Cinq Semaines En Ballon
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Tenter de traverser l'Afrique d'est en ouest par la voie des airs, pr?tendre survoler le continent noir ? bord d'une fragile nacelle livr?e ? tous les caprices des vents, voil? une entreprise d'une audace incroyable. Les cinq semaines qu'il faudra au docteur Fergusson pour y parvenir seront pleines d'impr?vus et de p?rip?ties.
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Mais il n’eut pas un moment de repos; le Victoria baissait d’une manière sensible; il fallut jeter encore une foule d’objets plus ou moins inutiles, surtout au moment de franchir une crête. Et ce fut ainsi pendant plus de cent vingt milles; on se fatigua à monter et à descendre; le ballon, ce nouveau rocher de Sisyphe, retombait incessamment; les formes de l’aérostat peu gonflé s’efflanquaient déjà; il s’allongeait, et le vent creusait de vastes poches dans son enveloppe détendue.
Kennedy ne put s’empêcher d’en faire la remarque.
«Est-ce que le ballon aurait une fissure? dit-il.
– Non, répondit le docteur; mais la gutta-percha s’est évidemment ramollie ou fondue sous la chaleur, et l’hydrogène fuit à travers le taffetas.
– Comment empêcher cette fuite?
– C’est impossible. Allégeons-nous; c’est le seul moyen; jetons tout ce qu’on peut jeter.
– Mais quoi? fit le chasseur en regardant la nacelle déjà fort dégarnie.
– Débarrassons-nous de la tente, dont le poids est assez considérable.»
Joe, que cet ordre concernait, monta au-dessus du cercle qui réunissait les cordes du filet; de là, il vint facilement à bout de détacher les épais rideaux de la tente, et il les précipita au dehors.
«Voilà qui fera le bonheur de toute une tribu de Nègres, dit-il; il y a là de quoi habiller un millier d’indigènes, car ils sont assez discrets sur l’étoffe.»
Le ballon s’était relevé un peu, mais bientôt il devint évident qu’il se rapprochait encore du sol.
«Descendons, dit Kennedy, et voyons ce que l’on peut faire à cette enveloppe.
– Je te le répète, Dick, nous n’avons aucun moyen de la réparer.
– Alors comment ferons-nous?
– Nous sacrifierons tout ce qui ne sera pas complètement indispensable; je veux à tout prix éviter une halte dans ces parages; les forêts dont nous rasons la cime en ce moment ne sont rien moins que sûres.
– Quoi! des lions, des hyènes? fit Joe avec mépris.
– Mieux que cela, mon garçon, des hommes, et des plus cruels qui soient en Afrique.
– Comment le sait-on?
– Par les voyageurs qui nous ont précédés; puis les Français, qui occupent la colonie du Sénégal, ont eu forcément des rapports avec les peuplades environnantes; sous le gouvernement du colonel Faidherbe, des reconnaissances ont été poussées fort avant dans le pays; des officiers, tels que MM. Pascal, Vincent, Lambert, ont rapporté des documents précieux de leurs expéditions. Ils ont exploré ces contrées formées par le coude du Sénégal, là où la guerre et le pillage n’ont plus laissé que des ruines.
– Que s’est-il donc passé?
– Le voici. En 1854, un marabout du Fouta sénégalais, Al-Hadji, se disant inspiré comme Mahomet, poussa toutes les tribus à la guerre contre les infidèles, c’est-à-dire les Européens. Il porta la destruction et la désolation entre le fleuve Sénégal et son affluent la Falémé. Trois hordes de fanatiques guidées par lui sillonnèrent le pays de façon à n’épargner ni un village ni une hutte, pillant et massacrant; il s’avança même dans la vallée du Niger, jusqu’à la ville de Sego, qui fut longtemps menacée. En 1857, il remontait plus au nord et investissait le fort de Médine, bâti par les Français sur les bords du fleuve; cet établissement fut défendu par un héros, Paul Holl, qui pendant plusieurs mois, sans nourriture, sans munitions presque, tint jusqu’au moment où le colonel Faidherbe vint le délivrer. Al-Hadji et ses bandes repassèrent alors le Sénégal, et revinrent dans le Kaarta continuer leurs rapines et leurs massacres; or, voici les contrées dans lesquelles il s’est enfui et réfugié avec ses hordes de bandits, et je vous affirme qu’il ne ferait pas bon tomber entre ses mains.
– Nous n’y tomberons pas, dit Joe, quand nous devrions sacrifier jusqu’à nos chaussures pour relever le Victoria.
– Nous ne sommes pas éloignés du fleuve, dit le docteur; mais je prévois que notre ballon ne pourra nous porter au-delà.
– Arrivons toujours sur les bords, répliqua le chasseur, ce sera cela de gagné.
– C’est ce que nous essayons de faire, dit le docteur; seulement, une chose m’inquiète.
– Laquelle?
– Nous aurons des montagnes à dépasser, et ce sera difficile, puisque je ne puis augmenter la force ascensionnelle de l’aérostat, même en produisant la plus grande chaleur possible.
– Attendons, fit Kennedy, et nous verrons alors.
– Pauvre Victoria! fit Joe, je m’y suis attaché comme le marin à son navire; je ne m’en séparerai pas sans peine! Il n’est plus ce qu’il était au départ, soit! mais il ne faut pas en dire du mal! Il nous a rendu de fiers services, et ce sera pour moi un crève-cœur de l’abandonner.
– Sois tranquille, Joe; si nous l’abandonnons, ce sera malgré nous. Il nous servira jusqu’à ce qu’il soit au bout de ses forces. Je lui demande encore vingt-quatre heures.
– Il s’épuise, fit Joe en le considérant, il maigrit, sa vie s’en va. Pauvre ballon!
– Si je ne me trompe, dit Kennedy, voici à l’horizon les montagnes dont tu parlais, Samuel.
– Ce sont bien elles, dit le docteur après les avoir examinées avec sa lunette; elles me paraissent fort élevées, nous aurons du mal à les franchir.
– Ne pourrait-on les éviter?
– Je ne pense pas, Dick; vois l’immense espace qu’elles occupent: près de la moitié de l’horizon!
– Elles ont même l’air de se resserrer autour de nous, dit Joe; elles gagnent sur la droite et sur la gauche.
– Il faut absolument passer par-dessus.»
Ces obstacles si dangereux paraissaient approcher avec une rapidité extrême, ou, pour mieux dire, le vent très fort précipitait le Victoria vers des pics aigus. Il fallait s’élever à tout prix, sous peine de les heurter.
«Vidons notre caisse à eau, dit Fergusson; ne réservons que le nécessaire pour un jour.
– Voilà! dit Joe.
– Le ballon se relève-t-il? demanda Kennedy.
– Un peu, d’une cinquantaine de pieds, répondit le docteur, qui ne quittait pas le baromètre des yeux. Mais ce n’est pas assez.»
En effet, les hautes cimes arrivaient sur les voyageurs à faire croire qu’elles se précipitaient sur eux; ils étaient loin de les dominer; il s’en fallait de plus de cinq cents pieds encore. La provision d’eau du chalumeau fut également jetée au dehors; on n’en conserva que quelques pintes; mais cela fut encore insuffisant.
«Il faut pourtant passer, dit le docteur.
