De Mon Moulin
Название: Lettres De Mon Moulin
Автор: Daudet Alphonse
Дата добавления: 16 январь 2020
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Lettres De Mon Moulin - читать бесплатно онлайн , автор Daudet Alphonse

Ce recueil de nouvelles (ou lettres) d’Alphonse Daudet a ?t? publi? chez Hetzel en 1869.

Ces lettres ont ?t? r?dig?es en partie avec Paul Ar?ne entre 1866 et 1869 et publi?es tout d’abord dans la presse (Le Figaro, L’Ev?nement, Le Bien Public)

L’?dition originale ne comportait que 19 lettres. Celle de 1879, chez le m?me ?diteur en comporte 24.

Le premier charme de ce recueil est de restituer les odeurs de la Provence et d’y camper des personnages pittoresques: le cur? gourmand, l’amoureux, le po?te, le berger, le joueur de fifre, les voyageurs de la diligence… Dans ce recueil Daudet parvient aussi ? allier tendresse et malice. Il se moque avec gentillesse des manies d’un pape avignonnais, des douaniers paresseux, d’un pr?tre ?picurien, ou d’une femme l?g?re…

Les Lettres de mon Moulin est aujourd’hui l’?uvre de Daudet la plus connue. Pourtant ? la parution, elle passa quasiment inaper?ue. C’est Daudet lui m?me qui raconte: « Le volume parut chez Hetzel en 1869, se vendit p?niblement ? deux mille exemplaires, attendant comme les autres ?uvres e mes d?buts, que la vogue des romans leur fit un regain de vente et de publicit?. N’importe! C’est encore l? mon livre pr?f?r?, non pas au point de vue litt?raire, mais parce qu’il me rappelle les plus belles heures de ma jeunesse, rires fous, ivresses sans remords, des visages et des aspects amis que je ne reverrai plus jamais ».

Jeune encore et d?j? lass? du sombre et bruyant Paris, Alphonse Daudet vient de passer les ?t?s dans son moulin de Fontvielle, " piqu? comme un papillon " sur la colline parmi les lapins. Dans cette ruine ensoleill?e de la vall?e du Rh?ne, naissent ces contes immortels qui assureront sa gloire. Au loin, on entend la trompe de Monsieur Seguin sonnant sa jolie ch?vre blanche. Dans le petit bois de ch?nes verts, un sous-pr?fet s'endort en faisant des vers. Au ciel, o? les ?toiles se marient entre elles, le Cur? de Cucugnan compte ses malheureux paroissiens. Et dans la ville voisine, un jeune paysan meurt d'amour pour une petite Arl?sienne tout en velours et dentelles qu'on ne verra jamais. Le vieux moulins abandonn? est devenu l'?me et l'esprit de la Provence. Dans le silence des Alpilles ou le trapage des cigales et des tambourins, parfum?s d'?motions, de sourires et de larmes, ces contes semblent frapp?s d'une ?ternelle jeunesse.

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A partir de ce moment, l’herbe du clos lui parut fade. L’ennui lui vint. Elle maigrit, son lait se fit rare. C’était pitié de la voir tirer tout le jour sur sa longe, la tête tournée du côté de la montagne, la narine ouverte, en faisant Mé!… tristement.

M. Seguin s’apercevait bien que sa chèvre avait quelque chose, mais il ne savait pas ce que c’était… Un matin, comme il achevait de la traire, la chèvre se retourna et lui dit dans son patois:

«Ecoutez, monsieur Seguin, je me languis chez vous, laissez-moi aller dans la montagne.

– Ah! mon Dieu!… Elle aussi!» cria M. Seguin stupéfait, et du coup il laissa tomber son écuelle; puis, s’asseyant dans l’herbe à côté de sa chèvre:

«Comment, Blanquette, tu veux me quitter!»

Et Blanquette répondit:

«Oui, monsieur Seguin.

– Est-ce que l’herbe te manque ici?

– Oh! non, monsieur Seguin.

– Tu es peut-être attachée de trop court. Veux-tu que j’allonge la corde?

– Ce n’est pas la peine, monsieur Seguin.

– Alors, qu’est-ce qu’il te faut? qu’est-ce que tu veux?

– Je veux aller dans la montagne, monsieur Seguin.

– Mais, malheureuse, tu ne sais pas qu’il y a le loup dans la montagne… Que feras-tu quand il viendra?:

– Je lui donnerai des coups de cornes, monsieur Seguin.

– Le loup se moque bien de tes cornes. Il m’a mangé des biques autrement encornées que toi… Tu sais bien, la pauvre vieille Renaude qui était ici l’an dernier? une maîtresse chèvre, forte et méchante comme un bouc. Elle s’est battue avec le loup toute la nuit… puis, le matin, le loup l’a mangée.

– Pécaïre! Pauvre Renaude!… Ça ne fait rien, monsieur Seguin, laissez-moi aller dans la montagne.

– Bonté divine!… dit M. Seguin; mais qu’est-ce qu’on leur fait donc à mes chèvres? Encore une que le loup va me manger… Eh bien, non… je te sauverai malgré toi, coquine! et de peur que tu ne rompes ta corde, je vais t’enfermer dans l’étable, et tu y resteras toujours.»

Là-dessus, M. Seguin emporte la chèvre dans une étable toute noire, dont il ferma la porte à double tour. Malheureusement, il avait oublié la fenêtre, et à peine eut-il le dos tourné, que la petite s’en alla…

Tu ris, Gringoire? Parbleu! je crois bien; tu es du parti des chèvres, toi, contre ce bon M. Seguin… Nous allons voir si tu riras tout à l’heure.

Quand la chèvre blanche arriva dans la montagne, ce fut un ravissement général. Jamais les vieux sapins n’avaient rien vu d’aussi joli. On la reçut comme une petite reine. Les châtaigniers se baissaient jusqu’à terre pour la caresser du bout de leurs branches. Les genêts d’or s’ouvraient sur son passage, et sentaient bon tant qu’ils pouvaient. Toute la montagne lui fit fête.

Tu penses, Gringoire, si notre chèvre était heureuse! Plus de corde, plus de pieu… rien qui l’empêchât de gambader, de brouter à sa guise… C’est là qu’il y en avait de l’herbe! jusque par-dessus les cornes, mon cher!… Et quelle herbe! Savoureuse, fine, dentelée, faite de mille plantes… C’était bien autre chose que le gazon du clos. Et les fleurs donc!… De grandes campanules bleues, des digitales de pourpre à longs calices, toute une forêt de fleurs sauvages débordant de sucs capiteux!…

La chèvre blanche, à moitié saoule, se vautrait là-dedans les jambes en l’air et roulait le long des talus, pêle-mêle, avec les feuilles tombées et les châtaignes… Puis, tout à coup, elle se redressait d’un bond sur ses pattes. Hop! la voilà partie, la tête en avant, à travers les maquis et les buissières, tantôt sur un pic, tantôt au fond d’un ravin, là-haut, en bas, partout… On aurait dit qu’il y avait dix chèvres de M. Seguin dans la montagne. C’est qu’elle n’avait peur de rien, la Blanquette.

Elle franchissait d’un saut de grands torrents qui l’éclaboussaient au passage de poussière humide et d’écume. Alors, toute ruisselante, elle allait s’étendre sur quelque roche plate et se faisait sécher par le soleil… Une fois, s’avançant au bord d’un plateau, une fleur de cytise aux dents, elle aperçut en bas, tout en bas dans la plaine, la maison de M. Seguin avec le clos derrière. Cela la fit rire aux larmes.

«Que c’est petit! dit-elle; comment ai-je pu tenir là-dedans?»

Pauvrette! de se voir si haut perchée, elle se croyait au moins aussi grande que le monde…

En somme, ce fut une bonne journée pour la chèvre de M. Seguin. Vers le milieu du jour, en courant de droite et de gauche, elle tomba dans un groupe de chamois en train de croquer une lambrusque à belles dents. Notre petite coureuse en robe blanche fit sensation. On lui donna la meilleure place à la lambrusque, et tous ces messieurs furent très galants… Il paraît même – ceci doit rester entre nous, Gringoire – qu’un jeune chamois à pelage noir eut la bonne fortune de plaire à Blanquette. Les deux amoureux s’égarèrent parmi le bois une heure ou deux, et si tu veux savoir ce qu’ils dirent, va le demander aux sources bavardes qui courent invisibles dans la mousse.

Tout à coup le vent fraîchit. La montagne devint violette; c’était le soir…

«Déjà!» dit la petite chèvre, et elle s’arrêta fort étonnée.

En bas, les champs étaient noyés de brume. Le clos de M. Seguin disparaissait dans le brouillard, et de la maisonnette on ne voyait plus que le toit avec un peu de fumée. Elle écouta les clochettes d’un troupeau qu’on ramenait, et se sentit l’âme toute triste… Un gerfaut, qui rentrait, la frôla de ses ailes en passant. Elle tressaillit… Puis ce fut un hurlement dans la montagne:

«Hou! hou!»

Elle pensa au loup, de tout le jour la folle n’y avait pas pensé… Au même moment une trompe sonna bien loin dans la vallée. C’était ce bon M. Seguin qui tentait un dernier effort.

«Hou! hou!… faisait le loup.

– Reviens! reviens!…» criait la trompe.

Blanquette eut envie de revenir; mais en se rappelant le pieu, la corde, la haie du clos, elle pensa que maintenant elle ne pouvait plus se faire à cette vie, et qu’il valait mieux rester.

La trompe ne sonnait plus…

La chèvre entendit derrière elle un bruit de feuilles.

Elle se retourna et vit dans l’ombre deux oreilles courtes, toutes droites, avec deux yeux qui reluisaient… C’était le loup.

Enorme, immobile, assis sur son train de derrière, il était là regardant la petite chèvre blanche et la dégustant par avance. Comme il savait bien qu’il la mangerait, le loup ne se pressait pas; seulement, quand elle se retourna, il se mit à rire méchamment.

«Ha! ha! la petite chèvre de M. Seguin»; et il passa sa grosse langue rouge sur ses babines d’amadou.

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