Voyage Au Centre De La Terre
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Dans le cabinet encombr? de l'excentrique professeur Lidenbrock, un parchemin couvert d'?tranges caract?res s'?chappe d'un vieux manuscrit, ?uvre d'un alchimiste islandais du XVIe si?cle. Le savant d?chiffre alors un curieux message: une invitation ? se rendre au centre de la terre! Un mois plus tard, avec son neveu Axel et un guide islandais, Lidenbrock s'engouffre dans les entrailles de notre plan?te… Une p?rilleuse exp?dition ponctu?e de d?couvertes extraordinaires et de cr?atures fantastiques. Jules Verne signe l? un ?tonnant roman de science-fiction.
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– Lequel?
– Le nom de Graüben. Port-Graüben, cela fera très bien sur la carte.
– Va pour Port-Graüben.»
Et voilà comment le souvenir de ma chère Virlandaise se rattacha à notre heureuse expédition.
La brise soufflait du nord-est. Nous filions vent arrière avec une extrême rapidité. Les couches très denses de l’atmosphère avaient une poussée considérable et agissaient sur la voile comme un puissant ventilateur.
Au bout d’une heure, mon oncle avait pu se rendre compte de notre vitesse.
«Si nous continuons à marcher ainsi, dit-il, nous ferons au moins trente lieues par vingt-quatre heures et nous ne tarderons pas à reconnaître les rivages opposés.»
Je ne répondis pas, et j’allai prendre place à l’avant du radeau. Déjà la côte septentrionale s’abaissait à l’horizon. Les deux bras du rivage s’ouvraient largement comme pour faciliter notre départ. Devant mes yeux s’étendait une mer immense. De grands nuages promenaient rapidement à sa surface leur ombre grisâtre, qui semblait peser sur cette eau morne. Les rayons argentés de la lumière électrique, réfléchis ça et là par quelque gouttelette, faisaient éclore des points lumineux sur les côtés de l’embarcation. Bientôt toute terre fut perdue de vue, tout point de repère disparut, et, sans le sillage écumeux du radeau, j’aurais pu croire qu’il demeurait dans une parfaite immobilité.
Vers midi, des algues immenses vinrent onduler à la surface des flots. Je connaissais la puissance végétative de ces plantes, qui rampent à une profondeur de plus de douze mille pieds au fond des mers, se reproduisent sous une pression de près de quatre cents atmosphères et forment souvent des bancs assez considérables pour entraver la marche des navires; mais jamais, je crois, algues ne furent plus gigantesques que celles de la mer Lidenbrock.
Notre radeau longea des fucus longs de trois et quatre mille pieds, immenses serpents qui se développaient hors de la portée de la vue; je m’amusais à suivre du regard leurs rubans infinis, croyant toujours en atteindre l’extrémité, et pendant des heures entières ma patience était trompée, sinon mon étonnement.
Quelle force naturelle pouvait produire de telles plantes, et quel devait être l’aspect de la terre aux premiers siècles de sa formation, quand, sous l’action de la chaleur et de l’humidité, le règne végétal se développait seul à sa surface!
Le soir arriva, et, ainsi que je l’avais remarqué la veille, l’état lumineux de l’air ne subit aucune diminution. C’était un phénomène constant sur la durée duquel on pouvait compter.
Après le souper je m’étendis au pied du mât, et je ne tardai pas à m’endormir au milieu d’indolentes rêveries.
Hans, immobile au gouvernail, laissait courir le radeau, qui, d’ailleurs, poussé vent arrière, ne demandait même pas à être dirigé.
Depuis notre départ de Port-Graüben, le professeur Lidenbrock m’avait chargé de tenir le «journal du bord», de noter les moindres observations, de consigner les phénomènes intéressants, la direction du vent, la vitesse acquise, le chemin parcouru, en un mot, tous les incidents de cette étrange navigation.
Je me bornerai donc à reproduire ici ces notes quotidiennes, écrites pour ainsi dire sous la dictée des événements, afin de donner un récit plus exact de notre traversée.
Vendredi 14 août. - Brise égale du N. -O. Le radeau marche avec rapidité et en ligne droite. La côte reste à trente lieues sous le vent. Rien à l’horizon. L’intensité de la lumière ne varie pas. Beau temps, c’est-à-dire que les nuages sont fort élevés, peu épais et baignés dans une atmosphère blanche, comme serait de l’argent en fusion. Thermomètre: +32° C.
À midi Hans prépare un hameçon à l’extrémité d’une corde. Il l’amorce avec un petit morceau de viande et le jette à la mer. Pendant deux heures il ne prend rien. Ces eaux sont donc inhabitées? Non. Une secousse se produit. Hans tire sa ligne et ramène un poisson qui se débat vigoureusement.
«Un poisson! s’écrie mon oncle.
– C’est un esturgeon! m’écriai-je à mon tour, un esturgeon de petite taille!»
Le professeur regarde attentivement l’animal et ne partage pas mon opinion. Ce poisson a la tête plate, arrondie et la partie antérieure du corps couverte de plaques osseuses; sa bouche est privée de dents; des nageoires pectorales assez développées sont ajustées à son corps dépourvu de queue. Cet animal appartient bien à un ordre où les naturalistes ont classé l’esturgeon, mais il en diffère par des côtés assez essentiels.
Mon oncle ne s’y trompe pas, car, après un assez court examen, il dit:
«Ce poisson appartient à une famille éteinte depuis des siècles et dont on retrouve des traces fossiles dans le terrain dévonien.
– Comment! dis-je, nous aurions pu prendre vivant un de ces habitants des mers primitives?
– Oui, répond le professeur en continuant ses observations, et tu vois que ces poissons fossiles n’ont aucune identité avec les espèces actuelles. Or, tenir un de ces êtres vivant c’est un véritable bonheur de naturaliste.
– Mais à quelle famille appartient-il?
– À l’ordre des Ganoïdes, famille des Céphalaspides, genre…
– Eh bien?
– Genre des Pterychtis, j’en jurerais! Mais celui-ci offre une particularité qui, dit-on, se rencontre chez les poissons des eaux souterraines.
– Laquelle?
– Il est aveugle!
– Aveugle!
– Non seulement aveugle, mais l’organe de la vue lui manque absolument.»
Je regarde. Rien n’est plus vrai. Mais ce peut être un cas particulier. La ligne est donc amorcée de nouveau et rejetée à la mer. Cet océan, à coup sûr, est fort poissonneux, car en deux heures nous prenons une grande quantité de Pterychtis, ainsi que des poissons appartenant à une famille également éteinte, les Dipterides, mais dont mon oncle ne peut reconnaître le genre. Tous sont dépourvus de l’organe de la vue. Cette pêche inespérée renouvelle avantageusement nos provisions.
Ainsi donc, cela paraît constant, cette mer ne renferme que des espèces fossiles, dans lesquelles les poissons comme les reptiles sont d’autant plus parfaits que leur création est plus ancienne.
Peut-être rencontrerons-nous quelques-uns de ces sauriens que la science a su refaire avec un bout d’ossement ou de cartilage?
Je prends la lunette et j’examine la mer. Elle est déserte. Sans doute nous sommes encore trop rapprochés des côtes.
Je regarde dans les airs. Pourquoi quelques-uns de ces oiseaux reconstruits par l’immortel Cuvier ne battraient-ils pas de leurs ailes ces lourdes couches atmosphériques? Les poissons leur fourniraient une suffisante nourriture. J’observe l’espace, mais les airs sont inhabités comme les rivages.