La Dame de Monsoreau Tome II
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Le dimanche gras de l'ann?e 1578, apr?s la f?te du populaire, et tandis que s'?teignaient dans les rues les rumeurs de la joyeuse journ?e, commen?ait une f?te splendide dans le magnifique h?tel que venait de se faire b?tir, de l'autre c?t? de l'eau et presque en face du Louvre, cette illustre famille de Montmorency qui, alli?e ? la royaut? de France, marchait l'?gale des familles princi?res. Cette f?te particuli?re, qui succ?dait ? la f?te publique, avait pour but de c?l?brer les noces de Fran?ois d'Epinay de Saint-Luc, grand ami du roi Henri III et l'un des favoris les plus intimes, avec Jeanne de Coss?-Brissac, fille du mar?chal de France de ce nom. Le repas avait eu lieu au Louvre, et le roi, qui avait consenti ? grand-peine au mariage, avait paru au festin avec un visage s?v?re qui n'avait rien d'appropri? ? la circonstance …' 'La Dame de Monsoreau' est, ? la suite de 'La Reine Margot', le deuxi?me volet du somptueux ensemble historique que Dumas ?crivit sur la Renaissance.
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Tout à coup une voix retentit dans l'escalier. Chicot tressaillit: c'était celle du moine.
Gorenflot, poussé par l'hôte, qui voulait inutilement le faire taire, montait une à une les marches de l'escalier, en chantant d'une voix avinée:
Le vin Et le chagrin
Se battent dans ma tête;
Ils y font un tel train
Que c'est une tempête.
Mais l'un est le plus fort: C'est le vin!
Si bien que le chagrin En sort Grand train.
Chicot courut à la porte.
– Silence donc, ivrogne! cria-t-il.
– Ivrogne, dit Gorenflot, parce qu'on a bu!
– Voyons! viens ici, et vous, Bernouillet, vous savez…
– Oui, dit l'aubergiste en faisant un signe d'intelligence et en descendant les escaliers quatre à quatre.
– Viens ici, te dis-je, continua Chicot en tirant le moine dans sa chambre, et causons sérieusement, si tu peux.
– Parbleu! dit Gorenflot, vous raillez, compère. Je suis sérieux comme un âne qui boit.
– Ou qui a bu, dit Chicot en levant les épaules.
Puis il le conduisit à un siège sur lequel Gorenflot se laissa aller en poussant un ah! plein de jubilation.
Chicot alla fermer la porte et revint à Gorenflot avec un visage si sérieux, que celui-ci comprit qu'il s'agissait d'écouter.
– Voyons, qu'y a-t-il encore? dit le moine, comme si ce mot résumait toutes les persécutions que Chicot lui faisait endurer.
– Il y a, répondit Chicot fort rudement, que tu ne songes pas assez aux devoirs de ta profession; tu te vautres dans la débauche, tu pourris dans l'ivrognerie, et, pendant ce temps, la religion devient ce qu'elle peut, corbœuf!
Gorenflot leva ses deux gros yeux étonnés sur son interlocuteur.
– Moi? dit-il.
– Oui, toi; regarde, tu es ignoble à voir. Ta robe est déchirée, tu t'es battu en chemin, tu as l'œil gauche cerclé de noir.
– Moi! reprit Gorenflot, de plus en plus étonné des reproches auxquels Chicot ne l'avait point habitué.
– Sans doute; tu as de la boue par-dessus les genoux, et quelle boue! de la boue blanche, ce qui prouve que tu as été t'enivrer dans les faubourgs.
– C'est ma foi vrai, dit Gorenflot.
– Malheureux! un moine génovéfain! si tu étais cordelier encore!
– Chicot, mon ami, je suis donc bien coupable? dit Gorenflot attendri.
– C'est-à-dire que tu mérites que le feu du ciel te consume jusqu'aux sandales; prends garde, si cela continue, je t'abandonne.
– Chicot, mon ami, dit le moine, tu ne ferais pas cela.
– Il y a aussi des archers à Lyon.
– Oh! grâce, mon cher protecteur! balbutia le moine, qui se mit non pas à pleurer, mais à beugler comme un taureau.
– Fi! la laide brute! continua Chicot, et dans quel moment, je te le demande, te livres-tu à de pareils déportements? quand nous avons un voisin qui se meurt.
– C'est vrai, dit Gorenflot d'un air profondément contrit.
– Voyons, es-tu chrétien, oui ou non?
– Si je suis chrétien! s'écria Gorenflot en se levant, si je suis chrétien! tripes du pape! je le suis; je le proclamerais sur le gril de saint Laurent.
Et, le bras étendu comme pour jurer, il se mit à chanter, de façon à briser les vitres:
Je suis chrétien,
C'est mon seul bien.
– Assez, dit Chicot en le bâillonnant avec la main, si tu es chrétien, ne laisse pas mourir ton frère sans confession.
– C'est juste, où est mon frère? que je le confesse, dit Gorenflot, c'est-à-dire quand j'aurai bu, car je meurs de soif.
Et Chicot passa au moine un pot plein d'eau, que celui-ci vida presque entièrement.
– Ah! mon fils, dit-il en reposant le pot sur la table, je commence à voir clair.
– C'est bien heureux, répondit Chicot, décidé à profiter de ce moment de lucidité.
– Maintenant, mon tendre ami, continua le moine, qui faut-il que je confesse?
– Notre malheureux voisin qui se meurt.
– Qu'on lui donne une pinte de vin au miel, dit Gorenflot.
– Je ne dis pas non; mais il a plus besoin des secours spirituels que des secours temporels. Tu vas l'aller trouver.
– Croyez-vous que je sois suffisamment préparé, monsieur Chicot? demanda timidement le moine.
– Toi! je ne t'ai jamais vu si plein d'onction qu'en ce moment. Tu le ramèneras au bien s'il est égaré, tu l'enverras droit au paradis s'il en cherche la route.
– J'y cours.
– Attends donc, il faut que je t'indique la marche à suivre.
– Pourquoi faire? on sait son état peut-être, depuis vingt ans qu'on est moine.
– Oui, mais ce n'est pas seulement ton état qu'il faut que tu fasses aujourd'hui, c'est aussi ma volonté.
– Votre volonté?
– Et si tu l'exécutes ponctuellement, entends-tu bien? je te place cent pistoles à la Corne d'Abondance, à boire ou à manger, à ton choix.
– À boire et à manger, j'aime mieux cela.
– Eh bien, soit, cent pistoles, tu entends? si tu confesses ce digne moribond.
– Je le confesserai, ou la peste m'étouffe. Comment faut-il que je le confesse?
– Écoute: ta robe te donne une grande autorité, tu parles au nom de Dieu et au nom du roi; il faut, par ton éloquence, contraindre cet homme à te remettre les papiers qu'on vient de lui apporter d'Avignon.
– Pourquoi faire le contraindre à me remettre ces papiers?
Chicot regarda en pitié le moine.
– Pour avoir mille livres, double brute, lui dit-il.
– C'est juste, fit Gorenflot; j'y vais.
– Attends donc, il te dira qu'il vient de se confesser.
– Alors, s'il vient de se confesser?
– Tu lui répondras qu'il en a menti; que celui qui sort de sa chambre n'est point un confesseur, mais un intrigant comme lui.
– Mais il se fâchera.
– Que t'importe, puisqu'il se meurt?
– C'est juste.