Le Dernier Jour Dun Condamn?
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? la prison de Bic?tre, un condamn? ? mort note heure par heure les ?v?nements d'une journ?e dont il apprend qu'elle sera la derni?re. Il rappelle les circonstances de la sentence, puis de son emprisonnement et la raison qui le fait ?crire, jusqu'au moment o? il lui sera physiquement impossible de continuer. D?crivant sa cellule, d?taillant la progression de la journ?e, ?voquant d'horribles souvenirs comme le ferrement des for?ats, la complainte argotique d'une jeune fille, des r?ves, il en arrive au transfert ? la Conciergerie……
Hugo ne donne pas son nom, ne dit presque rien sur son pass?, ni pourquoi cet homme est emprisonn?. Peu importe! Ce texte est un plaidoyer contre la peine de mort, contre toutes les peines de mort, il n'a pour objet que cette mort qui appara?t dans toute son horreur inou?e et impensable, dans son inhumanit? intrins?que. Ce condamn? «anonyme», n'est personne, et donc tout le monde, et nous vivons sa peur et son Enfer.
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La société est entre deux. Le châtiment est au-dessus d’elle, la vengeance au-dessous. Rien de si grand et de si petit ne lui sied. Elle ne doit pas «punir pour se venger»; elle doit corriger pour améliorer . Transformez de cette façon la formule des criminalistes, nous la comprenons et nous y adhérons.
Reste la troisième et dernière raison, la théorie de l’exemple. – Il faut faire des exemples! il faut épouvanter par le spectacle du sort réservé aux criminels ceux qui seraient tentés de les imiter! Voilà bien à peu près textuellement la phrase éternelle dont tous les réquisitoires des cinq cents parquets de France ne sont que des variations plus ou moins sonores. Eh bien! nous nions d’abord qu’il y ait exemple. Nous nions que le spectacle des supplices produise l’effet qu’on en attend. Loin d’édifier le peuple, il le démoralise, et ruine en lui toute sensibilité, partant toute vertu. Les preuves abondent, et encombreraient notre raisonnement si nous voulions en citer. Nous signalerons pourtant un fait entre mille, parce qu’il est le plus récent. Au moment où nous écrivons, il n’a que dix jours de date. Il est du 5 mars, dernier jour du carnaval. À Saint-Pol, immédiatement après l’exécution d’un incendiaire nommé Louis Camus, une troupe de masques est venue danser autour de l’échafaud encore fumant. Faites donc des exemples! le mardi gras vous rit au nez.
Que si, malgré l’expérience, vous tenez à votre théorie routinière de l’exemple, alors rendez-nous le seizième siècle, soyez vraiment formidables, rendez-nous la variété des supplices, rendez-nous Farinacci, rendez-nous les tourmenteurs-jurés, rendez-nous le gibet, la roue, le bûcher, l’estrapade, l’essorillement, l’écartèlement, la fosse à enfouir vif, la cuve à bouillir vif; rendez-nous, dans tous les carrefours de Paris, comme une boutique de plus ouverte parmi les autres, le hideux étal du bourreau, sans cesse garni de chair fraîche. Rendez-nous Montfaucon, ses seize piliers de pierre, ses brutes assises, ses caves à ossements, ses poutres, ses crocs, ses chaînes, ses brochettes de squelettes, son éminence de plâtre tachetée de corbeaux, ses potences succursales, et l’odeur du cadavre que par le vent du nord-est il répand à larges bouffées sur tout le faubourg du Temple. Rendez-nous dans sa permanence et dans sa puissance ce gigantesque appentis du bourreau de Paris. À la bonne heure! Voilà de l’exemple en grand. Voilà de la peine de mort bien comprise. Voilà un système de supplices qui a quelque proportion. Voilà qui est horrible, mais qui est terrible.
Ou bien faites comme en Angleterre. En Angleterre, pays de commerce, on prend un contrebandier sur la côte de Douvres, on le pend pour l’exemple, pour l’exemple on le laisse accroché au gibet; mais, comme les intempéries de l’air pourraient détériorer le cadavre, on l’enveloppe soigneusement d’une toile enduite de goudron, afin d’avoir à le renouveler moins souvent. Ô terre d’économie! goudronner les pendus!
Cela pourtant a encore quelque logique. C’est la façon la plus humaine de comprendre la théorie de l’exemple.
Mais vous, est-ce bien sérieusement que vous croyez faire un exemple quand vous égorgillez misérablement un pauvre homme dans le recoin le plus désert des boulevards extérieurs? En Grève, en plein jour, passe encore; mais à la barrière Saint-Jacques! mais à huit heures du matin! Qui est-ce qui passe là? Qui est-ce qui va là? Qui est-ce qui sait que vous tuez un homme là? Qui est-ce qui se doute que vous faites un exemple là? Un exemple pour qui? Pour les arbres du boulevard, apparemment.
Ne voyez-vous donc pas que vos exécutions publiques se font en tapinois? Ne voyez-vous donc pas que vous vous cachez? Que vous avez peur et honte de votre œuvre? Que vous balbutiez ridiculement votre discite justitiam moniti? Qu’au fond vous êtes ébranlés, interdits, inquiets, peu certains d’avoir raison, gagnés par le doute général, coupant des têtes par routine et sans trop savoir ce que vous faites? Ne sentez-vous pas au fond du cœur que vous avez tout au moins perdu le sentiment moral et social de la mission de sang que vos prédécesseurs, les vieux parlementaires, accomplissaient avec une conscience si tranquille? La nuit, ne retournez-vous pas plus souvent qu’eux la tête sur votre oreiller? D’autres avant vous ont ordonné des exécutions capitales, mais ils s’estimaient dans le droit, dans le juste, dans le bien. Jouvenel des Ursins se croyait un juge; Élie de Thorrette se croyait un juge; Laubardemont, La Reynie et Laffemas eux-mêmes se croyaient des juges; vous, dans votre for intérieur, vous n’êtes pas bien sûrs de ne pas être des assassins!
Vous quittez la Grève pour la barrière Saint-Jacques, la foule pour la solitude, le jour pour le crépuscule. Vous ne faites plus fermement ce que vous faites. Vous vous cachez, vous dis-je!
Toutes les raisons pour la peine de mort, les voilà donc démolies. Voilà tous les syllogismes de parquets mis à néant. Tous ces copeaux de réquisitoires, les voilà balayés et réduits en cendres. Le moindre attouchement de la logique dissout tous les mauvais raisonnements.
Que les gens du roi ne viennent donc plus nous demander des têtes, à nous jurés, à nous hommes, en nous adjurant d’une voix caressante au nom de la société à protéger, de la vindicte publique à assurer, des exemples à faire. Rhétorique, ampoule, et néant que tout cela! un coup d’épingle dans ces hyperboles, et vous les désenflez. Au fond de ce doucereux verbiage, vous ne trouvez que dureté de cœur, cruauté, barbarie, envie de prouver son zèle, nécessité de gagner ses honoraires. Taisez-vous, mandarins! Sous la patte de velours du juge on sent les ongles du bourreau.
Il est difficile de songer de sang-froid à ce que c’est qu’un procureur royal criminel. C’est un homme qui gagne sa vie à envoyer les autres à l’échafaud. C’est le pourvoyeur titulaire des places de Grève. Du reste, c’est un monsieur qui a des prétentions au style et aux lettres, qui est beau parleur ou croit l’être, qui récite au besoin un vers latin ou deux avant de conclure à la mort, qui cherche à faire de l’effet, qui intéresse son amour-propre, ô misère! là où d’autres ont leur vie engagée, qui a ses modèles à lui, ses types désespérants à atteindre, ses classiques, son Bellart, son Marchangy, comme tel poëte a Racine et tel autre Boileau. Dans le débat, il tire du côté de la guillotine, c’est son rôle, c’est son état. Son réquisitoire, c’est son œuvre littéraire, il le fleurit de métaphores, il le parfume de citations, il faut que cela soit beau à l’audience, que cela plaise aux dames. Il a son bagage de lieux communs encore très neufs pour la province, ses élégances d’élocution, ses recherches, ses raffinements d’écrivain. Il hait le mot propre presque autant que nos poëtes tragiques de l’école de Delille. N’ayez pas peur qu’il appelle les choses par leur nom. Fi donc! Il a pour toute idée dont la nudité vous révolterait des déguisements complets d’épithètes et d’adjectifs. Il rend M. Samson présentable. Il gaze le couperet. Il estompe la bascule. Il entortille le panier rouge dans une périphrase. On ne sait plus ce que c’est. C’est douceâtre et décent. Vous le représentez-vous, la nuit, dans son cabinet, élaborant à loisir et de son mieux cette harangue qui fera dresser un échafaud dans six semaines? Le voyez-vous suant sang et eau pour emboîter la tête d’un accusé dans le plus fatal article du code? Le voyez-vous scier avec une loi mal faite le cou d’un misérable? Remarquez-vous comme il fait infuser dans un gâchis de tropes et de synecdoches deux ou trois textes vénéneux pour en exprimer et en extraire à grand’peine la mort d’un homme? N’est-il pas vrai que, tandis qu’il écrit, sous sa table, dans l’ombre, il a probablement le bourreau accroupi à ses pieds, et qu’il arrête de temps en temps sa plume pour lui dire, comme le maître à son chien: – Paix là! paix là! tu vas avoir ton os!
Du reste, dans la vie privée, cet homme du roi peut être un honnête homme, bon père, bon fils, bon mari, bon ami, comme disent toutes les épitaphes du Père-Lachaise.
Espérons que le jour est prochain où la loi abolira ces fonctions funèbres. L’air seul de notre civilisation doit dans un temps donné user la peine de mort.
On est parfois tenté de croire que les défenseurs de la peine de mort n’ont pas bien réfléchi à ce que c’est. Mais pesez donc un peu à la balance de quelque crime que ce soit ce droit exorbitant que la société s’arroge d’ôter ce qu’elle n’a pas donné, cette peine, la plus irréparable des peines irréparables!
De deux choses l’une:
Ou l’homme que vous frappez est sans famille, sans parents, sans adhérents dans ce monde. Et dans ce cas, il n’a reçu ni éducation, ni instruction, ni soins pour son esprit, ni soins pour son cœur; et alors de quel droit tuez-vous ce misérable orphelin? Vous le punissez de ce que son enfance a rampé sur le sol sans tige et sans tuteur! Vous lui imputez à forfait l’isolement où vous l’avez laissé! De son malheur vous faites son crime! Personne ne lui a appris à savoir ce qu’il faisait. Cet homme ignore. Sa faute est à sa destinée, non à lui. Vous frappez un innocent.
Ou cet homme a une famille; et alors croyez-vous que le coup dont vous l’égorgez ne blesse que lui seul? que son père, que sa mère, que ses enfants, n’en saigneront pas? Non. En le tuant, vous décapitez toute sa famille. Et ici encore vous frappez des innocents.
Gauche et aveugle pénalité, qui, de quelque côté qu’elle se tourne, frappe l’innocent!
Cet homme, ce coupable qui a une famille, séquestrez-le. Dans sa prison, il pourra travailler encore pour les siens. Mais comment les fera-t-il vivre du fond de son tombeau? Et songez-vous sans frissonner à ce que deviendront ces petits garçons, ces petites filles, auxquelles vous ôtez leur père, c’est-à-dire leur pain? Est-ce que vous comptez sur cette famille pour approvisionner dans quinze ans, eux le bagne, elles le musico? Oh! les pauvres innocents!