Le vicomte de Bragelonne Tome III
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Derni?re page de l'histoire des quatre amis, d'Artagnan, Athos, Porthos et Aramis… Le r?gne de Louis XIV commence, chacun a vieilli et ?volu?, mais conserve sa personnalit? d'autrefois. Dans ce livre, le h?ros est le vicomte de Bragelonne, qui n'est autre que le fils d'Athos, mais les anciens mousquetaires ne sont jamais loin quand il s'agit d'intrigues et d'aventures…
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– Comment cela!
– Vous arrivez à Fontainebleau, n’est-ce pas?
– Oui.
– Vous y trouverez M. Fouquet?
– Oui.
– Chez le roi probablement?
– Chez le roi, répéta majestueusement Porthos.
– Et vous l’abordez en lui disant: «Monsieur Fouquet, j’ai l’honneur de vous prévenir que je viens de quitter Saint-Mandé.»
– Et, dit Porthos avec la même majesté, me voyant à Fontainebleau chez le roi, M. Fouquet ne pourra pas dire que je mens.
– Mon cher Porthos, j’ouvrais la bouche pour vous le dire; vous me devancez en tout. Oh! Porthos! quelle heureuse nature vous êtes! l’âge n’a pas mordu sur vous.
– Pas trop.
– Alors tout est dit.
– Je crois que oui.
– Vous n’avez plus de scrupules?
– Je crois que non.
– Alors je vous emmène.
– Parfaitement; je vais faire seller mes chevaux.
– Vous avez des chevaux ici?
– J’en ai cinq.
– Que vous avez fait venir de Pierrefonds?
– Que M. Fouquet m’a donnés.
– Mon cher Porthos, nous n’avons pas besoin de cinq chevaux pour deux; d’ailleurs, j’en ai déjà trois à Paris, cela ferait huit; ce serait trop.
– Ce ne serait pas trop si j’avais mes gens ici; mais, hélas! je ne les ai pas.
– Vous regrettez vos gens?
– Je regrette Mousqueton, Mousqueton me manque.
– Excellent cœur! dit d’Artagnan; mais, croyez-moi, laissez vos chevaux ici comme vous avez laissé Mousqueton là-bas.
– Pourquoi cela?
– Parce que, plus tard…
– Eh bien?
– Eh bien! plus tard, peut-être sera-t-il bien que M. Fouquet ne vous ait rien donné du tout.
– Je ne comprends pas, dit Porthos.
– Il est inutile que vous compreniez.
– Cependant…
– Je vous expliquerai cela plus tard, Porthos.
– C’est de la politique, je parie.
– Et de la plus subtile.
Porthos baissa la tête sur ce mot de politique; puis, après un moment de rêverie, il ajouta:
– Je vous avouerai, d’Artagnan, que je ne suis pas politique.
– Je le sais, pardieu! bien.
– Oh! nul ne sait cela; vous me l’avez dit vous-même, vous, le brave des braves.
– Que vous ai-je dit, Porthos?
– Que l’on avait ses jours. Vous me l’avez dit et je l’ai éprouvé. Il y a des jours où l’on éprouve moins de plaisir que dans d’autres à recevoir des coups d’épée.
– C’est ma pensée.
– C’est la mienne aussi, quoique je ne croie guère aux coups qui tuent.
– Diable! vous avez tué, cependant?
– Oui, mais je n’ai jamais été tué.
– La raison est bonne.
– Donc, je ne crois pas mourir jamais de la lame d’une épée ou de la balle d’un fusil.
– Alors, vous n’avez peur de rien?… Ah! de l’eau, peut-être?
– Non, je nage comme une loutre.
– De la fièvre quartaine?
– Je ne l’ai jamais eue, et ne crois point l’avoir jamais; mais je vous avouerai une chose…
Et Porthos baissa la voix.
– Laquelle? demanda d’Artagnan en se mettant au diapason de Porthos.
– Je vous avouerai, répéta Porthos, que j’ai une horrible peur de la politique.
– Ah! bah! s’écria d’Artagnan.
– Tout beau! dit Porthos d’une voix de stentor. J’ai vu Son Éminence M. le cardinal de Richelieu et Son Éminence M. le cardinal de Mazarin; l’un avait une politique rouge, l’autre une politique noire. Je n’ai jamais été beaucoup plus content de l’une que de l’autre: la première a fait couper le cou à M. de Marcillac, à M. de Thou, à M. de Cinq-Mars, à M. de Chalais, à M. de Boutteville, à M. de Montmorency; la seconde a fait écharper une foule de frondeurs, dont nous étions, mon cher.
– Dont, au contraire, nous n’étions pas, dit d’Artagnan.
– Oh! si fait; car si je dégainais pour le cardinal moi, je frappais pour le roi.
– Cher Porthos!
– J’achève. Ma peur de la politique est donc telle, que, s’il y a de la politique là-dessous, j’aime mieux retourner à Pierrefonds.
– Vous auriez raison, si cela était; mais avec moi, cher Porthos, jamais de politique, c’est net. Vous avez travaillé à fortifier Belle-Île; le roi a voulu savoir le nom de l’habile ingénieur qui avait fait les travaux; vous êtes timide comme tous les hommes d’un vrai mérite; peut-être Aramis veut-il vous mettre sous le boisseau. Moi, je vous prends; moi, je vous déclare; moi, je vous produis; le roi vous récompense et voilà toute ma politique.
– C’est la mienne, morbleu! dit Porthos en tendant la main à d’Artagnan.
Mais d’Artagnan connaissait la main de Porthos; il savait qu’une fois emprisonnée entre les cinq doigts du baron, une main ordinaire n’en sortait pas sans foulure. Il tendit donc, non pas la main, mais le poing à son ami. Porthos ne s’en aperçut même pas. Après quoi ils sortirent tous deux de Saint-Mandé.
Les gardiens chuchotèrent bien un peu et se dirent à l’oreille quelques paroles que d’Artagnan comprit, mais qu’il se garda bien de faire comprendre à Porthos.
«Notre ami, dit-il, était bel et bien prisonnier d’Aramis. Voyons ce qu’il va résulter de la mise en liberté de ce conspirateur.»