Les Pardaillan – Livre V – Pardaillan Et Fausta
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1590. ? Rome, Fausta, apr?s avoir mis au monde le fils de Pardaillan, b?n?ficie de la gr?ce du pape Sixte Quint, qui se pr?pare ? intervenir aupr?s du roi d'Espagne Philippe II dans le conflit qui l'oppose ? Henri IV roi de France. Fausta est investie d'une mission aupr?s de Philippe II: lui faire part d'un document secret par lequel le roi de France Henri III reconnaissait formellement Philippe II comme son successeur l?gitime sur le tr?ne de France. En France, le chevalier de Pardaillan est investi par Henri IV, absorb? par le si?ge de Paris, d'une double mission: d?jouer les manoeuvres de Fausta et obtenir de Philippe II la reconnaissance de la l?gitimit? d'Henri de Navarre comme roi de France. Pardaillan et Fausta s'affrontent ? S?ville. Pardaillan est aid? dans sa lutte par Cervant?s, qui reconna?t en lui le vrai Don Quichotte. Sortira-il vivant des traquenard tendus par le Grand Inquisiteur Don Espinoza et Fausta?
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XII L’AMBASSADEUR DU ROI HENRI
Une des pièces annexes du salon des Ambassadeurs dans l’Alcazar de Séville.
La pièce est vaste, lambrissée et plafonnée de bois d’essences rares, bizarrement sculptés dans ce fantastique style arabe. Sommairement meublée: larges fauteuils, quelques escabeaux, énormes bahuts, une grande table de travail, surchargée de paperasses.
De petites fenêtres cintrées donnent sur ces fameux jardins, célèbres dans le monde entier.
Le roi Philippe II est assis devant une de ces fenêtres, et son œil froid erre distraitement sur les splendeurs d’une nature luxuriante, corrigée, embellie et garrottée par un art intelligent, mais trop raffiné.
Le grand inquisiteur est debout près de lui.
Plus loin, appuyé au chambranle d’une autre fenêtre, pareil à quelque cariatide vivante, un colosse se tient immobile, les bras croisés. Un nez long et busqué, des yeux sombres, sans expression, c’est tout ce qui émerge d’une forêt de cheveux crépus, retombant sur le front, jusque sur les sourcils épais et broussailleux, et d’une barbe neptunienne, envahissant tout le bas du visage jusqu’aux pommettes, le tout d’un roux ardent.
Ce colosse, don Iago de Almaran, plus communément appelé à la cour Barba Roja, ou, en français, Barbe Rousse, c’était le dogue de Philippe II.
Là où se trouvait le roi, aux fêtes, aux cérémonies religieuses, aux exécutions, au conseil partout et toujours, on voyait Barba Roja, immobile, muet, les yeux fixés sur son maître, ne voyant, n’entendant, ne comprenant que sur son ordre exprès.
C’était une brute magnifique, qui faisait partie, en quelque sorte, des accessoires qui entouraient la personne du roi. Mais, sur un signe, sur un regard du maître, la brute devenait d’une intelligence remarquable pour exécuter l’ordre secret saisi au vol.
Il était redouté autant pour ses fonctions que pour sa force herculéenne.
D’une très noble et très ancienne famille des Castilles, il aurait pu frayer de pair avec les plus grands de la cour, mais d’un naturel farouche, il fuyait toutes relations, et nul ne pouvait se vanter d’avoir entendu parler Barba Roja, si ce n’est dans l’exécution d’un ordre du roi. Et encore là, ne disait-il que ce qui était strictement nécessaire.
Le roi, dans son costume opulent et sévère, avec cet air sombre et glacial qui lui était habituel, écoutait attentivement les explications d’Espinosa.
La princesse Fausta, disait le grand inquisiteur, est la même qui a rêvé de renouer avec la tradition de la papesse Jeanne. C’est la même qui a fait trembler Sixte V et a failli le renverser de son trône pontifical, c’est une intelligence et c’est une illuminée… Elle est à ménager, son concours peut être précieux.
– Et ce chevalier de Pardaillan?
– D’après ce que j’en ai entendu dire, c’est une force redoutable qu’il faudra s’attacher à tout prix ou briser impitoyablement… Mais encore faudrait-il le voir à l’œuvre pour le juger… Tant de ces réputations sont surfaites!… Cependant, on peut déjà établir des données: ainsi ce chevalier de Pardaillan est authentiquement comte de Margency et il dédaigne ce titre… C’est peut-être un caractère… à moins que ce titre de comte ne lui paraisse insuffisant. D’autre part, le jour même de son arrivée à Séville, il s’est heurté à un de mes agents… Ce Pardaillan l’a jeté dans la rue comme on jette un objet gênant… C’est un audacieux, assurément.
– Il a osé porter la main sur un agent de l’Inquisition? fit le roi d’un air de doute.
Espinosa s’inclina en signe d’affirmation.
– Alors, dit Philippe sur un ton tranchant, il faut le châtier… tout ambassadeur qu’il est.
– Il est nécessaire de savoir d’abord ce que veut et ce que peut le sire de Pardaillan.
– Peut-être, fit le roi, toujours glacial. Mais il est impossible de laisser impunie l’offense faite à un agent de l’État… Il faut un exemple.
– Les apparences sont sauvegardées: l’agent n’avait pas d’ordres… il a agi de sa propre initiative et par excès de zèle… C’est un manquement grave à la discipline, qui mérite une peine sévère. Elle lui sera rigoureusement infligée… C’est aussi un exemple nécessaire pour ceux de nos agents qui se mêlent d’avoir de l’initiative, alors qu’ils n’ont qu’à exécuter, sans chercher à comprendre, les ordres de leurs supérieurs… Quant au sire de Pardaillan, on saura trouver un prétexte… si besoin est.
– Bien! fit le roi avec indifférence.
Et se levant, il vint, d’un pas lent et majestueux, se placer près de la table de travail, et avec cet air sombre qui ne le quittait, pour ainsi dire, jamais:
– Faites introduire Mme la princesse Fausta.
Et il s’assit dans une attitude qui lui était familière: la jambe droite croisée sur la jambe gauche, le coude sur le bras du fauteuil, le menton appuyé sur le poing fermé.
Espinosa s’inclina profondément, alla transmettre les ordres du roi et revint se placer discrètement dans une embrasure, non loin de Barba Roja.
Au même instant, Fausta faisait son entrée.
Elle s’avançait lentement, avec cette souveraine majesté qui faisait se courber tous les fronts. Ses yeux de diamant noir se posaient, larges et lumineux, sur les yeux de Philippe qui, impassible, figé dans son immobilité voulue, la fixait avec une insistance vraiment royale.
Entre ces deux forces d’orgueil, dès le premier contact, le duel s’annonçait implacable. Comme des épées, les deux regards se tâtaient avec la même résolution de porter le premier coup, avec la même volonté de briser toute résistance.
Seulement, tandis que chez le roi le regard était froid, impérieux, foudroyant comme un coup droit qui vise à tuer d’un seul coup, chez Fausta, il se montrait enveloppant, d’une douceur inexprimable et en même temps d’une force irrésistible, qui tendait à désarmer simplement.
Et dans la lutte angoissante de ces deux caractères également dominateurs, sans que rien dans sa physionomie vînt trahir la joie du succès, Espinosa, témoin silencieux, marqua le premier coup pour Fausta.
En effet, lentement, comme à regret, le roi détourna les yeux et une légère rougeur vint colorer ses pommettes livides.
Alors Fausta se courba dans la plus impeccable des révérences de cour.
Mais de la suprême harmonie de ses attitudes, du port de tête altier, du regard fulgurant se dégageait une si souveraine autorité qu’elle semblait écraser celui devant qui elle s’inclinait.
Et l’impression était si saisissante qu’Espinosa ne put s’empêcher d’admirer, et murmura:
– Incomparable comédienne!
Et le roi, ébloui peut-être par la surhumaine beauté de cette étincelante magicienne, le roi sentit plier son indomptable orgueil.
Il se leva, fit deux pas rapides, se découvrit en un geste empreint de l’orgueilleuse élégance espagnole, et, la saisissant par la main, la redressa avant que la révérence ne fût terminée, la conduisit à un fauteuil en disant gravement:
– Veuillez vous asseoir, madame.
De la part de ce fier monarque, rigide observateur de la plus minutieuse des étiquettes, ce geste imprévu, qui stupéfia Espinosa, constituait le triomphe le plus éclatant pour Fausta.
Et, avec une sérénité souriante, elle accepta comme un tribut payé à l’ascendant suprême de son vaste génie ce qui, peut-être, n’était qu’un hommage rendu à la beauté de la femme.
Qu’était-ce que le roi Philippe?
C’était un croyant sincère.
Dès son enfance, des évêques, des cardinaux, des archevêques, avaient avec une habileté lente et patiente labouré son cerveau et y avaient semé un effroi indéracinable.
Il croyait comme on respire.
Doué d’une intelligence supérieure, il avait haussé cette foi jusqu’à l’absolu, s’en était fait une arme et un palladium – et il avait rêvé ce que, jadis, avait dû rêver Torquemada, c’est-à-dire l’univers soumis à sa foi, c’est-à-dire soumis à lui-même.
L’Histoire nous dit, en parlant de lui: sombre fanatique, orgueilleux, despote… Peut-être!… en tout cas, c’est bientôt dit.
Nous disons, nous: IL CROYAIT! Et cela explique tout.
Il croyait que la foi est nécessaire à l’homme pour vivre une vie heureuse et mourir d’une mort paisible. Attenter à la foi, c’était donc attenter au bonheur des hommes, c’était donc les vouer à une mort désespérée, puisque rien, aucun espoir, nulle croyance, ne venait adoucir l’amertume de ce dernier moment… Les incroyants, les hérétiques apparaissaient comme des êtres malfaisants qu’il était nécessaire d’exterminer.
De là les effroyables hécatombes de vies humaines. De là les raffinements inouïs de supplices. Bête féroce? Non! Il sauvait les âmes en martyrisant les corps…
Il croyait.
Et comme il voulait être inaccessible à tout sentiment de pitié, il se disait: