Bug-Jargal
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En 1818, l 'auteur de ce livre avait seize ans et il paria qu'il ?crirait un volume en quinze jours. Il fit Bug-Jargal. C'est un roman d'aventures d?crivant les p?rip?ties de L?opold d'Auvernay, jeune officier de l'arm?e fran?aise, qui part pour Saint-Domingue, colonie fran?aise ? l'?poque, pour retrouver sa promise, fille d'un colon fran?ais, et l'?pouser. Cependant la veille de son mariage les esclaves, men?s par le myst?rieux Bug-Jargal, se r?voltent contre la domination des colons, et sa future ?pouse se fait enlever par un esclave, de qui L?opold pensait ?tre l'ami. Commence ensuite pour L?opold une course-poursuite ? travers l'?le pour retrouver sa bien-aim?e et pour assouvir sa vengeance…
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– Je ne gère pas mon armée, monsieur le planteur, je la commande.
– Fort bien, observa le citoyen; vous serez le général, je serai l'intendant. J'ai des connaissances spéciales pour la multiplication des bestiaux…
– Crois-tu que nous élevons les bestiaux? dit Biassou en ricanant; nous les mangeons. Quand le bétail de la colonie française me manquera, je passerai les mornes de la frontière, et j'irai prendre les bœufs et les moutons espagnols qu'on élève dans les hattes des grandes plaines de Cotuy, de la Vega, de Sant-Jago, et sur les bords de la Yuna; j'irai encore chercher, s'il le faut, ceux qui paissent dans la presqu'île de Samana et au revers de la montagne de Cibos, à partir des bouches du Neybe jusqu'au-delà de Santo-Domingo. D'ailleurs je serai charmé de punir ces damnés planteurs espagnols, ce sont eux qui ont livré Ogé! Tu vois que je ne suis pas embarrassé du défaut de vivres, et que je n'ai pas besoin de ta science nécessaire par excellence!
Cette vigoureuse déclaration déconcerta le pauvre économiste; il essaya pourtant encore une dernière planche de salut.
– Mes études ne se sont pas bornées à l'éducation du bétail. J'ai d'autres connaissances spéciales qui peuvent vous être fort utiles. Je vous indiquerai les moyens d'exploiter la braie et les mines de charbon de terre.
– Que m'importe! dit Biassou. Quand j'ai besoin de charbon, je brûle trois lieues de forêt.
– Je vous enseignerai à quel emploi est propre chaque espèce de bois, poursuivit le prisonnier; le chicaron et le sabiecca pour les quilles de navire, les yabas pour les courbes; les tocumas [40] pour les membrures; les hacamas, les gaïacs, les cèdres, les accomas…
– Que te lleven todos los demonios de las diez-y-siete infiernos! [41] s'écria Biassou impatienté.
– Plaît-il, mon gracieux patron? dit l'économiste tout tremblant, et qui n'entendait pas l'espagnol.
– Écoute, reprit Biassou, je n'ai pas besoin de vaisseaux. Il n'y a qu'un emploi vacant dans ma suite; ce n'est pas la place de mayor-domo , c'est la place de valet de chambre. Vois, señor filosofo , si elle te convient. Tu me serviras à genoux; tu m'apporteras la pipe, le calalou [42] et la soupe de tortue; et tu porteras derrière moi un éventail de plumes de paon ou de perroquet, comme ces deux pages que tu vois. Hum! réponds, veux-tu être mon valet de chambre?
Le citoyen C***, qui ne songeait qu'à sauver sa vie, se courba jusqu'à terre avec mille démonstrations de joie et de reconnaissance.
– Tu acceptes donc? demanda Biassou.
– Pouvez-vous douter, mon généreux maître, que j'hésite un moment devant une si insigne faveur que celle de servir votre personne?
À cette réponse, le ricanement diabolique de Biassou devint éclatant. Il croisa les bras, se leva d'un air de triomphe, et, repoussant du pied la tête du blanc prosterné devant lui, il s'écria d'une voix haute:
– J'étais bien aise d'éprouver jusqu'où peut aller la lâcheté des blancs, après avoir vu jusqu'où peut aller leur cruauté! Citoyen C***, c'est à toi que je dois ce double exemple. Je te connais! comment as-tu été assez stupide pour ne pas t'en apercevoir? C'est toi qui as présidé aux supplices de juin, de juillet et d'août; c'est toi qui as fait planter cinquante têtes de noirs des deux côtés de ton avenue, en place de palmiers; c'est toi qui voulais égorger les cinq cents nègres restés dans tes fers après la révolte, et ceindre la ville du Cap d'un cordon de têtes d'esclaves, du fort Picolet à la pointe Caracol. Tu aurais fait, si tu l'avais pu, un trophée de ma tête; maintenant tu t'estimerais heureux que je voulusse de toi pour valet de chambre. Non! non! j'ai plus de soin de ton honneur que toi-même; je ne te ferai pas cet affront. Prépare-toi à mourir.
Il fit un geste, et les noirs déposèrent auprès de moi le malheureux négrophile, qui, sans pouvoir prononcer une parole, était tombé à ses pieds comme foudroyé.