Bric-a-brac
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Il n'y a rien là d'étonnant; à cette époque, mademoiselle Augustine Brohan n'était pas encore journaliste.
Une dernière anecdote.
On se rappelle que c'est sous l'influence du duc de Montpensier que le Théâtre-Historique s'était ouvert.
Le duc de Montpensier avait sa loge au Théâtre-Historique.
La révolution de février terminée, le duc de Montpensier parti, sa loge, dont il n'avait pas renouvelé la location, se trouvait vacante.
J'allai trouver M. Hostein et le priai de ne louer cette loge à personne, la prenant pour mon compte.
M. Hostein y consentit.
Pendant près d'un an, la loge du duc de Montpensier resta vide, et éclairée aux premières représentions, comme si elle l'attendait.
Il y a plus: le duc de Montpensier, à chaque première représentation, recevait, avec une lettre de moi, son coupon de loge à Seville.
Au bout d'un an, son secrétaire intime, M. Latour, vint faire un voyage à Paris.
À peine arrivé, il accourut chez moi.
Il venait me faire des compliments de la part du prince.
Après avoir causé de beaucoup de choses,-les sujets de conversation ne manquaient point à cette époque,-nous en arrivâmes au Théâtre-Historique.
– À propos, me dit-il, ai-je encore mes entrées?
– Où cela?
– Au Théâtre-Historique.
– Parbleu!
– Je veux dire mes entrées sur la scène.
– Avez-vous toujours votre clef de communication?
– Oui.
– Eh bien, cher ami, servez-vous-en ce soir; les révolutions changent les gouvernements, mais elles ne changent pas les serrures. Seulement, à mon tour.-À propos…
– Quoi?
– Le prince reçoit ses coupons de loge, n'est-ce pas?
– Certainement.
– Qu'a-t-il dit quand il a reçu le premier?
– Il s'est mis à rire en disant: «Ce farceur de Dumas!»
– Tiens, c'est singulier, répondis-je; à sa place, je me serais mis à pleurer.
J'allai à mon bureau.
– Vous écrivez? me demanda Latour.
– Oh! rien, un mot.
J'écrivais, en effet.
J'écrivais à M. Hostein:
«Mon cher Hostein,
» Vous pouvez, à partir de demain, disposer de l'avant-scène de M. le duc de Montpensier. Je trouve que c'est un peu trop cher, de payer une loge à l'année pour faire rire un prince.
» Tout à vous,
» ALEX. DUMAS.»
COMMENT J'AI FAIT JOUER À MARSEILLE LE DRAME DES FORESTIERS
Un jour,-il y a dix-huit mois de cela,-je reçus une lettre de Clarisse Miroy. Vous vous rappelez bien Clarisse Miroy, n'est-ce pas? vous l'avez assez applaudie dans _la Grâce de Dieu_ et dans _la Bergère des Alpes_.
L'excellente artiste me priait de lui envoyer, pour elle et pour Jenneval, dont elle me vantait le talent, un Antony censuré.
Le préfet dès Bouches-du-Rhône, ignorant que l'on jouât Antony à Paris, refusait de le laisser jouer à Marseille.
J'avais beaucoup entendu parler du talent de Jenneval, qui a une grande réputation en province. Je venais d'écrire les derniers mots d'un drame tiré d'un roman anglais, _Jane Eyre_; j'eus l'idée, au lieu d'envoyer Antony à Clarisse et à Jenneval, de leur offrir Jane Eyre.
Peut-être la pièce ne valait-elle pas Antony, qui, du temps de l'école idéaliste, passait pour une assez bonne pièce; mais, en tout cas, c'était moins connu. Jenneval et Clarisse acceptèrent. Ils allèrent trouver MM. Tronchet et Lafeuillade, les directeurs des deux théâtres, et leur firent part de ma proposition.
Poste pour poste, je reçus de ces messieurs prière de leur envoyer mes conditions.
J'étais fatigué, j'avais un énorme besoin de cette grande amie à moi que l'on nomme la solitude, je résolus de porter mes conditions moi-même.
Je sautai en wagon; vingt-deux heures après, j'étais à Marseille.
Avec des ambassadeurs comme Jenneval et Clarisse, qui tenaient les recettes du théâtre de Marseille entre leurs mains, les conditions ne furent pas longues à débattre.
Le jour de la lecture aux acteurs fut fixé.
À mon grand étonnement, je trouvai chez M. Tronchet, l'un des deux directeurs, non-seulement les artistes qui devaient jouer dans l'ouvrage, mais encore une partie de la presse et une fraction du conseil municipal.
Vous jugez si cette solennité m'effraya, moi, l'homme le moins solennel du monde.
Enfin, je tirai mon manuscrit de Jane Eyre, et lus, tant bien que mal, le prologue et les trois premiers actes.
Par malheur ou par bonheur,-vous allez voir combien les desseins de Dieu sont impénétrables,-le copiste qui m'avait promis de m'apporter les deux derniers actes de mon drame me manqua de parole.
Je fus donc obligé de faire à l'honorable société un discours dans lequel je lui exposais la situation, en l'invitant à revenir le samedi suivant.
L'honorable société fut de bonne composition; elle m'assura qu'elle s'était trop amusée aux trois premiers actes pour ne pas revenir aux deux derniers, et partit, en apparence fort satisfaite.
C'est ce qu'il nous faut, à nous, qui ne vivons que d'apparences.
Mais, pendant ces deux jours, il devait se passer un grand événement.
Une artiste mécontente de son rôle, et qui, par conséquent, désirait que la pièce ne fut pas jouée, vint trouver Jenneval et, en confidence, lui glissa tout bas que ma pièce avait déjà été jouée à Bruxelles.
J'avoue qu'à cette ouverture de Jenneval, mon étonnement fut grand.
J'allai aux sources; voici ce qui était arrivé:
J'avais lu le roman de miss Currer Bell sur l'original. J'ignorais qu'il eût été traduit, et, par suite, j'ignorais que deux jeunes Belges de beaucoup de talent, ce qui n'arrangeait pas mon affaire, en avaient fait un drame pour le théâtre des galeries Saint-Hubert.
C'était ce drame que l'on m'accusait tout simplement de vouloir faire jouer sous mon nom à Marseille. L'accusation était absurde. Mais vous connaissez l'axiome, chers lecteurs: Credo quia absurdum.
À l'instant même, mon parti fut pris; je remerciai l'artiste de sa bienveillante démarche à mon égard, j'arrivai à la réunion du samedi, je demandai la parole et je racontai toute l'histoire, déclarant qu'il m'était impossible de laisser jouer maintenant Jane Eyre.
Ce fut un concert de désolation. Comme il paraissait sincère:
– Messieurs et mesdames, demandai-je, car il y avait des dames, voulez-vous me permettre de vous raconter une histoire?
Ma proposition souleva une tempête.
– Ce n'est pas une histoire que nous voulons, me fut-il répondu de tous côtés, c'est un drame, ou, tout au moins, une comédie.
– Laissez-moi toujours vous raconter l'histoire, insistai-je.
On me fit cette concession, mais bien en rechignant, je vous jure.
– Messieurs, dis-je, il n'est point que vous n'ayez entendu parler d'un grand légiste nommé Cambacérès, qui avait l'honneur d'être archichancelier sous Napoléon Ier.
La plupart des personnes qui se trouvaient là, de si mauvaise humeur qu'elles fussent, furent obligées de convenir qu'elles retrouvaient dans leurs souvenirs quelque chose qui n'était aucunement en désaccord avec ce que je disais.
Je continuai.
– Il n'est point que vous n'ayez entendu dire encore que cet archichancelier, que Napoléon tourmentait tant avec son vote du 20 janvier 1793, était non-seulement un grand légiste, mais encore un grand gastronome, chose bien autrement rare; car on peut être un grand légiste avec une bonne mémoire, mais on ne peut être un grand gastronome qu'avec un bon estomac. Or, Son Excellence l'archiehancelier, ayant été doublement doué, et d'une bonne mémoire et d'un bon estomac, était donc à la fois un grand légiste et un grand gastronome…
Ici, je fus interrompu pour tout de bon.
– Qui êtes-vous? demandai-je, un jour que je mettais en scène le drame des Girondins au Théâtre-Historique, à un homme que je trouvais constamment entre mes jambes, et dont la figure, sans m'être complètement inconnue, ne m'était pas tout à fait étrangère, et pourquoi êtes-vous toujours là?