JOSEPH BALSAMO Memoires dun medecin Tome IV
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Les «M?moires d'un m?decin» est une suite romanesque qui a pour cadre la R?volution Fran?aise et qui comprend «Joseph Balsamo», «le Collier de la reine», «Ange Pitou» et la «Comtesse de Charny». Cette grande fresque, tr?s int?ressante sur le plan historique, captivante par son r?cit, a une grande force inventive et une port?e symbolique certaine.
«Joseph Balsamo» s'ouvre en 1770 sur un Prologue ?sot?rique: sur le mont Tonnerre sont r?unis les chefs de la franc-ma?onnerie universelle. Un inconnu qui se pr?sente comme le nouveau Messie, l'homme-Dieu – «Je suis celui qui est» -, proph?tise la R?volution universelle, qui sera lanc?e par la France, o? il se charge de devenir l'agent de la Providence. Cet inconnu s'appelle Joseph Balsamo, alias Cagliostro.
Trois trames vont s'entrem?ler tout au long du roman:
La lutte pour le pouvoir entre le parti de la dauphine, Marie-Antoinette, et celui de la Du Barry.
L'amour malheureux de Gilbert, petit paysan ambitieux, pour la belle Andr?e de Taverney, et le roman d'apprentissage de Gilbert qui, ayant suivi Andr?e ? Paris, devient d'abord le jouet de la Du Barry, puis est adopt? par son p?re spirituel, le philosophe Jean-Jacques Rousseau.
Enfin, le drame qui se joue entre Balsamo, Lorenza – m?dium qui assure, gr?ce ? son don de double vue, la puissance de Balsamo, qui le hait lorsqu'elle est ?veill?e et l'adore lorsqu'elle est endormie – et Althotas – qui cherche l'?lixir de longue vie, pour lequel il lui faut le sang d'une vierge…
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– Voyons, maître; vous vous troublez la bile, vous vous aigrissez le sang, vous vous rendez malade.
– Malade! dérision! ai-je été malade jamais, sinon lorsque tu m’as fait participer, malgré moi, à quelques-unes des misères de la sale condition humaine? Malade! as-tu oublié que c’est moi qui guéris les autres?
– Enfin, maître, repartit froidement Balsamo, me voici: ne perdons pas le temps en vain.
– Oui, je te conseille de me rappeler cela; le temps, le temps que tu me forces à économiser, moi pour qui cette étoffe mesurée à chaque créature ne devrait avoir ni fin ni limite; oui, mon temps se passe; oui, mon temps se perd; oui, mon temps, comme le temps des autres, tombe minute par minute dans l’éternité, quand mon temps à moi devrait être l’éternité elle-même!
– Allons, maître, dit Balsamo avec une inaltérable patience, tout en abaissant la trappe jusqu’à terre, tout en se plaçant près de lui et tout en faisant jouer le ressort qui le réintégrait dans son appartement, allons, que vous faut-il? Parlez. Vous dites que je vous affamé; mais est-ce que vous n’êtes pas dans votre quarantaine de diète absolue?
– Oui, oui, sans doute; l’œuvre de régénération est commencée depuis trente-deux jours.
– Alors, dites-moi, de quoi vous plaignez-vous? Je vois là deux ou trois carafes d’eau de pluie, la seule que vous buviez.
– Sans doute; mais te figures-tu que je sois un ver à soie pour opérer seul cette grande œuvre du rajeunissement et de la transformation? Te figures-tu que, n’ayant plus de forces, je pourrai composer seul mon élixir de vie? Te figures-tu que, couché sur le flanc, amolli par les boissons rafraîchissantes, ma seule nourriture, j’aurai l’esprit bien présent, si tu ne m’y aides pas, pour faire, abandonné à mes seules ressources, le minutieux travail de ma régénération, dans lequel, tu le sais bien, malheureux, je dois être aidé et secouru par un ami?
– Je suis là, maître, je suis là; voyons, répondez, dit Balsamo tout en réinstallant presque malgré lui le vieillard dans son fauteuil, comme il eût fait d’un hideux enfant; voyons, répondez, vous n’avez pas manqué d’eau distillée, puisque, comme je vous le disais, j’en vois là trois pleines carafes; cette eau a bien été recueillie au mois de mai, vous le savez; voilà vos biscuits d’orge et de sésame; je vous ai déjà saigné deux fois sur trois et à chaque jour de décade, je vous ai moi-même administré les gouttes blanches que vous avez prescrites.
– Oui, mais l’élixir! l’élixir n’est pas composé; tu ne te rappelles pas cela, tu n’y étais pas: c’était ton père, ton père, plus fidèle que toi; mais, à ma dernière cinquantaine, je composai l’élixir un mois d’avance. J’avais fait retraite sur le mont Ararat. Un juif me fournit pour son poids en argent un enfant chrétien qui tétait encore sa mère; je le saignai selon le rite: je pris les trois dernières gouttes de son sang artériel, et en une heure, mon élixir, auquel il ne manquait plus que cet ingrédient, fut composé; aussi ma régénération de cinquantaine se passa-t-elle merveilleusement bien; mes cheveux et mes dents tombèrent pendant les convulsions qui succédèrent à l’absorption de cet élixir bienheureux; mais ils repoussèrent, les dents assez mal, je le sais, parce que je négligeai cette précaution d’introduire mon élixir dans ma gorge avec un conduit d’or. Mais mes cheveux et mes ongles repoussèrent dans cette seconde jeunesse, et je me pris à revivre comme si j’avais quinze ans… Mais voilà que j’ai revieilli de nouveau, voilà que je touche au dernier terme; voilà que si l’élixir n’est pas prêt, que s’il n’est pas renfermé dans cette bouteille, que si je ne donne pas tout soin à cette œuvre, la science d’un siècle sera anéantie avec moi, et que ce secret admirable, sublime, que je tiens, sera perdu pour l’homme, qui touche en moi et par moi à la divinité! Oh! si j’y manque, oh! si je me trompe, oh! si je faux, Acharat, c’est toi, toi qui en seras cause; et, prends-y garde, ma colère sera terrible, terrible!
Et, en prononçant ces derniers mots qui firent jaillir comme une étincelle livide de sa prunelle mourante, le vieillard tomba dans une petite convulsion à laquelle succéda un violent accès de toux.
Balsamo lui prodigua à l’instant même les soins les plus empressés.
Le vieillard revint à lui; sa pâleur était devenue de la lividité. Ce faible accès avait épuisé ses forces à ce point qu’on eût pu croire qu’il allait mourir.
– Voyons, maître, lui dit alors Balsamo, formulez ce que vous voulez.
– Ce que je veux…, dit-il en regardant fixement Balsamo.
– Oui…
– Ce que je veux, le voici…
– Parlez, je vous écoute et je vous obéis, si la chose que vous désirez est possible.
– Possible… possible! murmura dédaigneusement le vieillard. Tout est possible, tu le sais bien.
– Oui, sans doute, avec le temps et la science.
– La science, je l’ai; le temps, je suis sur le point de le vaincre; ma dose a réussi; mes forces sont presque totalement disparues; les gouttes blanches ont provoqué l’expulsion d’une partie des restes de la nature vieillie. La jeunesse, pareille à cette sève des arbres en mai, monte sous la vieille écorce et pousse, pour ainsi dire, l’ancien bois. Tu remarqueras, Acharat, que les symptômes sont excellents: ma voix est affaiblie, ma vue a baissé des trois quarts, je sens par intervalles ma raison s’égarer; la transition du chaud au froid m’est devenue insensible, il est donc urgent pour moi d’achever mon élixir, afin que, le propre jour de ma seconde cinquantaine, je passe de cent ans à vingt sans hésitation; mes ingrédients pour cet élixir sont préparés, le conduit est fait; il ne manque plus que les trois dernières gouttes de sang que je t’ai dit.
Balsamo fit un mouvement de répugnance.
– C’est bien, dit Althotas, renonçons à l’enfant, puisque tu aimes mieux t’enfermer avec ta maîtresse que de me le chercher.
– Vous savez bien, maître, que Lorenza n’est point ma maîtresse, répondit Balsamo.
– Ah! ah! ah! fit Althotas, tu dis cela, tu crois m’en imposer à moi comme à la multitude; tu veux me faire croire à la créature immaculée et tu es homme!
– Je vous jure, maître, que Lorenza est chaste comme la sainte Mère de Dieu; je vous jure qu’amour, désirs, voluptés terrestres, j’ai tout sacrifié à mon œuvre; car, moi aussi, j’ai mon œuvre régénératrice; seulement, au lieu de s’appliquer à moi seul, elle s’appliquera au monde entier.
– Fou, pauvre fou! s’écria Althotas; je crois qu’il va encore me parler de ses cataclysmes de cirons, de ses révolutions de fourmis, quand je lui parle de la vie éternelle, de l’éternelle jeunesse.
– Qui ne peut s’acquérir qu’au prix d’un crime épouvantable, et encore…
– Tu doutes, je crois que tu doutes, malheureux!
– Non, maître; mais enfin, puisque vous renoncez à votre enfant, dites, voyons, que vous faut-il?