Les Miserables Tome IV – Lidylle Rue Plumet Et Lepopee Rue Saint-Denis
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En 1832, Jean Valjean habite, avec Cosette, rue Plumet, Th?nardier est en prison, sa fille ?ponine, amoureuse de Marius, aide pourtant le jeune homme ? retrouver la trace d'une jeune fille rencontr?e au Luxembourg. Il s'agit de Cosette…
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Tout à coup, Gavroche, poussant sa charrette, au moment où il allait déboucher de la rue des Vieilles-Haudriettes, se trouva face à face avec un uniforme, un shako, un plumet et un fusil.
Pour la seconde fois, il s’arrêta net.
– Tiens, dit-il, c’est lui. Bonjour, l’ordre public.
Les étonnements de Gavroche étaient courts et dégelaient vite.
– Où vas-tu, voyou? cria le sergent.
– Citoyen, dit Gavroche, je ne vous ai pas encore appelé bourgeois. Pourquoi m’insultez-vous?
– Où vas-tu, drôle?
– Monsieur, reprit Gavroche, vous étiez peut-être hier un homme d’esprit, mais vous avez été destitué ce matin.
– Je te demande où tu vas, gredin?
Gavroche répondit:
– Vous parlez gentiment. Vrai, on ne vous donnerait pas votre âge. Vous devriez vendre tous vos cheveux cent francs la pièce. Cela vous ferait cinq cents francs.
– Où vas-tu? où vas-tu? où vas-tu, bandit?
Gavroche repartit:
– Voilà de vilains mots. La première fois qu’on vous donnera à téter, il faudra qu’on vous essuie mieux la bouche.
Le sergent croisa la bayonnette.
– Me diras-tu où tu vas, à la fin, misérable?
– Mon général, dit Gavroche, je vas chercher le médecin pour mon épouse qui est en couches.
– Aux armes! cria le sergent.
Se sauver par ce qui vous a perdu, c’est là le chef-d’œuvre des hommes forts; Gavroche mesura d’un coup d’œil toute la situation. C’était la charrette qui l’avait compromis, c’était à la charrette de le protéger.
Au moment où le sergent allait fondre sur Gavroche, la charrette, devenue projectile et lancée à tour de bras, roulait sur lui avec furie, et le sergent, atteint en plein ventre, tombait à la renverse dans le ruisseau pendant que son fusil partait en l’air.
Au cri du sergent, les hommes du poste étaient sortis pêle-mêle; le coup de fusil détermina une décharge générale au hasard, après laquelle on rechargea les armes et l’on recommença.
Cette mousquetade à colin-maillard dura un bon quart d’heure, et tua quelques carreaux de vitre.
Cependant Gavroche, qui avait éperdument rebroussé chemin, s’arrêtait à cinq ou six rues de là, et s’asseyait haletant sur la borne qui fait le coin des Enfants-Rouges.
Il prêtait l’oreille.
Après avoir soufflé quelques instants, il se tourna du côté où la fusillade faisait rage, éleva sa main gauche à la hauteur de son nez, et la lança trois fois en avant en se frappant de la main droite le derrière de la tête; geste souverain dans lequel la gaminerie parisienne a condensé l’ironie française, et qui est évidemment efficace, puisqu’il a déjà duré un demi-siècle.
Cette gaîté fut troublée par une réflexion amère.
– Oui, dit-il, je pouffe, je me tords, j’abonde en joie, mais je perds ma route, il va falloir faire un détour. Pourvu que j’arrive à temps à la barricade!
Là-dessus, il reprit sa course.
Et tout en courant:
– Ah çà, où en étais-je donc? dit-il.
Il se remit à chanter sa chanson en s’enfonçant rapidement dans les rues, et ceci décrut dans les ténèbres:
La prise d’armes du poste ne fut point sans résultat. La charrette fut conquise, l’ivrogne fut fait prisonnier. L’une fut mise en fourrière; l’autre fut plus tard un peu poursuivi devant les conseils de guerre comme complice. Le ministère public d’alors fit preuve en cette circonstance de son zèle infatigable pour la défense de la société.
L’aventure de Gavroche, restée dans la tradition du quartier du Temple, est un des souvenirs les plus terribles des vieux bourgeois du Marais, et est intitulée dans leur mémoire: Attaque nocturne du poste de l’Imprimerie royale.
(1862)