Le vicomte de Bragelonne Tome III
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Derni?re page de l'histoire des quatre amis, d'Artagnan, Athos, Porthos et Aramis… Le r?gne de Louis XIV commence, chacun a vieilli et ?volu?, mais conserve sa personnalit? d'autrefois. Dans ce livre, le h?ros est le vicomte de Bragelonne, qui n'est autre que le fils d'Athos, mais les anciens mousquetaires ne sont jamais loin quand il s'agit d'intrigues et d'aventures…
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– Vous êtes galant, Sire, dit miss Stewart avec une charmante moue.
– Je ne compte pas miss Stewart, dit le roi, celle-là est un appât royal, et, puisque je m’y suis pris, un autre, j’espère, ne s’y prendra point; je dis donc, enfin, que je n’aurai pas fait inutilement les doux yeux à ce jeune homme; il restera chez nous, il se mariera chez nous, ou, Dieu me damne!…
– Et j’espère bien qu’une fois marié, au lieu d’en vouloir à Votre Majesté, il lui en sera reconnaissant; car tout le monde s’empresse à lui plaire, jusqu’à M. de Buckingham qui, chose incroyable, s’efface devant lui.
– Et jusqu’à miss Stewart, qui l’appelle un charmant cavalier.
– Écoutez, Sire, vous m’avez assez vanté miss Graffton, passez-moi à mon tour un peu de Bragelonne. Mais, à propos, Sire, vous êtes depuis quelque temps d’une bonté qui me surprend; vous songez aux absents, vous pardonnez les offenses, vous êtes presque parfait. D’où vient?…
Charles II se mit à rire.
– C’est parce que vous vous laissez aimer, dit-il.
– Oh! il doit y avoir une autre raison.
– Dame! j’oblige mon frère Louis XIV.
– Donnez-m’en une autre encore.
– Eh bien! le vrai motif, c’est que Buckingham m’a recommandé ce jeune homme, et m’a dit: «Sire, je commence par renoncer, en faveur du vicomte de Bragelonne, à miss Graffton; faites comme moi.»
– Oh! c’est un digne gentilhomme, en vérité, que le duc.
– Allons, bien; échauffez-vous maintenant la tête pour Buckingham. Il paraît que vous voulez me faire damner aujourd’hui.
En ce moment, on gratta à la porte.
– Qui se permet de nous déranger? s’écria Charles avec impatience.
– En vérité, Sire, dit Stewart, voilà un qui se permet de la plus suprême fatuité, et, pour vous en punir…
Elle alla elle-même ouvrir la porte.
– Ah! c’est un messager de France, dit miss Stewart.
– Un messager de France! s’écria Charles; de ma sœur peut-être?
– Oui, Sire, dit l’huissier, et messager extraordinaire.
– Entrez, entrez, dit Charles.
Le courrier entra.
– Vous avez une lettre de Mme la duchesse d’Orléans? demanda le roi.
– Oui, Sire, répondit le courrier, et tellement pressée, que j’ai mis vingt-six heures seulement pour l’apporter à Votre Majesté, et encore ai-je perdu trois quarts d’heure à Calais.
– On reconnaîtra ce zèle, dit le roi.
Et il ouvrit la lettre.
Puis, se prenant à rire aux éclats:
– En vérité, s’écria-t-il, je n’y comprends plus rien.
Et il relut la lettre une seconde fois.
Miss Stewart affectait un maintien plein de réserve, et contenait son ardente curiosité.
– Francis, dit le roi à son valet, que l’on fasse rafraîchir et coucher ce brave garçon, et que, demain, en se réveillant, il trouve à son chevet un petit sac de cinquante louis.
– Sire!
– Va, mon ami, va! Ma sœur avait bien raison de te recommander la diligence; c’est pressé.
Et il se remit à rire plus fort que jamais.
Le messager, le valet de chambre et miss Stewart elle-même ne savaient quelle contenance garder.
– Ah! fit le roi en se renversant sur son fauteuil, et quand je pense que tu as crevé… combien de chevaux?
– Deux.
– Deux chevaux pour apporter cette nouvelle! C’est bien; va, mon ami, va.
Le courrier sortit avec le valet de chambre.
Charles II alla à la fenêtre qu’il ouvrit, et, se penchant au-dehors:
– Duc! cria-t-il, duc de Buckingham, mon cher Buckingham, venez!
Le duc se hâta d’accourir; mais, arrivé au seuil de la porte, et apercevant miss Stewart, il hésita à entrer.
– Viens donc, et ferme la porte, duc.
Le duc obéit, et, voyant le roi de si joyeuse humeur, s’approcha en souriant.
– Eh bien! mon cher duc, où en es-tu avec ton Français?
– Mais j’en suis, de son côté, au plus pur désespoir, Sire.
– Et pourquoi?
– Parce que cette adorable miss Graffton veut l’épouser, et qu’il ne veut pas.
– Mais ce Français n’est donc qu’un béotien! s’écria miss Stewart; qu’il dise oui, ou qu’il dise non, et que cela finisse.
– Mais, dit gravement Buckingham, vous savez, ou vous devez savoir, madame, que M. de Bragelonne aime ailleurs.
– Alors, dit le roi venant au secours de miss Stewart, rien de plus simple; qu’il dise non.
– Oh! c’est que je lui ai prouvé qu’il avait tort de ne pas dire oui!
– Tu lui as donc avoué que sa La Vallière le trompait?
– Ma foi! oui, tout net.
– Et qu’a-t-il fait?
– Il a fait un bond comme pour franchir le détroit.
– Enfin, dit miss Stewart, il a fait quelque chose: c’est ma foi! bien heureux.
– Mais, continua Buckingham, je l’ai arrêté: je l’ai mis aux prises avec miss Mary, et j’espère bien que, maintenant, il ne partira point, comme il en avait manifesté l’intention.
– Il manifestait l’intention de partir? s’écria le roi.
– Un instant, j’ai douté qu’aucune puissance humaine fût capable de l’arrêter; mais les yeux de miss Mary sont braqués sur lui: il restera.
– Eh bien! voilà ce qui te trompe, Buckingham, dit le roi en éclatant de rire; ce malheureux est prédestiné.
– Prédestiné à quoi?
– À être trompé, ce qui n’est rien; mais à le voir, ce qui est beaucoup.
– À distance, et avec l’aide de miss Graffton, le coup sera paré.
– Eh bien! pas du tout; il n’y aura ni distance, ni aide de miss Graffton. Bragelonne partira pour Paris dans une heure.
Buckingham tressaillit, miss Stewart ouvrit de grands yeux.
– Mais, Sire, Votre Majesté sait bien que c’est impossible, dit le duc.
– C’est-à-dire, mon cher Buckingham, qu’il est impossible, maintenant, que le contraire arrive.