Les Pardaillan – Livre V – Pardaillan Et Fausta
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1590. ? Rome, Fausta, apr?s avoir mis au monde le fils de Pardaillan, b?n?ficie de la gr?ce du pape Sixte Quint, qui se pr?pare ? intervenir aupr?s du roi d'Espagne Philippe II dans le conflit qui l'oppose ? Henri IV roi de France. Fausta est investie d'une mission aupr?s de Philippe II: lui faire part d'un document secret par lequel le roi de France Henri III reconnaissait formellement Philippe II comme son successeur l?gitime sur le tr?ne de France. En France, le chevalier de Pardaillan est investi par Henri IV, absorb? par le si?ge de Paris, d'une double mission: d?jouer les manoeuvres de Fausta et obtenir de Philippe II la reconnaissance de la l?gitimit? d'Henri de Navarre comme roi de France. Pardaillan et Fausta s'affrontent ? S?ville. Pardaillan est aid? dans sa lutte par Cervant?s, qui reconna?t en lui le vrai Don Quichotte. Sortira-il vivant des traquenard tendus par le Grand Inquisiteur Don Espinoza et Fausta?
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Autrefois, au temps de la domination des Maures, ce conduit avait dû servir à amener les eaux dans les piscines de la propriété.
Plus tard, lorsque la maison passa aux mains de quelque guerrier chrétien, le conduit changea de destination. On en fit une voie secrète qui devait servir à assurer la retraite en cas de besoin. Naturellement on l’avait aménagé selon sa nouvelle destination. On l’avait notamment coupé en différents endroits par des murs épais chargés d’arrêter les incursions indiscrètes. Seulement, dans chacun de ces murs, des ouvertures avaient été ménagées, habilement dissimulées et actionnées au moyen de ressorts cachés.
Plus tard encore, le secret de ces ouvertures s’était perdu, et il est à présumer que Fausta les ignorait sans quoi elle n’eût pas manqué de prendre les précautions nécessaires pour se mettre à l’abri d’une irruption inattendue.
El Chico paraissait connaître à merveille tous les tours et détours du souterrain ainsi que les différentes manières d’ouvrir les portes secrètes, car il allait sans hésitation. Comment connaissait-il ces secrets? Par hasard, sans doute. Le nain avait dû découvrir fortuitement la première ouverture. Faible comme il était, sans appui, à la merci du premier venu, il avait compris qu’il pouvait se créer là une retraite sûre, que nul ne pourrait soupçonner. Il n’avait pas hésité et s’était installé aussitôt. Comme il était intelligent et observateur, il n’avait pas tardé à soupçonner qu’il devait y avoir autre chose que le cul-de-sac qu’il avait découvert. Et il s’était mis à chercher. Durant des mois, durant des années, il avait ainsi longuement, patiemment étudié son domaine pierre à pierre. Et favorisé par le hasard sans doute il avait peu à peu découvert la plus grande partie des ouvertures secrètes de ces substructions. Il avait ainsi considérablement agrandi son empire, sans lutte homicide, sans autre effusion de sang que les écorchures qu’il se faisait parfois à essayer d’ébranler les pierres que son instinct, ou des déductions parfaitement raisonnées, lui désignaient comme devant déceler un mécanisme caché.
Après avoir fait pivoter ou s’enfoncer des pans de muraille qui se redressaient derrière lui, après avoir ouvert, rien qu’en les touchant, les monstrueuses portes de fer qui se refermaient d’elles-mêmes sur lui, il parvint au pied d’un petit escalier de pierre très étroit et très raide. Il était dans l’obscurité la plus complète mais il n’en paraissait nullement gêné et se dirigeait avec autant de facilité que s’il avait été éclairé.
Il grimpa lestement une dizaine de marches et ne s’arrêta que lorsque son front vint heurter la voûte. Alors il se pencha sur les marches et il chercha des doigts, à tâtons. Un déclic se fit entendre, la dalle placée juste au-dessus de sa tête se souleva d’elle-même et sans bruit. Avant de monter les deux dernières marches, il chercha dans une autre direction. Un nouveau déclic se fit entendre. Alors seulement il franchit les dernières marches et pénétra dans un caveau, en disant tout haut, comme ont coutume de faire les personnes qui vivent seules:
– Enfin, me voici chez moi!
Et sans se retourner, certain que la dalle se refermerait d’elle-même, il fit deux pas et s’accroupit devant une des parois du caveau. Il toucha du doigt une plaque de marbre. Actionnée par le ressort qu’il avait déclenché avant d’entrer, la plaque bascula, et avec elle toute la maçonnerie sur laquelle elle était cimentée.
Cela fit une excavation si basse qu’il dut baisser la tête pour la franchir. Il alluma une chandelle, dont la lueur vacillante éclaira faiblement le trou dans lequel il venait de pénétrer.
C’était un petit réduit, pratiqué dans l’épaisseur de la muraille. Ce réduit pouvait avoir six pieds de long sur trois de large. Il était assez haut pour qu’un homme de taille moyenne pût se tenir debout sans toucher la voûte.
Il y avait là-dedans une caisse élevée sur quatre pieds qui l’isolaient du sol, recouvert de sable fin. La caisse était bourrée de paille fraîche, et sur cette paille deux petits matelas étaient étendus. Des draps blancs et des couvertures achevaient de lui donner l’apparence d’un lit confortable.
Il y avait une autre caisse aménagée comme un buffet. Il y avait un petit coffre solide, muni de grosses serrures, s’il vous plaît, une petite table, deux petits escabeaux, de menus ustensiles de ménage, tout cela reluisant de propreté. On eût dit l’intérieur d’une poupée.
C’était le palais d’El Chico.
Le réduit était aéré par un soupirail devant lequel El Chico avait installé lui-même et rudimentairement un volet de bois.
Ayant allumé sa chandelle, le nain eut la précaution de pousser le volet, afin que la lumière ne trahît pas sa présence au cas où il eût pris fantaisie à la princesse ou à ses gens de descendre dans les caves qui donnaient de l’autre côté.
Mais il ne referma pas la plaque qui masquait l’entrée de sa demeure. Il était si sûr que nul ne le pouvait surprendre par là!
Le Chico posa son sac d’or sur sa table, s’assit sur un de ses escabeaux et, les coudes sur la table, la tête dans les mains, il se mit à réfléchir.
Ce que Fausta appréhendait si vivement s’était réalisé. Pardaillan n’était pas mort par le poison.
Après quelques heures d’un sommeil qui ressemblait à la mort, le réveil se fit très lentement. Pardaillan se mit sur son séant et considéra d’un œil trouble l’étrange lieu où il se trouvait. Sous l’influence des émanations soporifiques dont l’air avait été saturé, son cerveau engourdi subissait comme une sorte d’ivresse qui abolissait la mémoire et paralysait l’intelligence.
Peu à peu, ces effets stupéfiants se dissipèrent, le cerveau se dégagea, la mémoire lui revint; il retrouva toute sa conscience, et avec elle, il retrouva ce sang-froid et cette confiance en soi qui le faisaient si redoutable.
Il ne fut d’ailleurs pas étonné de se voir vivant. Il s’y attendait.
Pardaillan, en effet, n’était pas un trompeur, ou pour parler le langage du jour: ce n’était pas un bluffeur. C’était, au contraire, un sincère et un convaincu. C’est très sincèrement convaincu qu’il avait dit à Fausta qu’il échapperait au poison et sortirait de son sépulcre.
Pourquoi? D’où lui venait cette conviction?
Il eût probablement été bien embarrassé de l’expliquer. Le certain, c’est qu’il avait cette conviction et qu’il ne cherchait pas à savoir d’où elle lui venait.
Tout autre que lui se fût gardé de le dire. Mais Pardaillan n’était pas qu’un sincère. C’était aussi un esprit très simple, d’une franchise et d’une loyauté déconcertantes. Ce n’était vraiment pas sa faute si cette franchise et cette loyauté passaient aux yeux de certains pour de la diplomatie, voire de la roublardise. Cela tenait uniquement à ceci, que certaines natures retorses sont incapables de comprendre la simplicité, la bonté et la loyauté.
Pardaillan pensait – et du diable s’il savait pourquoi – qu’il échapperait au hideux supplice que lui réservait Fausta. Le pensant, il le disait sans même songer aux conséquences fâcheuses que sa franchise pouvait avoir.
Donc, ayant recouvré ses esprits, il ne fut pas étonné de voir qu’il avait échappé au poison. Il gouailla:
– Mme Fausta joue vraiment de malheur avec moi! Son poison a fait long feu. Je le lui avais bien dit! Maintenant il ne me reste plus qu’à réaliser la seconde partie de ma prédiction qui est, si j’ai bonne mémoire, que je dois sortir d’ici avant que la faim et la soif ne m’aient terrassé, ainsi qu’en a décidé cette bonne Mme Fausta qui me comble vraiment de ses attentions.
Sortir d’ici, comme disait si simplement le chevalier, apparaissait pourtant comme une entreprise plutôt chimérique. Il n’y pensa pas un instant et murmura:
– Voyons! depuis ce matin je me débats dans une foule de lieux divers qui sont des merveilles de mécanique, comme dit M. d’Espinosa.
«Ce serait bien du diable si ce tombeau n’était pas quelque peu machiné. Au surplus, je connais ma Fausta, et il me paraît invraisemblable qu’elle ne se soit pas réservé quelque voie secrète par où il lui soit possible de s’assurer qu’elle me tient toujours. Cherchons donc.
Et il se mit à chercher méthodiquement, minutieusement, patiemment, autant que cela lui était possible dans la nuit opaque qui l’enveloppait.
Mais, depuis la veille, il n’avait pris aucun repos. Sans doute, aussi, le narcotique avait considérablement affaibli ses forces, car il dut s’arrêter au bout de quelques instants.
– Diable! fit-il, m’est avis que voilà une recherche qui pourrait être plus longue et plus laborieuse que je ne le jugeais de prime abord. C’est le poison de Mme Fausta qui casse ainsi les jambes. Ne nous épuisons pas inutilement. Laissons l’effet se dissiper entièrement en nous reposant un peu.
Ayant décidé, faute de siège, il s’assit sur son manteau plié sur les dalles et attendit le retour de ses forces. En attendant, il étudiait la topographie de son cachot de son mieux, afin de faciliter, autant que possible, les recherches matérielles par des déductions.
Après un repos assez long, il jugea ses forces suffisantes pour reprendre son travail.