Vie De Jesus
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Jésus paraît être resté étranger à ces raffinements de théologie, qui devaient bientôt remplir le monde de disputes stériles. La théorie métaphysique du Verbe, telle qu'on la trouve dans les écrits de son contemporain Philon, dans les Targums chaldéens, et déjà dans le livre de la «Sagesse [720],» ne se laisse entrevoir ni dans les Logia de Matthieu, ni en général dans les synoptiques, interprètes si authentiques des paroles de Jésus. La doctrine du Verbe, en effet, n'avait rien de commun avec le messianisme. Le Verbe de Philon et des Targums n'est nullement le Messie. C'est Jean l'évangéliste ou son école qui plus tard cherchèrent à prouver que Jésus est le Verbe, et qui créèrent dans ce sens toute une nouvelle théologie, fort différente de celle du royaume de Dieu [721]. Le rôle essentiel du Verbe est celui de créateur et de providence; or Jésus ne prétendit jamais avoir créé le monde, ni le gouverner. Son rôle sera de le juger, de le renouveler. La qualité de président des assises finales de l'humanité, tel est l'attribut essentiel que Jésus s'attribue, le rôle que tous les premiers chrétiens lui prêtèrent [722]. Jusqu'au grand jour, il siège à la droite de Dieu comme son Métatrône, son premier ministre et son futur vengeur [723]. Le Christ surhumain des absides byzantines, assis en juge du monde, au milieu des apôtres, analogues à lui et supérieurs aux anges qui ne font qu'assister et servir, est la très-exacte représentation figurée de cette conception du «Fils de l'homme,» dont nous trouvons les premiers traits déjà si fortement indiqués dans le Livre de Daniel.
En tout cas, la rigueur d'une scolastique réfléchie n'était nullement d'un tel monde. Tout l'ensemble d'idées que nous venons d'exposer formait dans l'esprit des disciples un système théologique si peu arrêté que le Fils de Dieu, cette espèce de dédoublement de la divinité, ils le font agir purement en homme. Il est tenté; il ignore bien des choses; il se corrige [724]; il est abattu, découragé, il demande à son Père de lui épargner des épreuves; il est soumis à Dieu, comme un fils [725]. Lui qui doit juger le monde, il ne connaît pas le jour du jugement [726]. Il prend des précautions pour sa sûreté [727]. Peu après sa naissance, on est obligé de le faire disparaître pour éviter des hommes puissants qui voulaient le tuer [728]. Dans les exorcismes, le diable le chicane et ne sort pas du premier coup [729]. Dans ses miracles, on sent un effort pénible, une fatigue comme si quelque chose sortait de lui [730]. Tout cela est simplement le fait d'un envoyé de Dieu, d'un homme protégé et favorisé de Dieu [731]. Il ne faut demander ici ni logique, ni conséquence. Le besoin que Jésus avait de se donner du crédit et l'enthousiasme de ses disciples entassaient les notions contradictoires. Pour les messianistes de l'école millénaire, pour les lecteurs acharnés des livres de Daniel et d'Hénoch, il était le Fils de l'homme; pour les juifs de la croyance commune, pour les lecteurs d'Isaïe et de Michée, il était le Fils de David; pour les affiliés, il était le Fils de Dieu, ou simplement le Fils. D'autres, sans que les disciples les en blâmassent, le prenaient pour Jean-Baptiste ressuscité, pour Élie, pour Jérémie, conformément à la croyance populaire que les anciens prophètes allaient se réveiller pour préparer les temps du Messie [732].
Une conviction absolue, ou, pour mieux dire, l'enthousiasme, qui lui ôtait jusqu'à la possibilité d'un doute, couvrait toutes ces hardiesses. Nous comprenons peu, avec nos natures froides et timorées, une telle façon d'être possédé par l'idée dont on se fait l'apôtre. Pour nous, races profondément sérieuses, la conviction signifie la sincérité avec soi-même. Mais la sincérité avec soi-même n'a pas beaucoup de sens chez les peuples orientaux, peu habitués aux délicatesses de l'esprit critique. Bonne foi et imposture sont des mots qui, dans notre conscience rigide, s'opposent comme deux termes inconciliables. En Orient, il y a de l'un à l'autre mille fuites et mille détours. Les auteurs de livres apocryphes (de «Daniel», d'«Hénoch,» par exemple), hommes si exaltés, commettaient pour leur cause, et bien certainement sans ombre de scrupule, un acte que nous appellerions un faux. La vérité matérielle a très-peu de prix pour l'oriental; il voit tout à travers ses idées, ses intérêts, ses passions.
L'histoire est impossible, si l'on n'admet hautement qu'il y a pour la sincérité plusieurs mesures. Toutes les grandes choses se font par le peuple; or on ne conduit le peuple qu'en se prêtant à ses idées. Le philosophe qui, sachant cela, s'isole et se retranche dans sa noblesse, est hautement louable. Mais celui qui prend l'humanité avec ses illusions et cherche à agir sur elle et avec elle, ne saurait être blâmé. César savait fort bien qu'il n'était pas fils de Vénus; la France ne serait pas ce qu'elle est si l'on n'avait cru mille ans à la sainte ampoule de Reims. Il nous est facile à nous autres, impuissants que nous sommes, d'appeler cela mensonge, et, fiers de notre timide honnêteté, de traiter avec dédain les héros qui ont accepté dans d'autres conditions la lutte de la vie. Quand nous aurons fait avec nos scrupules ce qu'ils firent avec leurs mensonges, nous aurons le droit d'être pour eux sévères. Au moins faut-il distinguer profondément les sociétés comme la nôtre, où tout se passe au plein jour de la réflexion, des sociétés naïves et crédules, où sont nées les croyances qui ont dominé les siècles. Il n'est pas de grande fondation qui ne repose sur une légende. Le seul coupable en pareil cas, c'est l'humanité qui veut être trompée.
CHAPITRE XVI. MIRACLES.
Deux moyens d e preuve, les miracles et l'accomplissement des prophéties, pouvaient seuls, d'après l'opinion des contemporains de Jésus, établir une mission surnaturelle. Jésus et surtout ses disciples employèrent ces deux procédés de démonstration avec une parfaite bonne foi. Depuis longtemps Jésus était convaincu que les prophètes n'avaient écrit qu'en vue de lui. Il se retrouvait dans leurs oracles sacrés; il s'envisageait comme le miroir où tout l'esprit prophétique d'Israël avait lu l'avenir. L'école chrétienne, peut-être du vivant même de son fondateur, chercha a prouver que Jésus répondait parfaitement à tout ce que les prophètes avaient prédit du Messie [733]. Dans beaucoup de cas, ces rapprochements étaient tout extérieurs et sont pour nous à peine saisissables. C'étaient le plus souvent des circonstances fortuites ou insignifiantes de la vie du maître qui rappelaient aux disciples certains passages des Psaumes et des prophètes, où, par suite de leur constante préoccupation, ils voyaient des images de lui [734]. L'exégèse du temps consistait ainsi presque toute en jeux de mots, en citations amenées d'une façon artificielle et arbitraire. La synagogue n'avait pas une liste officiellement arrêtée des passages qui se rapportaient au règne futur. Les applications messianiques étaient libres, et constituaient des artifices de style bien plutôt qu'une sérieuse argumentation.
