Les Mysteres De Paris Tome III
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Voici un roman mythique, presque ? l'?gal du Comte de Monte-Cristo ou des Trois mousquetaires, un grand roman d'aventures, foisonnant, qui nous d?crit un Paris myst?rieux et inconnu, d?voil? dans ses recoins les plus secrets, un Paris exotique o? les apaches de Paris remplacent ceux de l'Am?rique.
Errant dans les rues sombres et dangereuses de la Cit?, d?guis? en ouvrier, le prince Rodolphe de G?rolstein sauve une jeune prostitu?e, Fleur-de-Marie, dite la Goualeuse, des brutalit?s d'un ouvrier, le Chourineur. Sans rancune contre son vainqueur, le Chourineur entra?ne Rodolphe et Fleur-de-Marie dans un tripot, Au Lapin Blanc. L?, le Chourineur et Fleur-de-Marie content leur triste histoire ? Rodolphe. Tous deux, livr?s d?s l'enfance ? l'abandon et ? la mis?re la plus atroce, malgr? de bons instincts, sont tomb?s dans la d?gradation: le meurtre pour le Chourineur, dans un moment de violence incontr?l?e, la prostitution pour Fleur-de-Marie. Rodolphe se fait leur protecteur et entreprend de les r?g?n?rer en les arrachant ? l'enfer du vice et de la mis?re o? ils sont plong?s…
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– J’entrevois déjà les combinaisons les plus machiavéliques, dit Rodolphe en souriant.
– Mais il faut d’abord les découvrir. Que j’ai hâte d’être à demain! En sortant de chez Mme de Lucenay, j’irai à leur ancienne demeure, j’interrogerai leurs voisins, je verrai par moi-même, je demanderai des renseignements à tout le monde. Je me compromettrai s’il le faut! Je serais si fière d’obtenir par moi-même et par moi seule le résultat que je désire… Oh! j’y parviendrai… cette aventure est si touchante! Pauvres femmes! Il me semble que je m’intéresse encore davantage à elles quand je songe à ma fille.
Rodolphe, ému de ce charitable empressement, souriait avec mélancolie en voyant cette femme de vingt ans, si belle, si aimante, tâchant d’oublier dans de nobles distractions les malheurs domestiques qui la frappaient; les yeux de Clémence brillaient d’un vif éclat, ses joues étaient légèrement colorées, l’animation de son geste, de sa parole, donnait un nouvel attrait à sa ravissante physionomie.
II Le piège
Mme d’Harville s’aperçut que Rodolphe la contemplait en silence. Elle rougit, baissa les yeux, puis, les relevant avec une confusion charmante, elle lui dit:
– Vous riez de mon exaltation, monseigneur! C’est que je suis impatiente de goûter ces douces joies qui vont animer ma vie, jusqu’à présent triste et inutile. Tel n’était pas sans doute le sort que j’avais rêvé… Il est un sentiment, un bonheur, le plus vif de tous… que je ne dois jamais connaître. Quoique bien jeune encore, il me faut y renoncer!… ajouta Clémence avec un soupir contraint. Puis elle reprit: Mais enfin, grâce à vous, mon sauveur, toujours grâce à vous, je me serai créé d’autres intérêts; la charité remplacera l’amour. J’ai déjà dû à vos conseils de si touchantes émotions! Vos paroles, monseigneur, ont tant d’influence sur moi!… Plus je médite, plus j’approfondis vos idées, plus je les trouve justes, grandes, fécondes. Puis, quand je songe que, non content de prendre en commisération des peines qui devraient vous être indifférentes, vous me donnez encore les avis les plus salutaires, en me guidant pas à pas dans cette voie nouvelle que vous avez ouverte à un pauvre cœur chagrin et abattu… oh! monseigneur, quel trésor de bonté renferme donc votre âme? Où avez-vous puisé tant de généreuse pitié?
– J’ai beaucoup souffert, je souffre encore… voilà pourquoi je sais le secret de bien des douleurs!
– Vous, monseigneur, vous malheureux!
– Oui, car l’on dirait que, pour me préparer à compatir à toutes les infortunes, le sort a voulu que je les subisse toutes… Ami, il m’a frappé dans mon ami; amant, il m’a frappé dans la première femme que j’ai aimée avec l’aveugle confiance de la jeunesse; époux, il m’a frappé dans ma femme; fils, il m’a frappé dans mon père; père, il m’a frappé dans mon enfant.
– Je croyais, monseigneur, que la grande-duchesse ne vous avait pas laissé d’enfant.
– En effet; mais avant mon mariage j’avais une fille, morte toute petite… Eh bien! si étrange que cela vous paraisse, la perte de cette enfant, que j’ai vue à peine, est le regret de toute ma vie. Plus je vieillis, plus ce chagrin devient profond! Chaque année en redouble l’amertume; on dirait qu’il grandit en raison de l’âge que devrait avoir ma fille. Maintenant elle aurait dix-sept ans!
– Et sa mère, monseigneur, vit-elle encore? demanda Clémence après un moment d’hésitation.
– Oh! ne m’en parlez pas, s’écria Rodolphe, dont les traits se rembrunirent à la pensée de Sarah. Sa mère est une indigne créature, une âme bronzée par l’égoïsme et par l’ambition. Quelquefois je me demande s’il ne vaut pas mieux pour ma fille d’être morte que d’être restée aux mains de sa mère.
Clémence éprouva une sorte de satisfaction en entendant Rodolphe s’exprimer ainsi.
– Oh! je conçois alors, s’écria-t-elle, que vous regrettiez doublement votre fille.
– Je l’aurais tant aimée!… Et puis il me semble que chez nous autres princes il y a toujours dans notre amour pour un fils une sorte d’intérêt de race et de nom, d’arrière-pensée politique. Mais une fille! une fille! on l’aime pour elle seule. Par cela même que l’on a vu, hélas! l’humanité sous ses faces les plus sinistres, quelles délices de se reposer dans la contemplation d’une âme candide et pure! de respirer son parfum virginal, d’épier avec une tendresse inquiète ses tressaillements ingénus! La mère la plus folle, la plus fière de sa fille, n’éprouve pas ces ravissements; elle lui est trop pareille pour l’apprécier, pour goûter ces douceurs ineffables; elle appréciera bien davantage les mâles qualités d’un fils vaillant et hardi. Car enfin ne trouvez-vous pas que ce qui rend encore plus touchant peut-être l’amour d’une mère pour son fils, l’amour d’un père pour sa fille, c’est que dans ces affections il y a un être faible qui a toujours besoin de protection? Le fils protège sa mère, le père protège sa fille.
– Oh! c’est vrai, monseigneur.
– Mais, hélas! à quoi bon comprendre ces jouissances ineffables, lorsqu’on ne doit jamais les éprouver! reprit Rodolphe avec abattement.
Clémence ne put retenir une larme, tant l’accent de Rodolphe avait été profond, déchirant.
Après un moment de silence, rougissant presque de l’émotion à laquelle il s’était laissé entraîner, il dit à Mme d’Harville en souriant tristement:
– Pardon, madame, mes regrets et mes souvenirs m’ont emporté malgré moi; vous m’excuserez, n’est-ce pas?
– Ah! monseigneur, croyez que je partage vos chagrins. N’en ai-je pas le droit? N’avez-vous pas partagé les miens? Malheureusement les consolations que je puis vous offrir sont vaines…
– Non, non… le témoignage de votre intérêt m’est doux et salutaire; c’est déjà presque un soulagement de dire que l’on souffre… et je ne vous l’aurais pas dit sans la nature de notre entretien, qui a réveillé en moi des souvenirs douloureux… C’est une faiblesse, mais je ne puis entendre parler d’une jeune fille sans songer à celle que j’ai perdue…
– Ces préoccupations sont si naturelles! Tenez, monseigneur, depuis que je vous ai vu, j’ai accompagné dans ses visites aux prisons une femme de mes amies qui est patronnesse de l’œuvre des jeunes détenues de Saint-Lazare; cette maison renferme des créatures bien coupables. Si je n’avais pas été mère, je les aurais jugées, sans doute, avec encore plus de sévérité… tandis que je ressens pour elles une pitié douloureuse en songeant que peut-être elles n’eussent pas été perdues sans l’abandon et la misère où on les a laissées depuis leur enfance… Je ne sais pourquoi, après ces pensées, il me semble aimer ma fille davantage encore…
– Allons, courage, dit Rodolphe avec un sourire mélancolique. Cet entretien me laisse rassuré sur vous… Une voie salutaire vous est ouverte; en la suivant vous traverserez, sans faillir, ces années d’épreuves si dangereuses pour les femmes, et surtout pour une femme douée comme vous l’êtes. Votre mérite sera grand… vous aurez encore à lutter, à souffrir… car vous êtes bien jeune, mais vous reprendrez des forces en songeant au bien que vous aurez fait… à celui que vous aurez à faire encore…