La Dame de Monsoreau Tome II
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Le dimanche gras de l'ann?e 1578, apr?s la f?te du populaire, et tandis que s'?teignaient dans les rues les rumeurs de la joyeuse journ?e, commen?ait une f?te splendide dans le magnifique h?tel que venait de se faire b?tir, de l'autre c?t? de l'eau et presque en face du Louvre, cette illustre famille de Montmorency qui, alli?e ? la royaut? de France, marchait l'?gale des familles princi?res. Cette f?te particuli?re, qui succ?dait ? la f?te publique, avait pour but de c?l?brer les noces de Fran?ois d'Epinay de Saint-Luc, grand ami du roi Henri III et l'un des favoris les plus intimes, avec Jeanne de Coss?-Brissac, fille du mar?chal de France de ce nom. Le repas avait eu lieu au Louvre, et le roi, qui avait consenti ? grand-peine au mariage, avait paru au festin avec un visage s?v?re qui n'avait rien d'appropri? ? la circonstance …' 'La Dame de Monsoreau' est, ? la suite de 'La Reine Margot', le deuxi?me volet du somptueux ensemble historique que Dumas ?crivit sur la Renaissance.
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– Eh bien, mais, dit le duc d'Anjou en essayant de reprendre l'assurance que l'ironie du duc de Guise venait de battre si cruellement en brèche, quel intérêt avais-je donc à la mort du roi mon frère, puisque le successeur de Charles IX devait se nommer Henri III?
– Un instant, monseigneur, entendons-nous: il y avait déjà un trône vacant, celui de Pologne. La mort du roi Charles IX en laissait un autre, celui de France. Sans doute, je le sais bien, votre frère aîné eût incontestablement choisi le trône de France. Mais c'était encore un pis-aller fort désirable que le trône de Pologne; il y a bien des gens qui, à ce qu'on m'assure, ont ambitionné le pauvre petit trônelet du roi de Navarre. Puis, d'ailleurs, cela vous rapprochait toujours d'un degré, et c'était alors à vous que profitaient les accidents. Le roi Henri III est bien revenu de Varsovie en dix jours, pourquoi n'eussiez-vous pas fait, en cas d'accident toujours, ce qu'a fait le roi Henri III?
Henri III regarda Chicot, qui à son tour regarda le roi, non plus avec cette expression de malice et de sarcasme qu'on lisait d'ordinaire dans l'œil du fou, mais avec un intérêt presque tendre qui s'effaça presque aussitôt sur son visage bronzé par le soleil du Midi.
– Que concluez-vous, duc? demanda alors le duc d'Anjou, mettant ou plutôt essayant de mettre fin à cet entretien dans lequel venait de percer tout le mécontentement du duc de Guise.
– Monseigneur, je conclus que chaque roi a son accident, comme nous l'avons dit tout à l'heure. Or vous, vous êtes l'accident inévitable du roi Henri III, surtout si vous êtes chef de la Ligue, attendu qu'être chef de la Ligue, c'est presque être le roi du roi, sans compter qu'en vous faisant chef de la Ligue vous supprimez l'accident du règne prochain de Votre Altesse, c'est-à-dire le Béarnais.
– Prochain! l'entends-tu? s'écria Henri III.
– Ventre de biche! je le crois bien que j'entends! dit Chicot.
– Ainsi… dit le duc de Guise.
– Ainsi, répéta le duc d'Anjou, j'accepterai, c'est votre avis, n'est-ce pas?
– Comment donc! dit le prince lorrain, je vous en supplie d'accepter, monseigneur.
– Et vous, ce soir?
– Oh! soyez tranquille, depuis ce matin mes hommes sont en campagne, et ce soir Paris sera curieux.
– Que fait-on donc ce soir à Paris? demanda Henri.
– Comment! tu ne devines pas?
– Non.
– Oh! que tu es niais, mon fils! Ce soir on signe la Ligue, publiquement, s'entend, car il y a longtemps qu'on la signe et qu'on la ressigne en cachette; on n'attendait que ton aveu; tu l'as donné ce matin, et l'on signe ce soir, ventre de biche! Tu le vois, Henri, tes accidents, car tu en as deux, toi…- Tes accidents ne perdent pas de temps.
– C'est bien, dit le duc d'Anjou: à ce soir, duc.
– Oui, à ce soir, dit Henri.
– Comment, reprit Chicot, tu t'exposeras à courir les rues de la capitale ce soir, Henri?
– Sans doute.
– Tu as tort, Henri.
– Pourquoi cela?
– Gare les accidents!
– Je serai bien accompagné, sois tranquille; d'ailleurs, viens avec moi.
– Allons donc, tu me prends pour un huguenot, mon fils, non pas. Je suis bon catholique, moi, et je veux signer la Ligue, et cela plutôt dix fois qu'une, plutôt cent fois que dix.
Les voix du duc d'Anjou et du duc de Guise s'éteignirent.
– Encore un mot, dit le roi en arrêtant Chicot, qui tendait à s'éloigner: – Que penses-tu de tout ceci?
– Je pense que chacun des rois vos prédécesseurs ignorait son accident: Henri II n'avait pas prévu l'œil; François II n'avait pas prévu l'oreille; Antoine de Bourbon n'avait pas prévu l'épaule; Jeanne d'Albret n'avait pas prévu le nez; Charles IX n'avait pas prévu la bouche. Vous avez donc un grand avantage sur eux, maître Henri, car, ventre de biche! vous connaissez votre frère, n'est-ce pas, sire?
– Oui, dit Henri, et par la mordieu! avant peu on s'en apercevra.
XV La soirée de la Ligue.
Paris, tel que nous le connaissons, n'a plus dans ses fêtes qu'un bruit plus ou moins grand, qu'une foule plus ou moins considérable; mais c'est toujours le même bruit; c'est toujours la même foule; le Paris d'autrefois avait plus que cela. Le coup d'œil était beau, à travers ces rues étroites, au pied de ces maisons à balcons, à poutrelles et à pignons, dont chacune avait son caractère, de voir les myriades de gens pressés qui se ruaient vers un même point, occupés en chemin de se regarder, de s'admirer, de se huer les uns les autres, à cause de l'étrangeté de celui-ci ou de celui-là. C'est qu'autrefois habits, armes, langage, geste, voix, allure, tout faisait un détail curieux, et ces mille détails assemblés sur un seul point composaient un tout des plus intéressants.
Or voilà ce qu'était Paris, à huit heures du soir, le jour où M. de Guise, après sa visite au roi et sa conversation avec M. le duc d'Anjou, imagina de faire signer la Ligue aux bourgeois de la bonne ville, capitale du royaume.
Une foule de bourgeois vêtus de leurs plus beaux habits, comme pour une fête, ou couverts de leurs plus belles armes, comme pour une revue ou un combat, se dirigeaient vers les églises: la contenance de tous ces hommes mus par un même sentiment, et marchant vers un même but, était à la fois joyeuse et menaçante, surtout lorsqu'ils passaient devant un poste de Suisses ou de chevau-légers. Cette contenance, et notamment les cris, les huées et les bravades qui l'accompagnaient, eussent donné de l'inquiétude à M. de Morvilliers, si ce magistrat n'eût connu ses bons Parisiens, gens railleurs et agaçants, mais incapables de faire du mal les premiers, à moins qu'un méchant ami ne les y pousse, ou qu'un ennemi imprudent ne les provoque.
Ce qui ajoutait encore au bruit que faisait cette foule, et surtout à la variété du coup d'œil qu'elle présentait, c'est que beaucoup de femmes, dédaignant de garder la maison pendant un si grand jour, avaient, de gré ou de force, suivi leurs maris; quelques-unes avaient fait mieux encore: elles avaient amené la kyrielle de leurs enfants; et c'était une chose curieuse à voir que ces marmots attelés aux monstrueux mousquets, aux sabres gigantesques ou aux terribles hallebardes de leurs pères. En effet, dans tous les temps, dans toutes les époques, dans tous les siècles, le gamin de Paris aima toujours à traîner une arme quand il ne pouvait pas encore la porter, ou à l'admirer chez autrui quand il ne peut pas la traîner lui-même.
De temps en temps un groupe, plus animé que les autres, faisait voir le jour aux vieilles épées en les tirant du fourreau: c'était surtout lorsqu'on passait devant quelque logis flairant son huguenot que cette démonstration hostile avait lieu. Alors les enfants criaient à tue-tête: «À la Saint-Barthélemy!… my! my!» tandis que les pères criaient: «Aux fagots les parpaillots! aux fagots! aux fagots!»