Les Mysteres De Paris Tome V
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Voici un roman mythique, presque ? l'?gal du Comte de Monte-Cristo ou des Trois mousquetaires, un grand roman d'aventures, foisonnant, qui nous d?crit un Paris myst?rieux et inconnu, d?voil? dans ses recoins les plus secrets, un Paris exotique o? les apaches de Paris remplacent ceux de l'Am?rique.
Errant dans les rues sombres et dangereuses de la Cit?, d?guis? en ouvrier, le prince Rodolphe de G?rolstein sauve une jeune prostitu?e, Fleur-de-Marie, dite la Goualeuse, des brutalit?s d'un ouvrier, le Chourineur. Sans rancune contre son vainqueur, le Chourineur entra?ne Rodolphe et Fleur-de-Marie dans un tripot, Au Lapin Blanc. L?, le Chourineur et Fleur-de-Marie content leur triste histoire ? Rodolphe. Tous deux, livr?s d?s l'enfance ? l'abandon et ? la mis?re la plus atroce, malgr? de bons instincts, sont tomb?s dans la d?gradation: le meurtre pour le Chourineur, dans un moment de violence incontr?l?e, la prostitution pour Fleur-de-Marie. Rodolphe se fait leur protecteur et entreprend de les r?g?n?rer en les arrachant ? l'enfer du vice et de la mis?re o? ils sont plong?s…
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Il poussa un brusque cri de douleur en se rejetant en arrière.
– Qu’as-tu? lui demanda Polidori avec étonnement.
– Éteins cette lumière; son éclat devient trop vif… je ne puis le supporter: il me blesse…
– Comment! dit Polidori de plus en plus surpris, il n’y a qu’une lampe recouverte de son abat-jour, et sa lueur est très-faible…
– Je te dis que la clarté augmente ici… Tiens, encore, encore! Oh! c’est trop… cela devient intolérable! ajouta Jacques Ferrand en fermant les yeux avec une expression de souffrance croissante.
– Tu es fou! cette chambre est à peine éclairée, te dis-je; je viens au contraire d’abaisser la lampe, ouvre les yeux, tu verras!
– Ouvrir les yeux!… mais je serais aveuglé par les torrents de clarté flamboyante dont cette pièce est de plus en plus inondée… Ici, là, partout… ce sont des gerbes de feu, des milliers d’étincelles éblouissantes! s’écria le notaire en se levant sur son séant. Puis, poussant un nouveau cri de douleur atroce, il porta les deux mains sur ses yeux. – Mais je suis aveuglé! cette lumière torride traverse mes paupières fermées… elle me brûle, elle me dévore… Ah! maintenant, mes mains me garantissent un peu!… mais éteins cette lampe, elle jette une flamme infernale!…
– Plus de doute, dit Polidori, sa vue est frappée de l’exorbitante sensibilité dont son ouïe avait été frappée tout à l’heure… puis une crise d’hallucination… Il est perdu! Le saigner de nouveau dans cet état serait mortel… Il est perdu!
Un nouveau cri aigu, terrible, de Jacques Ferrand retentit dans la chambre.
– Bourreau! éteins donc cette lampe!… Son éclat embrasé pénètre à travers mes mains qu’il rend transparentes… Je vois le sang circuler dans le réseau de mes veines… J’ai beau clore mes paupières de toutes mes forces, cette lave ardente s’y infiltre… Oh! quelle torture!… Ce sont des élancements éblouissants comme si on m’enfonçait au fond des orbites un fer aigu chauffé à blanc… Au secours! mon Dieu! au secours!… s’écria-t-il en se tordant sur son lit, en proie à d’horribles convulsions de douleur.
Polidori, effrayé de la violence de cet accès, éteignit brusquement la lumière.
Et tous les deux se trouvèrent dans une obscurité profonde.
À ce moment, on entendit le bruit d’une voiture qui s’arrêtait à la porte de la rue…
V Les visions
Lorsque les ténèbres eurent envahi la chambre où il se trouvait avec Polidori, les douleurs aiguës de Jacques Ferrand cessèrent peu à peu.
– Pourquoi as-tu autant tardé à éteindre cette lampe? dit Jacques Ferrand. Était-ce pour me faire endurer les tourments de l’enfer? Oh! que j’ai souffert… mon Dieu, que j’ai souffert!
– Maintenant, souffres-tu moins?
– J’éprouve encore une irritation violente… mais ce n’est rien auprès de ce que je ressentais tout à l’heure.
– Je te l’avais dit: dès que le souvenir de cette femme excitera l’un de tes sens, presque à l’instant ce sens sera frappé par un de ces terribles phénomènes qui déconcertent la science, et que les croyants pourraient prendre pour une terrible punition de Dieu…
– Ne me parle pas de Dieu! s’écria le monstre en grinçant des dents.
– Je t’en parlais… pour mémoire… Mais, puisque tu tiens à ta vie, si misérable qu’elle soit… songe bien, je te le répète, que tu seras emporté pendant une de ces crises furieuses, si tu les provoques encore…
– Je tiens à la vie… parce que le souvenir de Cecily est toute ma vie…
– Mais ce souvenir te tue, t’épuise, te consume!
– Je ne puis ni ne veux m’y soustraire… Je suis incarné à Cecily comme le sang l’est au corps… Cet homme m’a pris toute ma fortune, il n’a pu me ravir l’ardente et impérissable image de cette enchanteresse; cette image est à moi; à toute heure elle est là comme mon esclave… elle dit ce que je veux; elle me regarde comme je veux… elle m’adore comme je veux! s’écria le notaire dans un nouvel accès de passion frénétique.
– Jacques! ne t’exalte pas! souviens-toi de la crise de tout à l’heure!
Le notaire n’entendit pas son complice, qui prévit une nouvelle hallucination.
En effet, Jacques Ferrand reprit en poussant un éclat de rire convulsif et sardonique:
– M’enlever Cecily! Mais ils ne savent donc pas qu’on arrive à l’impossible en concentrant la puissance de toutes ses facultés sur un objet? Ainsi tout à l’heure… je… vais monter dans la chambre de Cecily, où je n’ai pas osé aller depuis son départ… Oh! voir… toucher les vêtements qui lui ont appartenu… la glace devant laquelle elle s’habillait… ce sera la voir elle-même! Oui, en attachant énergiquement mes yeux sur cette glace… bientôt j’y verrai apparaître Cecily, ce ne sera pas une illusion, un mirage, ce sera bien elle, je la trouverai là… comme le statuaire trouve la statue dans le bloc de marbre… Mais, par tous les feux de l’enfer, dont je brûle, ce ne sera pas une pâle et froide Galatée.
– Où vas-tu? dit tout d’un coup Polidori en entendant Jacques Ferrand se lever, car l’obscurité la plus profonde régnait toujours dans cette pièce.
– Je vais trouver Cecily…
– Tu n’iras pas! l’aspect de cette chambre te tuerait.
– Cecily m’attend là-haut.
– Tu n’iras pas, je te tiens, je ne te lâche pas, dit Polidori en saisissant le notaire par le bras.
Jacques Ferrand, arrivé au dernier degré de l’épuisement, ne pouvait lutter contre Polidori qui l’étreignait d’une main vigoureuse.
– Tu veux m’empêcher d’aller trouver Cecily?
– Oui, et d’ailleurs il y a une lampe allumée dans la salle voisine; tu sais quel effet la lumière a tout à l’heure produit sur ta vue.
– Cecily est en haut… elle m’attend… je traverserais une fournaise ardente pour aller la rejoindre… Laisse-moi… elle m’a dit que j’étais son vieux tigre… prends garde, mes griffes sont tranchantes.
– Tu ne sortiras pas! je t’attacherai plutôt sur ton lit comme un fou furieux.
– Polidori, écoute, je ne suis pas fou, j’ai toute ma raison, je sais bien que Cecily n’est pas matériellement là-haut… mais, pour moi, les fantômes de mon imagination valent des réalités…
– Silence! s’écria tout à coup Polidori en prêtant l’oreille, tout à l’heure j’avais cru entendre une voiture s’arrêter à la porte; je ne m’étais pas trompé; j’entends maintenant un bruit de voix dans la cour.
– Tu veux me distraire de ma pensée; le piège est grossier.
– J’entends parler, te dis-je, et je crois reconnaître…
– Tu veux m’abuser, dit Jacques Ferrand interrompant Polidori, je ne suis pas ta dupe…