Les Quarante-Cinq Tome II
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Les Quarante-Cinq constitue le troisi?me volet du grand triptyque que Dumas a consacr? ? l'histoire de France de la Renaissance. Il ach?ve le r?cit de cette d?cadence de la seigneurie commenc? par La Reine Margot et poursuivi avec La Dame de Monsoreau. A cette ?poque d?chir?e, tout se joue sur fond de guerre : guerres de Religion, guerres dynastiques, guerres amoureuses. Aussi les h?ros meurent-ils plus souvent sur l'?chafaud que dans leur lit, et les h?ro?nes sont meilleures ma?tresses que m?res de famille. Ce qui fait la grandeur des personnages de Dumas, c'est que chacun suit sa pente jusqu'au bout, sans concession, mais avec panache. D'o? l'invincible sympathie qu'ils nous inspirent. Parmi eux, Chicot, le c?l?bre bouffon, qui prend la place du roi. C'est en lui que Dumas s'est reconnu. N'a-t-il pas tir? ce personnage enti?rement de son imagination ? Mais sa v?racit? lui permet d'?voluer avec aisance au milieu des personnages historiques dont il lie les destins. Dumas ayant achev? son roman ? la veille de la r?volution de 1848, Chicot incarne par avance la bouffonnerie de l'histoire.
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– Et si par malheur ce qu'on dit était vrai, et que réellement la pauvre fille eût été faible et eût succombé…
Henri leva les yeux au ciel.
– Ce qui est possible, continua-t-il. La femme est chose fragile, res fragilis mulier, comme dit l'Évangile.
– Eh bien! sire, je suis femme, et sais l'indulgence que je dois avoir pour les autres femmes.
– Ah! vous savez toutes choses, ma mie; vous êtes, en vérité, un modèle de perfection et…
– Et?
– Et je vous baise les mains.
– Mais croyez bien, sire, reprit Marguerite, que c'est pour l'amour de vous seul que je fais un pareil sacrifice.
– Oh! oh! dit Henri, je vous connais bien, madame, et mon frère de France aussi, lui qui dit tant de bien de vous dans cette lettre, et qui ajoute: Fiat sanum exemplum statim, atque res certior eveniet. Ce bon exemple, sans doute, ma mie, c'est celui que vous donnez.
Et Henri baisa la main à moitié glacée de Marguerite.
– Puis s'arrêtant sur le seuil de la porte:
– Mille tendresses de ma part à Fosseuse, madame, dit-il; occupez-vous d'elle comme vous m'avez promis de le faire, moi je pars pour la chasse; peut-être ne vous reverrai-je qu'au retour, peut-être même jamais… ces loups sont de mauvaises bêtes; venez, que je vous embrasse, ma mie.
Il embrassa presque affectueusement Marguerite, et sortit, la laissant stupéfaite de tout ce qu'elle venait d'entendre.
XLIX L'ambassadeur d'Espagne
Le roi rejoignit Chicot dans son cabinet.
Chicot était encore tout agité des craintes de l'explication.
– Eh bien! Chicot, fit Henri.
– Eh bien! sire, répondit Chicot.
– Tu ne sais pas ce que la reine prétend?
– Non.
– Elle prétend que ton maudit latin va troubler tout notre ménage.
– Eh! sire, s'écria Chicot, pour Dieu, oublions-le, ce latin, et tout sera dit. Il n'en est pas d'un morceau de latin déclamé comme d'un morceau de latin écrit, le vent emporte l'un, le feu ne peut pas quelquefois réussir à dévorer l'autre.
– Moi, dit Henri, je n'y pense plus, ou le diable m'emporte.
– À la bonne heure!
– J'ai bien autre chose à faire, ma foi, que de penser à cela.
– Votre Majesté préfère se divertir, hein?
– Oui, mon fils, dit Henri, assez mécontent du ton avec lequel Chicot avait prononcé ce peu de paroles; oui, Ma Majesté aime mieux se divertir.
– Pardon, mais je gêne peut-être Votre Majesté.
– Eh! mon fils, reprit Henri en haussant les épaules, je t'ai déjà dit que ce n'était pas ici comme au Louvre. Ici l'on fait au grand jour tout amour, toute guerre, toute politique.
Le regard du roi était si doux, son sourire si caressant, que Chicot se sentit tout enhardi.
– Guerre et politique moins qu'amour, n'est-ce pas, sire? dit-il.
– Ma foi, oui, mon cher ami, je l'avoue: ce pays est si beau, ces vins du Languedoc si savoureux, ces femmes de Navarre si belles!
– Eh! sire, reprit Chicot, vous oubliez la reine, ce me semble; les Navarraises sont-elles plus belles et plus accortes qu'elle, par hasard? En ce cas, j'en fais mon compliment aux Navarraises.
– Ventre saint-gris! tu as raison, Chicot, et moi qui oubliais que tu es ambassadeur, que tu représentes le roi Henri III, que le roi Henri III est frère de madame Marguerite, et que par conséquent devant toi, par convenance, je dois mettre madame Marguerite au-dessus de toutes les femmes! Mais il faut excuser mon imprudence, Chicot; je ne suis point habitué aux ambassadeurs, mon fils.
En ce moment, la porte du cabinet s'ouvrit, et d'Aubiac annonça d'une voix haute:
– M. l'ambassadeur d'Espagne.
Chicot fit sur son fauteuil un bond qui arracha un sourire au roi.
– Ma foi, dit Henri, voilà un démenti auquel je ne m'attendais pas. L'ambassadeur d'Espagne! Et que diable vient-il faire ici?
– Oui, répéta Chicot, que diable vient-il faire ici?
– Nous allons le savoir, dit Henri; peut-être notre voisin l'Espagnol a-t-il quelque démêlé de frontière à discuter avec moi.
– Je me retire, fit Chicot humblement. C'est sans doute un véritable ambassadeur que vous envoie S.M. Philippe II, tandis que moi…
– L'ambassadeur de France céder le terrain à l'Espagnol, et cela en Navarre! Ventre saint-gris! cela ne sera point; ouvre ce cabinet de livres, Chicot, et t'y installe.
– Mais de là j'entendrai tout malgré moi, sire.
– Eh! tu entendras, morbleu! que m'importe? je n'ai rien à cacher, moi. À propos, vous n'avez plus rien à me dire de la part du roi votre maître, monsieur l'ambassadeur?
– Non, sire, plus rien absolument.
– C'est cela, tu n'as plus qu'à voir et à entendre alors, comme font tous les ambassadeurs de la terre; tu seras donc à merveille dans ce cabinet pour faire ta charge. Vois de tous tes yeux et entends de toutes tes oreilles, mon cher Chicot.
Puis il ajouta:
– D'Aubiac, dis à mon capitaine des gardes d'introduire M. l'ambassadeur d'Espagne.
Chicot, en entendant cet ordre, se hâta d'entrer dans le cabinet des livres, dont il ferma soigneusement la tapisserie à personnages.
Un pas lent et compassé retentit sur le parquet sonore: c'était celui de l'ambassadeur de S.M. Philippe II.
Lorsque les préliminaires consacrés aux détails d'étiquette furent achevés et que Chicot eut pu se convaincre, du fond de sa cachette, que le Béarnais s'entendait fort bien à donner audience:
– Puis-je parler librement à Votre Majesté? demanda l'envoyé dans la langue espagnole, que tout Gascon ou Béarnais peut comprendre comme celle de son pays, à cause des analogies éternelles.
– Vous pouvez parler, monsieur, répondit le Béarnais.
Chicot ouvrit deux larges oreilles. L'intérêt était grand pour lui.
– Sire, dit l'ambassadeur, j'apporte la réponse de S.M. catholique.
– Bon! fit Chicot, s'il apporte la réponse, c'est qu'il y a eu demande.
– Touchant quel sujet? demanda Henri.
– Touchant vos ouvertures du mois dernier, sire.