La Divine Comedie Tome III: Le Paradis
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Oeuvre fondatrice de la po?sie italienne, ?pop?e po?tique et m?taphysique, ce voyage initiatique menant ? la clart? divine, s'ouvre sur la travers?e des neuf cercles de l'Enfer, sondant ? la fois la symbolique chr?tienne et les recoins les plus funestes de l'?me humaine.
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ici chacun en sent autant et davantage,
et ces scintillements le rendent manifeste;
la charité suprême est celle qui nous presse
de servir le vouloir qui gouverne le monde
et qui, comme tu vois, nous dispose à son gré.» [304]
«Je vois bien, répondis-je, ô lumière sacrée,
comment un libre amour suffit dans cette cour
pour accomplir les vœux d’une éternelle grâce.
Ce qui paraît pourtant difficile à comprendre,
c’est, parmi tant d’éclats, cette raison précise
qui t’a prédestiné, toi seul, à cet office.»
Avant d’avoir fini le dernier de ces mots,
ayant fait de son centre un axe, ce flambeau
se prit à tournoyer plus vite qu’une meule;
puis l’amour enchâssé au-dedans répondit:
«C’est un éclat divin qui, sur moi projeté,
traverse la clarté dont 6ont formés mes langes;
et sa propre vertu s’unissant à la vue
vient m’élever si haut au-dessus de moi-même,
que l’Essence suprême est visible pour moi.
De là tout ce bonheur qui me fait scintiller,
puisque, dans la mesure où s’épure ma vue,
la splendeur de mon feu devient plus éclatante.
Mais l’âme qui se baigne au ciel le plus serein,
le même séraphin qui se mire dans Dieu
plus fixement, ne peut répondre à ta demande:
ce que tu veux savoir plonge dans les abîmes
des décrets éternels, qui se trouvent si loin,
que les regards créés ne sauraient les toucher.
Lorsque tu reviendras au monde des mortels,
répète tout ceci, pour que l’on n’ose plus
se diriger en vain vers des buts trop abstrus.
L’esprit qui brille au ciel est fumeux sur la terre:
pense donc à part toi s’il peut savoir là-bas
ce qu’il ignore encore au ciel qui l’a reçu.»
Ces mots étaient pour moi de si fortes raisons
que, renonçant au reste, il fallut me borner
à prier humblement pour qu’il me dît son nom.
«Là-bas, en Italie, entre ses deux rivages,
non loin de ton berceau, sont deux rochers si hauts,
qu’on entend le tonnerre au-dessous d’eux gronder.
Ils forment l’éperon appelé Catria [305],
au pied duquel se trouve une sainte chapelle
seulement consacrée à l’adoration.»
C’est ainsi qu’il reprit pour la troisième fois;
puis, en continuant, il dit: «C’est en ce lieu
qu’au service de Dieu je me suis raffermi
et qu’un maigre manger trempé de jus d’olives
m’a suffi pour passer le froid et la chaleur,
satisfait de mes seuls pensers contemplatifs.
Ce cloître préparait de fertiles moissons
pour le ciel; à présent il devient si stérile,
qu’il faut qu’un jour ou l’autre on le sache partout.
Mon nom, dans cet endroit, fut Pierre Damien;
et Pierre le Pécheur dans cette autre maison,
construite à Notre-Dame au bord Adriatique [306].
Il me restait bien peu de mon âge mortel
quand je fus appelé par la force au chapeau [307]
qui passe maintenant toujours de mal en pis.
Car Céphas aussi bien que l’illustre Vaisseau
du Saint-Esprit [308], nu-pieds et ventre creux, allaient
et cherchaient leur manger au hasard des auberges;
nos pasteurs d’aujourd’hui doivent le plus souvent
s’appuyer sur quelqu’un à droite comme à gauche,
tant ils se font pesants, et on les hisse en selle.
Comme ils vont des manteaux couvrant leurs palefrois,
sous une même peau l’on dirait voir deux bêtes:
que de choses tu peux souffrir, ô patience!»
Je vis à ce moment de nombreuses flammèches
descendre en voltigeant d’un échelon sur l’autre,
et chacun de leurs tours les rendait plus brillantes.
Ensuite, s’arrêtant autour de celle-ci,
on entendit un cri qui retentit si fort,
que rien ne le saurait évoquer ici-bas;
mais je n’ai rien compris, tant le bruit m’accabla.
CHANT XXII
Frappé par la stupeur, je m’étais retourné
vers mon guide, semblable à quelque enfant qui court
vers quelque ami qui sait gagner sa confiance.
Elle, comme la mère arrive sans tarder
pour secourir son fils tout pâle et haletant,
de sa voix qui lui porte un peu de réconfort,
elle dit: «Souviens-toi, nous sommes dans le ciel!
Ne sais-tu pas qu’ici, dans le ciel, tout est saint
et que ce qui s’y fait obéit au bon zèle?
Tu conçois maintenant à quel point mon sourire,
de même que le chant, pouvait t’abasourdir,
puisque ce cri suffit pour t’ébranler si fort.
Mais si tu comprenais ce que dit sa prière,
tu connaîtrais déjà la vengeance imminente
qu’il te sera donné de voir avant ta mort.
Le glaive de là-haut ne frappe ni trop vite
ni trop tard, si ce n’est du point de vue humain,
car pour vous seuls l’attente est la crainte ou l’espoir.
Tourne-toi maintenant vers ces autres esprits,
car tu pourras en voir un grand nombre d’illustres,
si tu veux regarder à l’endroit que je dis!»
Comme elle le voulait, je dirigeai mes yeux
et je vis d’un côté cent globes réunis
qu’embellissait l’éclat des rayons échangés.
Je restais devant eux comme celui qui rentre
la pointe du désir et n’ose pas poser
toujours des questions, de crainte d’excéder.
Mais la plus importante entre ces marguerites
et la plus lumineuse arriva jusqu’à moi,
pour contenter ma soif de savoir qui c’était.
J’entendis dans son sein dire: «Si tu voyais
l’amour qui nous éprend tous, comme je le vois,
tu nous dirais déjà le fond de ta pensée;
mais pour que ton attente à la fin où tu montes
n’apporte aucun retard, je répondrai de suite
à ce même penser que tu veux refouler.
Le sommet de ce mont qui porte sur son flanc
le couvent de Cassin fut fréquenté jadis
par les gens d’autrefois, aveuglés et pervers.
Je suis l’homme qui fit pour la première fois
y résonner le nom de Celui qui sur terre
fit descendre le vrai qui nous sublime ici [309].
Une si grande grâce a rayonné sur moi,
que j’ai pu retirer les villes d’alentour
hors de ce culte impie et qui trompait le monde.