La Dame Aux Camelias
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Inspir? de sa relation avec Marie Duplessis, le roman puis le drame c?l?bre de Dumas fils est l'histoire de Armand et Marguerite qui parviendront ? vaincre tous les obstacles pour vivre leur amour.
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Et, s'échappant des mains de Gaston, Marguerite le fit asseoir à sa droite, moi à sa gauche, puis elle dit à Nanine:
– Avant de t'asseoir, recommande à la cuisine que l'on n'ouvre pas si l'on vient sonner.
Cette recommandation était faite à une heure du matin.
On rit, on but et l'on mangea beaucoup à ce souper. Au bout de quelques instants, la gaieté était descendue aux dernières limites, et ces mots qu'un certain monde trouve plaisants et qui salissent toujours la bouche qui les dit éclataient de temps à autre, aux grandes acclamations de Nanine, de Prudence et de Marguerite. Gaston s'amusait franchement; c'était un garçon plein de cœur, mais dont l'esprit avait été un peu faussé par les premières habitudes. Un moment, j'avais voulu m'étourdir, faire mon cœur et ma pensée indifférents au spectacle que j'avais sous les yeux et prendre ma part de cette gaieté qui semblait un des mets du repas; mais peu à peu, je m'étais isolé de ce bruit, mon verre était resté plein, et j'étais devenu presque triste en voyant cette belle créature de vingt ans boire, parler comme un portefaix, et rire d'autant plus que ce que l'on disait était plus scandaleux.
Cependant cette gaieté, cette façon de parler et de boire, qui me paraissaient chez les autres convives les résultats de la débauche, de l'habitude ou de la force, me semblaient chez Marguerite un besoin d'oublier, une fièvre, une irritabilité nerveuse. À chaque verre de vin de Champagne, ses joues se couvraient d'un rouge fiévreux, et une toux, légère au commencement du souper, était devenue à la longue assez forte pour la forcer à renverser sa tête sur le dos de sa chaise et à comprimer sa poitrine dans ses mains toutes les fois qu'elle toussait.
Je souffrais du mal que devaient faire à cette frêle organisation ces excès de tous les jours.
Enfin arriva une chose que j'avais prévue et que je redoutais. Vers la fin du souper, Marguerite fut prise d'un accès de toux plus fort que tous ceux qu'elle avait eus depuis que j'étais là. Il me sembla que sa poitrine se déchirait intérieurement. La pauvre fille devint pourpre, ferma les yeux sous la douleur et porta à ses lèvres sa serviette qu'une goutte de sang rougit. Alors elle se leva et courut dans son cabinet de toilette.
– Qu'a donc Marguerite? demanda Gaston.
– Elle a qu'elle a trop ri et qu'elle crache le sang, fit Prudence. Oh! ce ne sera rien, cela lui arrive tous les jours. Elle va revenir. Laissons-la seule, elle aime mieux cela.
Quant à moi, je ne pus y tenir, et, au grand ébahissement de Prudence et de Nanine qui me rappelaient, j'allai rejoindre Marguerite.
Chapitre X
La chambre où elle s'était réfugiée n'était éclairée que par une seule bougie posée sur une table. Renversée sur un grand canapé, sa robe défaite, elle tenait une main sur son cœur et laissait pendre l'autre. Sur la table il y avait une cuvette d'argent à moitié pleine d'eau; cette eau était marbrée de filets de sang.
Marguerite, très pâle et la bouche entr'ouverte, essayait de reprendre haleine. Par moments, sa poitrine se gonflait d'un long soupir qui, exhalé, paraissait la soulager un peu, et la laissait pendant quelques secondes dans un sentiment de bien-être.
Je m'approchai d'elle, sans qu'elle fît un mouvement, je m'assis et pris celle de ses mains qui reposait sur le canapé.
– Ah! c'est vous? me dit-elle avec un sourire.
Il paraît que j'avais la figure bouleversée, car elle ajouta:
– Est-ce que vous êtes malade aussi?
– Non; mais vous, souffrez-vous encore?
– Très peu; et elle essuya avec son mouchoir les larmes que la toux avait fait venir à ses yeux; je suis habituée à cela maintenant.
– Vous vous tuez, madame, lui dis-je alors d'une voix émue; je voudrais être votre ami, votre parent, pour vous empêcher de vous faire mal ainsi.
– Ah! cela ne vaut vraiment pas la peine que vous vous alarmiez, répliqua-t-elle d'un ton un peu amer; voyez si les autres s'occupent de moi: c'est qu'ils savent bien qu'il n'y a rien à faire à ce mal-là.
Après quoi elle se leva et, prenant la bougie, elle la mit sur la cheminée et se regarda dans la glace.
– Comme je suis pâle! dit-elle en rattachant sa robe et en passant ses doigts sur ses cheveux délissés. Ah! bah! allons nous remettre à table. Venez-vous?
Mais j'étais assis et je ne bougeais pas.
Elle comprit l'émotion que cette scène m'avait causée, car elle s'approcha de moi et, me tendant la main, elle me dit:
– Voyons, venez.
Je pris sa main, je la portai à mes lèvres en la mouillant malgré moi de deux larmes longtemps contenues.
– Eh bien, mais êtes-vous enfant! dit-elle en se rasseyant auprès de moi; voilà que vous pleurez! Qu'avez-vous?
– Je dois vous paraître bien niais, mais ce que je viens de voir m'a fait un mal affreux.
– Vous êtes bien bon! Que voulez-vous? Je ne puis pas dormir, il faut bien que je me distraie un peu. Et puis des filles comme moi, une de plus ou de moins, qu'est-ce que cela fait? Les médecins me disent que le sang que je crache vient des bronches; j'ai l'air de les croire, c'est tout ce que je puis faire pour eux.
– Écoutez, Marguerite, dis-je alors avec une expansion que je ne pus retenir, je ne sais pas l'influence que vous devez prendre sur ma vie, mais ce que je sais, c'est qu'à l'heure qu'il est, il n'y a personne, pas même ma sœur, à qui je m'intéresse comme à vous. C'est ainsi depuis que je vous ai vue. Eh bien, au nom du ciel, soignez-vous, et ne vivez plus comme vous le faites.
– Si je me soignais, je mourrais. Ce qui me soutient, c'est la vie fiévreuse que je mène. Puis, se soigner, c'est bon pour les femmes du monde qui ont une famille et des amis; mais nous, dès que nous ne pouvons plus servir à la vanité ou au plaisir de nos amants, ils nous abandonnent, et les longues soirées succèdent aux longs jours. Je le sais bien, allez, j'ai été deux mois dans mon lit; au bout de trois semaines, personne ne venait plus me voir.
– Il est vrai que je ne vous suis rien, repris-je; mais si vous le vouliez je vous soignerais comme un frère, je ne vous quitterais pas, et je vous guérirais. Alors, quand vous en auriez la force, vous reprendriez la vie que vous menez, si bon vous semblait; mais j'en suis sûr, vous aimeriez mieux une existence tranquille qui vous ferait plus heureuse et vous garderait jolie.
– Vous pensez comme cela ce soir, parce que vous avez le vin triste, mais vous n'auriez pas la patience dont vous vous vantez.
– Permettez-moi de vous dire, Marguerite, que vous avez été malade pendant deux mois, et que, pendant ces deux mois, je suis venu tous les jours savoir de vos nouvelles.
– C'est vrai; mais pourquoi ne montiez-vous pas?