Vie De Jesus
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CHAPITRE XXVIII. CARACTÈRE ESSENTIEL DE L'ŒUVRE DE JÉ SUS.
Jésus, on le voit, ne sortit jamais par son action du cercle juif. Quoique sa sympathie pour tous les dédaignés de l'orthodoxie le portât à admettre les païens dans le royaume de Dieu, quoiqu'il ait plus d'une fois résidé en terre païenne, et qu'une ou deux fois on le surprenne en rapports bienveillants avec des infidèles [1234], on peut dire que sa vie s'écoula tout entière dans le petit monde, très-fermé, où il était né. Les pays grecs et romains n'entendirent pas parler de lui; son nom ne figure dans les auteurs profanes que cent ans plus tard, et encore d'une façon indirecte, à propos des mouvements séditieux provoqués par sa doctrine ou des persécutions dont ses disciples étaient l'objet [1235]. Dans le sein même du judaïsme, Jésus ne fit pas une impression bien durable. Philon, mort vers l'an 50, n'a aucun soupçon de lui. Josèphe, né l'an 37 et écrivant dans les dernières années du siècle, mentionne son exécution en quelques lignes [1236], comme un événement d'importance secondaire; dans l'énumération des sectes de son temps, il omet les chrétiens [1237]. La Mischna, d'un autre côté, n'offre aucune trace de l'école nouvelle; les passages des deux Gémares où le fondateur du christianisme est nommé ne nous reportent pas au delà du IVe ou du Ve siècle [1238]. L'œuvre essentielle de Jésus fut de créer autour de lui un cercle de disciples auxquels il inspira un attachement sans bornes, et dans le sein desquels il déposa le germe de sa doctrine. S'être fait aimer, «à ce point qu'après sa mort on ne cessa pas de l'aimer,» voilà le chef-d'œuvre de Jésus et ce qui frappa le plus ses contemporains [1239]. Sa doctrine était quelque chose de si peu dogmatique qu'il ne songea jamais à l'écrire ni à la faire écrire. On était son disciple non pas en croyant ceci ou cela, mais en s'attachant à sa personne et en l'aimant. Quelques sentences bientôt recueillies de souvenir, et surtout son type moral et l'impression qu'il avait laissée, furent ce qui resta de lui. Jésus n'est pas un fondateur de dogmes, un faiseur de symboles; c'est l'initiateur du monde à un esprit nouveau. Les moins chrétiens des hommes furent, d'une part, les docteurs de l'Église grecque, qui, à partir du IVe siècle, engagèrent le christianisme dans une voie de puériles discussions métaphysiques, et, d'une autre part, les scolastiques du moyen âge latin, qui voulurent tirer de l'Évangile les milliers d'articles d'une «Somme» colossale. Adhérer à Jésus en vue du royaume de Dieu, voilà, ce qui s'appela d'abord être chrétien.
On comprend de la sorte comment, par une destinée exceptionnelle, le christianisme pur se présente encore, au bout de dix-huit siècles, avec le caractère d'une religion universelle et éternelle. C'est qu'en effet la religion de Jésus est à quelques égards la religion définitive. Fruit d'un mouvement des âmes parfaitement spontané, dégagé à sa naissance de toute étreinte dogmatique, ayant lutté trois cents ans pour la liberté de conscience, le christianisme, malgré les chutes qui ont suivi, recueille encore les fruits de cette excellente origine. Pour se renouveler, il n'a qu'à revenir à l'Évangile. Le royaume de Dieu, tel que nous le concevons, diffère notablement de l'apparition surnaturelle que les premiers chrétiens espéraient voir éclater dans les nues. Mais le sentiment que Jésus a introduit dans le monde est bien le nôtre. Son parfait idéalisme est la plus haute règle de la vie détachée et vertueuse. Il a créé le ciel des âmes pures, où se trouve ce qu'on demande en vain à la terre, la parfaite noblesse des enfants de Dieu, la pureté absolue, la totale abstraction des souillures du monde, la liberté enfin, que la société réelle exclut comme une impossibilité, et qui n'a toute son amplitude que dans le domaine de la pensée. Le grand maître de ceux qui se réfugient dans ce royaume de Dieu idéal est encore Jésus. Le premier, il a proclamé la royauté de l'esprit; le premier, il a dit, au moins par ses actes: «Mon royaume n'est pas de ce monde.» La fondation de la vraie religion est bien son œuvre. Après lui, il n'y a plus qu'à développer et à féconder.
«Christianisme» est ainsi devenu presque synonyme de «religion.» Tout ce qu'on fera en dehors de cette grande et bonne tradition chrétienne sera stérile. Jésus a fondé la religion dans l'humanité, comme Socrate y a fondé la philosophie, comme Aristote y a fondé la science. Il y a eu de la philosophie avant Socrate et de la science avant Aristote. Depuis Socrate et depuis Aristote, la philosophie et la science ont fait d'immenses progrès; mais tout a été bâti sur le fondement qu'ils ont posé. De même, avant Jésus, la pensée religieuse avait traversé bien des révolutions; depuis Jésus, elle a fait de grandes conquêtes: on n'est pas sorti, cependant, on ne sortira pas de la notion essentielle que Jésus a créée; il a fixé pour toujours l'idée du culte pur. La religion de Jésus, en ce sens, n'est pas limitée. L'Église a eu ses époques et ses phases; elle s'est renfermée dans des symboles qui n'ont eu ou qui n'auront qu'un temps: Jésus a fondé la religion absolue, n'excluant rien, ne déterminant rien, si ce n'est le sentiment. Ses symboles ne sont pas des dogmes arrêtés, mais des images susceptibles d'interprétations indéfinies. On chercherait vainement une proposition théologique dans l'Évangile Toutes les professions de foi sont des travestissements de l'idée de Jésus, à peu près comme la scolastique du moyen âge, en proclamant Aristote le maître unique d'une science achevée, faussait la pensée d'Aristote. Aristote, s'il eût assisté aux débats de l'école, eût répudié cette doctrine étroite; il eût été du parti de la science progressive contre la routine, qui se couvrait de son autorité; il eût applaudi à ses contradicteurs. De même, si Jésus revenait parmi nous, il reconnaîtrait pour disciples, non ceux qui prétendent le renfermer tout entier dans quelques phrases de catéchisme, mais ceux qui travaillent à le continuer. La gloire éternelle, dans tous les ordres de grandeurs, est d'avoir posé la première pierre. Il se peut que, dans la «Physique» et dans la «Météorologie» des temps modernes, il ne se retrouve pas un mot des traités d'Aristote qui portent ces titres; Aristote n'en reste pas moins le fondateur de la science de la nature. Quelles que puissent être les transformations du dogme, Jésus restera en religion le créateur du sentiment pur; le Sermon sur la montagne ne sera pas dépassé. Aucune révolution ne fera que nous ne nous rattachions en religion à la grande ligne intellectuelle et morale en tête de laquelle brille le nom de Jésus. En ce sens, nous sommes chrétiens, même quand nous nous séparons sur presque tous les points de la tradition chrétienne qui nous a précédés.
Et cette grande fondation fut bien l'œuvre personnelle de Jésus. Pour s'être fait adorer à ce point, il faut qu'il ait été adorable. L'amour ne va pas sans un objet digne de l'allumer, et nous ne saurions rien de Jésus si ce n'est la passion qu'il inspira à son entourage, que nous devrions affirmer encore qu'il fut grand et pur. La foi, l'enthousiasme, la constance de la première génération chrétienne ne s'expliquent qu'en supposant à l'origine de tout le mouvement un homme de proportions colossales. A la vue des merveilleuses créations des âges de foi, deux impressions également funestes à la bonne critique historique s'élèvent dans l'esprit. D'une part, on est porté à supposer ces créations trop impersonnelles; on attribue à une action collective ce qui souvent a été l'œuvre d'une volonté puissante et d'un esprit supérieur. D'un autre côté, on se refuse à voir des hommes comme nous dans les auteurs de ces mouvements extraordinaires qui ont décidé du sort de l'humanité. Prenons un sentiment plus large des pouvoirs que la nature recèle en son sein. Nos civilisations, régies par une police minutieuse, ne sauraient nous donner aucune idée de ce que valait l'homme à des époques où l'originalité de chacun avait pour se développer un champ plus libre. Supposons un solitaire demeurant dans les carrières voisines de nos capitales, sortant de là de temps en temps pour se présenter aux palais des souverains, forçant la consigne et, d'un ton impérieux, annonçant aux rois l'approche des révolutions dont il a été le promoteur. Cette idée seule nous fait sourire. Tel, cependant, fut Élie. Élie le Thesbite, de nos jours, ne franchirait pas le guichet des Tuileries. La prédication de Jésus, sa libre activité en Galilée ne sortent pas moins complètement des conditions sociales auxquelles nous sommes habitués. Dégagées de nos conventions polies, exemptes de l'éducation uniforme qui nous raffine, mais qui diminue si fort notre individualité, ces âmes entières portaient dans l'action une énergie surprenante. Elles nous apparaissent comme les géants d'un âge héroïque qui n'aurait pas eu de réalité. Erreur profonde! Ces hommes-là étaient nos frères; ils eurent notre taille, sentirent et pensèrent comme nous. Mais le souffle de Dieu était libre chez eux; chez nous, il est enchaîné par les liens de fer d'une société mesquine et condamnée à une irrémédiable médiocrité.
