Les Possedes
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«Est-il possible de croire? S?rieusement et effectivement? Tout est l?.» Stavroguine envo?te tous ceux qui l'approchent, hommes ou femmes. Il ne trouve de limite ? son immense orgueil que dans l'existence de Dieu. Il la nie et tombe dans l'absurdit? de la libert? pour un homme seul et sans raison d'?tre. Tous les personnages de ce grand roman sont poss?d?s par un d?mon, le socialisme ath?e, le nihilisme r?volutionnaire ou la superstition religieuse. Ignorant les limites de notre condition, ces id?ologies sont incapables de rendre compte de l'homme et de la soci?t? et appellent un terrorisme destructeur. Sombre trag?die d'amour et de mort, «Les Poss?d?s» sont l'incarnation g?niale des doutes et des angoisses de Dosto?evski sur l'avenir de l'homme et de la Russie. D?s 1870, il avait pressenti les dangers du totalitarisme au XXe si?cle.
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(N.B. Deux mois après, Liamchine avoua que c’était en vue de s’assurer la protection de Stavroguine qu’il avait mis tous ses soins à le disculper: il espérait qu’à Pétersbourg Nicolas Vsévolodovitch lui obtiendrait une commutation de peine, et qu’il ne le laisserait pas partir pour la Sibérie sans lui donner de l’argent et des lettres de recommandation. On voit par là combien Liamchine s’exagérait l’importance de Stavroguine.)
Le même jour, naturellement, on arrêta Virguinsky et avec lui toutes les personnes de sa famille. (Arina Prokhorovna, sa sœur, sa tante et l’étudiante ont été mises en liberté depuis longtemps; on dit même que Chigaleff ne tardera pas à être relâché, lui aussi, attendu qu’aucun des chefs d’accusation ne le vise; du reste, ce n’est encore qu’un bruit.) Virguinsky fit immédiatement les aveux les plus complets; il était au lit avec la fièvre lorsque la police pénétra dans son domicile, et on prétend qu’il la vit arriver avec une sorte de plaisir: «Cela me soulage le cœur», aurait-il dit. Dans les interrogatoires, il paraît qu’il répond franchement et non sans une certaine dignité. Il ne renonce à aucune de ses «lumineuses espérances», tout en maudissant le fatal «concours de circonstances», qui lui a fait déserter la voie du socialisme pour celle de la politique. L’enquête semble démontrer qu’il n’a pris au crime qu’une part fort restreinte, aussi peut-il s’attendre à une condamnation relativement légère. Voilà du moins ce qu’on assure chez nous.
Quant à Erkel, il est peu probable que le bénéfice des circonstances atténuantes lui soit accordé. Depuis son arrestation, il se renferme dans un mutisme absolu, ou ne parle que pour altérer la vérité. Jusqu’à présent on n’a pas pu obtenir de lui un seul mot de repentir. Et pourtant il inspire une certaine sympathie même aux magistrats les plus sévères; sans parler de l’intérêt qu’éveillent sa jeunesse et son malheur, on sait qu’il n’a été que la victime d’un suborneur politique. Mais c’est surtout sa piété filiale, aujourd’hui connue, qui dispose les esprits en sa faveur. Sa mère est maintenant dans notre ville. C’est une femme faible, malade, vieillie avant l’âge; elle pleure et se roule littéralement aux pieds des juges en implorant la pitié pour son fils. Il en adviendra ce qu’il pourra, mais chez nous beaucoup de gens plaignent Erkel.
Lipoutine séjournait depuis deux semaines à ¨Pétersbourg, quand il y fut arrêté. Sa conduite est difficile à expliquer. Il s’était muni, dit-on, d’un faux passeport et d’une somme d’argent considérable; rien ne lui aurait été plus aisé que de filer à l’étranger. Cependant il resta à Pétersbourg. Après avoir cherché pendant quelque temps Stavroguine et Pierre Stépanovitch, il s’adonna soudain à la débauche la plus effrénée, comme un homme qui a perdu tout bon sens et n’a plus aucune idée de sa situation. On l’arrêta dans une maison de tolérance, où il fut trouvé en état d’ivresse. Maintenant s’il faut en croire les on dit, Lipoutine n’est nullement abattu. Il prodigue les mensonges dans ses interrogatoires, et se prépare avec une certaine solennité à passer en jugement; l’issue du procès ne paraît pas l’inquiéter; il a l’intention de prendre la parole au cours des débats. Infiniment plus convenable est l’attitude de Tolkatchenko, qui a été arrêté dans le district dix jours après son départ de notre ville: il ne ment pas, ne biaise pas, dit tout ce qu’il sait, ne cherche pas à se justifier et reconnaît ses torts en toute humilité. Seulement il aime aussi à poser pour l’orateur, il parle beaucoup et s’écoute parler; sa grande prétention est de connaître le peuple et les éléments révolutionnaires (?) qu’il contient; sur ce chapitre il est intarissable; lui aussi compte, dit-on, prononcer un discours à l’audience. De même que Lipoutine, Tolkatchenko semble espérer un acquittement, et cela ne laisse pas d’être étrange.
Je le répète, cette affaire n’est pas encore finie. Maintenant que trois mois se sont écoulés, notre société, remise de ses alarmes, envisage les choses avec beaucoup plus de sang-froid. C’est à ce point qu’aujourd’hui plusieurs considèrent Pierre Stépanovitch sinon tout à fait comme un génie, du moins comme un homme «doué de facultés géniales». «Une organisation!» disent-ils au club, en levant le doigt en l’air. Du reste, tout cela est fortement innocent, et ceux qui parlent ainsi sont le petit nombre. Au contraire, les autres, sans nier l’intelligence de Pierre Stépanovitch, voient en lui un esprit totalement ignorant de la réalité, féru d’abstractions, développé dans un sens exclusif et, par suite, extrêmement léger.
Je ne sais vraiment de qui parler encore pour n’oublier personne. Maurice Nikolaïévitch nous a quittés définitivement. La vieille générale Drozdoff est tombée en enfance… Mais il me reste à raconter une histoire très sombre. Je m’en tiendrai aux faits.
En arrivant d’Oustiévo, Barbara Pétrovna descendit à sa maison de ville. Elle apprit brusquement tout ce qui s’était passé chez nous en son absence, et ces nouvelles la bouleversèrent. Elle s’enferma seule dans sa chambre. Il était tard, tout le monde était fatigué, on alla bientôt se coucher.
Le lendemain matin, la femme de chambre remit d’un air mystérieux à Daria Pavlovna une lettre qui, dit-elle, était arrivée dans la soirée de la veille, mais, comme mademoiselle était déjà couchée, elle n’avait pas osé l’éveiller. Cette lettre n’était pas venue par la poste, un inconnu l’avait apportée à Skvorechniki et donnée à Alexis Egoritch; celui-ci s’était aussitôt rendu à la ville, avait remis le pli à la femme de chambre, et immédiatement après était retourné à Skvorechniki.
Daria Pavlovna, dont le cœur battait avec force, regarda longtemps la lettre sans pouvoir se résoudre à la décacheter. Elle en avait deviné l’expéditeur: c’était Nicolas Stavroguine. Sur l’enveloppe la jeune fille lut l’adresse suivante: «À Alexis Egoritch, pour remettre en secret à Daria Pavlovna».
Voici cette lettre:
«Chère Daria Pavlovna,
«Jadis vous vouliez être ma «garde-malade», et vous m’avez fait promettre que je vous appellerais quand il le faudrait. Je pars dans deux jours et je ne reviendrai plus. Voulez-vous venir avec moi?
«L’an dernier, comme Hertzen, je me suis fait naturaliser citoyen du canton d’Uri, et personne ne le sait. J’ai acheté dans ce pays une petite maison. Je possède encore douze mille roubles; nous nous transporterons là-bas et nous y resterons éternellement. Je ne veux plus aller nulle part désormais.
«Le lieu est fort ennuyeux; c’est un vallon resserré entre des montagnes qui gênent la vue et la pensée; il y fait fort sombre. Je me suis décidé pour cet endroit parce qu’il s’y trouvait une maisonnette à vendre. Si elle ne vous plaît pas, je m’en déferai et j’en achèterai une autre ailleurs.
«Je ne me porte pas bien, mais j’espère que l’air de la Suisse me guérira de mes hallucinations. Voilà pour le physique; quant au moral, vous savez tout; seulement, est-ce bien tout?
«Je vous ai raconté beaucoup de ma vie, mais pas tout. Même à vous je n’ai pas tout dit! À propos, je vous certifie qu’en conscience je suis coupable de la mort de ma femme. Je ne vous ai pas vue depuis lors, c’est pourquoi je vous déclare cela. Du reste, j’ai été coupable aussi envers Élisabeth Nikolaïevna, mais sur ce point je n’ai rien à vous apprendre; tout ce qui est arrivé, vous l’aviez en quelque sorte prédit.