Cinq Semaines En Ballon
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Tenter de traverser l'Afrique d'est en ouest par la voie des airs, pr?tendre survoler le continent noir ? bord d'une fragile nacelle livr?e ? tous les caprices des vents, voil? une entreprise d'une audace incroyable. Les cinq semaines qu'il faudra au docteur Fergusson pour y parvenir seront pleines d'impr?vus et de p?rip?ties.
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Mais quelle fut sa stupéfaction! Un corps opaque, énorme, en fermait l’ouverture. Joe, qui suivait Dick, dut reculer avec lui.
«Nous sommes enfermés!
– C’est impossible! qu’est-ce que cela veut dire?…»
Dick n’acheva pas; un rugissement terrible lui fit comprendre à quel nouvel ennemi il avait affaire.
«Un autre lion! s’écria Joe.
– Non pas, une lionne! Ah! maudite bête, attends», dit le chasseur en rechargeant prestement sa carabine.
Un instant après, il faisait feu, mais l’animal avait disparu.
«En avant! s’écria-t-il.
– Non, monsieur Dick, non, vous ne l’avez pas tuée du coup; son corps eut roulé jusqu’ici; elle est là prête à bondir sur le premier d’entre nous qui paraîtra, et celui-là est perdu!
– Mais que faire? Il faut sortir! Et Samuel qui nous attend!
– Attirons l’animal; prenez mon fusil, et passez-moi votre carabine.
– Quel est ton projet?
– Vous allez voir.»
Joe, retirant sa veste de toile, la disposa au bout de l’arme et la présenta comme appât au-dessus de l’ouverture. La bête furieuse se précipita dessus; Kennedy l’attendait au passage, et d’une balle il lui fracassa l’épaule. La lionne rugissante roula sur l’escalier, renversant Joe. Celui-ci croyait déjà sentir les énormes pattes de l’animal s’abattre sur lui, quand une seconde détonation retentit, et le docteur Fergusson apparut à l’ouverture, son fusil à la main et fumant encore.
Joe se releva prestement, franchit le corps de la bête, et passa à son maître la bouteille pleine d’eau.
La porter à ses lèvres, la vider à demi fut pour Fergusson l’affaire d’un instant, et les trois voyageurs remercièrent du fond du cœur la Providence qui les avait si miraculeusement sauvés.
XXVIII
Soirée délicieuse. – La cuisine de Joe. – Dissertation sur la viande crue. – Histoire de James Bruce. – Le bivac. – Les rêves de Joe. – Le baromètre baisse. – Le baromètre remonte. – Préparatifs de départ. – L’ouragan.
La soirée fut charmante et se passa sous de frais ombrages de mimosas, après un repas réconfortant; le thé et le grog n’y furent pas ménagés.
Kennedy avait parcouru ce petit domaine dans tous les sens, il en avait fouillé les buissons; les voyageurs étaient les seuls êtres animés de ce paradis terrestre; ils s’étendirent sur leurs couvertures et passèrent une nuit paisible, qui leur apporta l’oubli des douleurs passées.
Le lendemain, 7 mai, le soleil brillait de tout son éclat, mais ses rayons ne pouvaient traverser l’épais rideau d’ombrage. Comme il avait des vivres en suffisante quantité, le docteur résolut d’attendre en cet endroit un vent favorable.
Joe y avait transporté sa cuisine portative, et il se livrait à une foule de combinaisons culinaires, en dépensant l’eau avec une insouciante prodigalité.
«Quelle étrange succession de chagrins et de plaisirs! s’écria Kennedy; cette abondance après cette privation! ce luxe succédant à cette misère! Ah! j’ai été bien près de devenir fou!
– Mon cher Dick, lui dit le docteur, sans Joe, tu ne serais pas là en train de discourir sur l’instabilité des choses humaines.
– Brave ami! fit Dick en tendant la main à Joe.
– Il n’y a pas de quoi, répondit celui-ci. À charge de revanche, monsieur Dick, en préférant toutefois que l’occasion ne se présente pas de me rendre la pareille!
– C’est une pauvre nature que la nôtre! reprit Fergusson. Se laisser abattre pour si peu!
– Pour si peu d’eau, voulez-vous dire, mon maître! Il faut que cet élément soit bien nécessaire à la vie!
– Sans doute, Joe, et les gens privés de manger résistent plus longtemps que les gens privés de boire.
– Je le crois; d’ailleurs, au besoin, on mange ce qui se rencontre, même son semblable, quoique cela doive faire un repas à vous rester longtemps sur le cœur!
– Les sauvages ne s’en font pas faute, cependant, dit Kennedy.
– Oui, mais ce sont des sauvages, et qui sont habitués à manger de la viande crue; voilà une coutume qui me répugnerait!
– Cela est assez répugnant, en effet, reprit le docteur, pour que personne n’ait ajouté foi aux récits des premiers voyageurs en Afrique; ceux-ci rapportèrent que plusieurs peuplades se nourrissaient de viande crue, et on refusa généralement d’admettre le fait. Ce fut dans ces circonstances qu’il arriva une singulière aventure à James Bruce.
– Contez-nous cela, monsieur; nous avons le temps de vous entendre, dit Joe en s’étalant voluptueusement sur l’herbe fraîche.
– Volontiers. James Bruce était un Écossais du comté de Stirling, qui, de 1768 à 1772, parcourut toute l’Abyssinie jusqu’au lac Tyana, à la recherche des sources du Nil; puis, il revint en Angleterre, où il publia ses voyages en 1790 seulement. Ses récits furent accueillis avec une incrédulité extrême, incrédulité qui sans doute est réservée aux nôtres. Les habitudes des Abyssiniens semblaient si différentes des us et coutumes anglais, que personne ne voulait y croire. Entre autres détails, James Bruce avait avancé que les peuples de l’Afrique orientale mangeaient de la viande crue. Ce fait souleva tout le monde contre lui. Il pouvait en parler à son aise! on n’irait point voir! Bruce était un homme très courageux et très rageur. Ces doutes l’irritaient au suprême degré. Un jour, dans un salon d’Édimbourg, un Écossais reprit en sa présence le thème des plaisanteries quotidiennes, et à l’endroit de la viande crue, il déclara nettement que la chose n’était ni possible ni vraie. Bruce ne dit rien; il sortit, et rentra quelques instants après avec un beefsteak cru, saupoudré de sel et de poivre à la mode africaine. «Monsieur, dit-il à l’Écossais, en doutant d’une chose que j’ai avancée, vous m’avez fait une injure grave; en la croyant impraticable, vous vous êtes complètement trompé. Et, pour le prouver à tous, vous allez manger tout de suite ce beefsteak cru, ou vous me rendrez raison de vos paroles.» L’Écossais eut peur, et il obéit non sans de fortes grimaces. Alors, avec le plus grand sang-froid, James Bruce ajouta: «En admettant même que la chose ne soit pas vraie, monsieur, vous ne soutiendrez plus, du moins, qu’elle est impossible.»
– Bien riposté, fit Joe. Si l’Écossais a pu attraper une indigestion, il n’a eu que ce qu’il méritait. Et si, à notre retour en Angleterre, on met notre voyage en doute…
– Eh bien! que feras-tu? Joe.
– Je ferai manger aux incrédules les morceaux du Victoria, sans sel et sans poivre!»
Et chacun de rire des expédients de Joe. La journée se passa de la sorte, en agréables propos; avec la force revenait l’espoir; avec l’espoir, l’audace. Le passé s’effaçait devant l’avenir avec une providentielle rapidité.
