Les Contemplations
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Les 11 000 vers des Contemplations furent ?crits d?s 1834, mais surtout pendant l'exil ? Jersey, puis ? Guernesey, en particulier ? partir de 1853 alors que Hugo composait les Ch?timents. Mettant fin au silence lyrique qu'il observait depuis les Rayons et les Ombres (1840), le recueil, sommet de sa production po?tique, somme de sa vie, de sa sensibilit? et de sa pens?e, se pr?sente comme «les M?moires d'une ?me» (Pr?face). Si «une destin?e est ?crite l? jour ? jour», le recueil s'?rige aussi en expression d'une exp?rience, celle d'un homme qui se veut comme les autres: «Quand je vous parle de moi, je vous parle de vous.»
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La langue des oiseaux de la langue des anges.
Caudebec, septembre 183.
X .
Mon bras pressait ta taille frêle
Et souple comme le roseau;
Ton sein palpitait comme l’aile
D’un jeune oiseau.
Longtemps muets, nous contemplâmes
Le ciel où s’éteignait le jour.
Que se passait-il dans nos âmes?
Amour! amour!
Comme un ange qui se dévoile,
Tu me regardais, dans ma nuit,
Avec ton beau regard d’étoile,
Qui m’éblouit.
Forêt de Fontainebleau, juillet 18…
XI .
Les femmes sont sur la terre
Pour tout idéaliser;
L’univers est un mystère
Que commente leur baiser.
C’est l’amour qui, pour ceinture,
À l’onde et le firmament,
Et dont toute la nature,
N’est, au fond, que l’ornement.
Tout ce qui brille offre à l’âme
Son parfum ou sa couleur;
Si Dieu n’avait fait la femme,
Il n’aurait pas fait la fleur.
À quoi bon vos étincelles,
Bleus saphirs, sans les yeux doux?
Les diamants, sans les belles,
Ne sont plus que des cailloux;
Et, dans les charmilles vertes,
Les roses dorment debout,
Et sont des bouches ouvertes
Pour ne rien dire du tout.
Tout objet qui charme ou rêve
Tient des femmes sa clarté;
La perle blanche, sans Ève,
Sans toi, ma fière beauté,
Ressemblant, tout enlaidie,
À mon amour qui te fuit,
N’est plus que la maladie
D’une bête dans la nuit.
Paris, avril 18…
XII. Églogue
Nous errions; elle et moi, dans les monts de Sicile.
Elle est fière pour tous et pour moi seul docile.
Les cieux et nos pensers rayonnaient à la fois.
Oh! comme aux lieux déserts les cœurs sont peu farouches!
Que de fleurs aux buissons, que de baisers aux bouches,
Quand on est dans l’ombre des bois!
Pareils à deux oiseaux qui vont de cime en cime,
Nous parvînmes enfin tout au bord d’un abîme.
Elle osa s’approcher de ce sombre entonnoir;
Et, quoique mainte épine offensât ses mains blanches,
Nous tâchâmes, penchés et nous tenant aux branches,
D’en voir le fond lugubre et noir.
En ce même moment, un titan centenaire,
Qui venait d’y rouler sous vingt coups de tonnerre,
Se tordait dans ce gouffre où le jour n’ose entrer;
Et d’horribles vautours au bec impitoyable,
Attirés par le bruit de sa chute effroyable,
Commençaient à le dévorer.
Alors, elle me dit: «J’ai peur qu’on ne nous voie!
Cherchons un autre afin d’y cacher notre joie!
Vois ce pauvre géant! nous aurions notre tour!
Car les dieux envieux qui l’ont fait disparaître,
Et qui furent jaloux de sa grandeur, peut-être
Seraient jaloux de notre amour!»
Septembre 18…
XIII .
Viens! – une flûte invisible
Soupire dans les vergers. -
La chanson la plus paisible.
Est la chanson des bergers.
Le vent ride, sous l’yeuse,
Le sombre miroir des eaux. -
La chanson la plus joyeuse
Est la chanson des oiseaux.
Que nul soin ne te tourmente.
Aimons-nous! aimons toujours! -
La chanson la plus charmante
Est la chanson des amours.
Les Metz, août 18…
XIV. Billet du matin
Si les liens des cœurs ne sont pas des mensonges,
Oh! dites, vous devez avoir eu de doux songes,
Je n’ai fait que rêver de vous toute la nuit.
Et nous nous aimions tant! vous me disiez: «Tout fuit,
Tout s’éteint, tout s’en va; ta seule image reste.»
Nous devions être morts dans ce rêve céleste;
Il semblait que c’était déjà le paradis.
Oh! oui, nous étions morts, bien sûr; je vous le dis.
Nous avions tous les deux la forme de nos âmes.
Tout ce que, l’un de l’autre, ici-bas nous aimâmes
Composait notre corps de flamme et de rayons,
Et, naturellement, nous nous reconnaissions.
Il nous apparaissait des visages d’aurore
Qui nous disaient: «C’est moi!» la lumière sonore
Chantait; et nous étions des frissons et des voix.
Vous me disiez: «Écoute!» et je répondais: «Vois!»
Je disais: «Viens-nous-en dans les profondeurs sombres,
Vivons; c’est autrefois que nous étions des ombres.»
Et, mêlant nos appels et nos cris: «Viens! oh! viens!
Et moi, je me rappelle, et toi, tu te souviens.»
Éblouis, nous chantions: – C’est nous-mêmes qui sommes
Tout ce qui nous semblait, sur la terre des hommes,
Bon, juste, grand, sublime, ineffable et charmant;
Nous sommes le regard et le rayonnement;
Le sourire de l’aube et l’odeur de la rose,
C’est nous; l’astre est le nid où notre aile se pose;
Nous avons l’infini pour sphère et pour milieu,
L’éternité pour âge; et, notre amour, c’est Dieu.
Paris, juin 18…
XV. Paroles dans l’ombre
Elle disait: C’est vrai, j’ai tort de vouloir mieux;
Les heures sont ainsi très doucement passées;
Vous êtes là; mes yeux ne quittent pas vos yeux,
Où je regarde aller et venir vos pensées.
Vous voir est un bonheur; je ne l’ai pas complet.
Sans doute, c’est encor bien charmant de la sorte!
Je veille, car je sais tout ce qui vous déplaît,
À ce que nul fâcheux ne vienne ouvrir la porte;
Je me fais bien petite, en mon coin, près de vous;
Vous êtes mon lion, je suis votre colombe;
J’entends de vos papiers le bruit paisible et doux;
Je ramasse parfois votre plume qui tombe;
Sans doute, je vous ai; sans doute, je vous voi.
La pensée est un vin dont les rêveurs sont ivres,
Je le sais; mais, pourtant, je veux qu’on songe à moi.
Quand vous êtes ainsi tout un soir dans vos livres,
Sans relever la tête et sans me dire un mot,
Une ombre reste au fond de mon cœur qui vous aime;
Et, pour que je vous voie entièrement, il faut
Me regarder un peu, de temps en temps, vous-même.
Paris, octobre 18…
XVI .
L’hirondelle au printemps cherche les vieilles tours,
Débris où n’est plus l’homme, où la vie est toujours;
La fauvette en avril cherche, ô ma bien-aimée,
La forêt sombre et fraîche et l’épaisse ramée,
La mousse, et, dans les nœuds des branches, les doux toits
Qu’en se superposant font les feuilles des bois.
Ainsi fait l’oiseau. Nous, nous cherchons, dans la ville,
Le coin désert, l’abri solitaire et tranquille,
Le seuil qui n’a pas d’yeux obliques et méchants,
La rue où les volets sont fermés; dans les champs,
Nous cherchons le sentier du pâtre et du poëte;
Dans les bois, la clairière inconnue et muette
Où le silence éteint les bruits lointains et sourds.
L’oiseau cache son nid, nous cachons nos amours.
Fontainebleau, juin 18…