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Le pere Goriot

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Le pere Goriot
Название: Le pere Goriot
Дата добавления: 15 январь 2020
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Le pere Goriot - читать бесплатно онлайн , автор де Бальзак Оноре

 

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Cette journée devait être jusqu’au soir une fantasmagorie pour Eugène, qui, malgré la force de son caractère et la bonté de sa tête, ne savait comment classer ses idées, quand il se trouva dans le fiacre à côté du père Goriot dont les discours trahissaient une joie inaccoutumée, et retentissaient à son oreille, après tant d’émotions, comme les paroles que nous entendons en rêve.

— C’est fini de ce matin. Nous dînons tous les trois ensemble, ensemble ! comprenez-vous ? Voici quatre ans que je n’ai dîné avec ma Delphine, ma petite Delphine. Je vais l’avoir à moi pendant toute une soirée. Nous sommes chez vous depuis ce matin. J’ai travaillé comme un manœuvre, habit bas. J’aidais à porter les meubles. Ah ! ah ! vous ne savez pas comme elle est gentille à table, elle s’occupera de moi : « Tenez, papa, mangez donc de cela, c’est bon. » Et alors je ne peux pas manger. Oh ! y a-t-il long-temps que je n’ai été tranquille avec elle comme nous allons l’être !

— Mais, lui dit Eugène, aujourd’hui le monde est donc renversé ?

— Renversé ? dit le père Goriot. Mais à aucune époque le monde n’a si bien été. Je ne vois que des figures gaies dans les rues, des gens qui se donnent des poignées de main, et qui s’embrassent ; des gens heureux comme s’ils allaient tous dîner chez leurs filles, y gobichonnerun bon petit dîner qu’elle a commandé devant moi au chef du café des Anglais. Mais, bah ! près d’elle le chicotin serait doux comme miel.

— Je crois revenir à la vie, dit Eugène.

— Mais marchez donc, cocher, cria le père Goriot en ouvrant la glace de devant. Allez donc plus vite, je vous donnerai cent sous pour boire si vous me menez en dix minutes là où vous savez. En entendant cette promesse, le cocher traversa Paris avec la rapidité de l’éclair.

— Il ne va pas, ce cocher, disait le père Goriot.

— Mais où me conduisez-vous donc, lui demanda Rastignac.

— Chez vous, dit le père Goriot.

La voiture s’arrêta rue d’Artois. Le bonhomme descendit le premier et jeta dix francs au cocher, avec la prodigalité d’un homme veuf qui, dans le paroxysme de son plaisir, ne prend garde à rien.

— Allons, montons, dit-il à Rastignac en lui faisant traverser une cour et le conduisant à la porte d’un appartement situé au troisième étage, sur le derrière d’une maison neuve et de belle apparence. Le père Goriot n’eut pas besoin de sonner. Thérèse, la femme de chambre de madame de Nucingen, leur ouvrit la porte. Eugène se vit dans un délicieux appartement de garçon, composé d’une antichambre, d’un petit salon, d’une chambre à coucher et d’un cabinet ayant vue sur un jardin. Dans le petit salon, dont l’ameublement et le décor pouvaient soutenir la comparaison avec ce qu’il y avait de plus joli, de plus gracieux, il aperçut, à la lumière des bougies, Delphine, qui se leva d’une causeuse, au coin du feu, mit son écran sur la cheminée, et lui dit avec une intonation de voix chargée de tendresse : — Il a donc fallu vous aller chercher, monsieur qui ne comprenez rien.

Thérèse sortit. L’étudiant prit Delphine dans ses bras, la serra vivement et pleura de joie. Ce dernier contraste entre ce qu’il voyait et ce qu’il venait de voir, dans un jour où tant d’irritations avaient fatigué son cœur et sa tête, détermina chez Rastignac un accès de sensibilité nerveuse.

— Je savais bien, moi, qu’il t’aimait, dit tout bas le père Goriot à sa fille pendant qu’Eugène abattu gisait sur la causeuse sans pouvoir prononcer une parole ni se rendre compte encore de la manière dont ce dernier coup de baguette avait été frappé.

— Mais venez donc voir, lui dit madame de Nucingen en le prenant par la main et l’emmenant dans une chambre dont les tapis, les meubles et les moindres détails lui rappelèrent, en de plus petites proportions, celle de Delphine.

— Il y manque un lit, dit Rastignac.

— Oui, monsieur, dit-elle en rougissent et lui serrant la main.

Eugène la regarda, et comprit, jeune encore, tout ce qu’il y avait de pudeur vraie dans un cœur de femme aimante.

— Vous êtes une de ces créatures que l’on doit adorer toujours, lui dit-elle [dit-il] à l’oreille. Oui, j’ose vous le dire, puisque nous nous comprenons si bien : plus vif et sincère est l’amour, plus il doit être voilé, mystérieux. Ne donnons notre secret à personne.

— Oh ! je ne serai pas quelqu’un, moi, dit le père Goriot en grognant.

— Vous savez bien que vous êtes nous, vous…

— Ah ! voilà ce que je voulais. Vous ne ferez pas attention à moi, n’est-ce pas ? J’irai, je viendrai comme un bon esprit qui est partout, et qu’on sait être là sans le voir. Eh ! bien, Delphinette, Ninette, Dedel ! n’ai-je pas eu raison de te dire : « Il y a un joli appartement rue d’Artois, meublons-le pour lui ! » Tu ne voulais pas. Ah ! c’est moi qui suis l’auteur de ta joie, comme je suis l’auteur de tes jours. Les pères doivent toujours donner pour être heureux. Donner toujours, c’est ce qui fait qu’on est père.

— Comment ? dit Eugène.

— Oui, elle ne voulait pas, elle avait peur qu’on ne dît des bêtises, comme si le monde valait le bonheur ! Mais toutes les femmes rêvent de faire ce qu’elle fait…

Le père Goriot parlait tout seul, madame de Nucingen avait emmené Rastignac dans le cabinet où le bruit d’un baiser retentit, quelque légèrement qu’il fût pris. Cette pièce était en rapport avec l’élégance de l’appartement, dans lequel d’ailleurs rien ne manquait.

— A-t-on bien deviné vos vœux ? dit-elle en revenant dans le salon pour se mettre à table.

— Oui, dit-il, trop bien. Hélas ! ce luxe si complet, ces beaux rêves réalisés, toutes les poésies d’une vie jeune, élégante, je les sens trop pour ne pas les mériter ; mais je ne puis les accepter de vous, et je suis trop pauvre encore pour…

— Ah ! ah ! vous me résistez déjà, dit-elle d’un petit air d’autorité railleuse en faisant une de ces jolies moues que font les femmes quand elles veulent se moquer de quelque scrupule pour le mieux dissiper.

Eugène s’était trop solennellement interrogé pendant cette journée, et l’arrestation de Vautrin, en lui montrant la profondeur de l’abîme dans lequel il avait failli rouler, venait de trop bien corroborer ses sentiments nobles et sa délicatesse pour qu’il cédât à cette caressante réfutation de ses idées généreuses. Une profonde tristesse s’empara de lui.

— Comment ! dit madame de Nucingen, vous refuseriez ? Savez-vous ce que signifie un refus semblable ? Vous doutez de l’avenir, vous n’osez pas vous lier à moi. Vous avez donc peur de trahir mon affection ? Si vous m’aimez, si je… vous aime, pourquoi reculez-vous devant d’aussi minces obligations ? Si vous connaissiez le plaisir que j’ai eu à m’occuper de tout ce ménage de garçon, vous n’hésiteriez pas, et vous me demanderiez pardon. J’avais de l’argent à vous, je l’ai bien employé, voilà tout. Vous croyez être grand, et vous êtes petit. Vous demandez bien plus… (Ah ! dit-elle en saisissant un regard de passion chez Eugène) et vous faites des façons pour des niaiseries. Si vous ne m’aimez point, oh ! oui, n’acceptez pas. Mon sort est dans un mot. Parlez ? Mais, mon père, dites-lui donc quelques bonnes raisons, ajouta-t-elle en se tournant vers son père après une pause. Croit-il que je ne sois pas moins chatouilleuse que lui sur notre honneur ?

Le père Goriot avait le sourire fixe d’un thériaki en voyant, en écoutant cette jolie querelle.

— Enfant ! vous êtes à l’entrée de la vie, reprit-elle en saisissant la main d’Eugène, vous trouvez une barrière insurmontable pour beaucoup de gens, une main de femme vous l’ouvre, et vous reculez ! Mais vous réussirez, vous ferez une brillante fortune, le succès est écrit sur votre beau front. Ne pourrez-vous pas alors me rendre ce que je vous prête aujourd’hui ? Autrefois les dames ne donnaient-elles pas à leurs chevaliers des armures, des épées, des casques, des cottes de mailles, des chevaux, afin qu’ils pussent aller combattre en leur nom dans les tournois ? Eh ! bien, Eugène, les choses que je vous offre sont les armes de l’époque, des outils nécessaires à qui veut être quelque chose. Il est joli, le grenier où vous êtes, s’il ressemble à la chambre de papa. Voyons, nous ne dînerons donc pas ? Voulez-vous m’attrister ? Répondez donc ? dit-elle en lui secouant la main. Mon Dieu, papa, décide-le donc, ou je sors et ne le revois jamais.

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