Les Larmes De Marie-Antoinette
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— Vous pouvez le dire ! Je suis morte de peur…
— Mais non ! je resterai près de vous et tout se passera bien. Songez que nous obtiendrons peut-être de précieux renseignements ! Ensuite, évidemment, nous dînerons… ou plutôt nous souperons. Et j’espère dans la joie… Quelqu’un a-t-il une objection ?
— Ma foi non, fit Aldo. Votre idée est peut-être bonne…
— Vous croyez aux esprits, vous ? émit Malden effaré.
— Il m’est arrivé de vivre deux expériences capables de déstabiliser l’incrédule le plus coriace…
— J’espère que vous viendrez me raconter ça, chuchota lady Mendl. J’adore ce genre d’histoires !
— Moi aussi, fit la générale de Vernois dont on n’entendait jamais la voix. Une fois pour toutes, elle avait décidé que son mari s’exprimait suffisamment pour eux deux et elle s’y tenait au point que l’on pouvait la croire endormie. Cette fois, elle était bien réveillée et visiblement ravie de l’aventure.
On s’installa donc autour du guéridon. Le jeune Baldwin tira les rideaux afin que les lumières du salon ne fussent plus visibles et alla prendre place devant un harmonium placé dans un coin que personne n’avait encore remarqué. La pièce qui n’était plus éclairée que par la seule bougie s’emplit d’ombres et l’on ne distingua plus que les visages attentifs vaguement éclairés par la lueur jaune. À la demande de Crawford, ils posèrent à plat sur la table leurs mains qui se touchaient par les auriculaires. Dans ses coussins, Léonora ferma complètement les yeux :
— Nous devons nous concentrer, murmura Crawford. Un peu de musique nous y aidera…
Les sons graves de l’harmonium se firent entendre. En sourdine d’abord puis un peu plus fort, jouant une mélodie aigrelette qui, de l’avis d’Aldo, avait dû voir le jour dans les Highlands. Étant donné les goûts de celle que l’on prétendait appeler, cela lui parut curieux. Marie-Antoinette ne devait certainement pas s’intéresser au folklore écossais. Mais, évidemment, il ne pouvait rien dire…
Soudain, il y eut dans la table un craquement puis un autre et, sous ses doigts, Aldo perçut une sorte de frémissement comme s’il touchait le dos d’un être vivant.
Presque aussitôt une voix s’éleva, affreusement enrouée et bizarrement masculine. Pourtant c’était des lèvres de Léonora qu’elle sortait :
— Fait froid !… Fait si froid !…
Un frisson parcourut autour de la table même les plus incrédules comme Malden. Cette voix semblait traîner après elle toute la misère du monde. Crawford qui s’était institué le maître du jeu lui répondit :
— Pourquoi avez-vous si froid, frère ! ? Nous sommes là pour vous apporter de la lumière et de la chaleur…
— Qui êtes-vous ?
— Des amis, n’en doutez pas ! Que pouvons-nous faire pour vous ? Prier ?
— Peut-être… moi je n’ai jamais su… Oh, que j’ai froid !… L’eau est… glacée. Je… je ne peux pas… lui échapper !…
— Il faut que vous puissiez vous approcher de notre flamme. Nous allons prier pour vous guider jusqu’à nous, jusqu’à la lumière qui est là, au milieu de nous… Notre Père qui êtes aux cieux…
Le timbre profond donnait à la plus vieille prière des chrétiens une résonance inattendue chez cet homme, sceptique en apparence… Elle entraîna les autres mais ne trouva aucun écho de la part de l’inconnu et le silence retomba quand ce fut fini. Contre la sienne, Aldo sentit trembler la main de Mme de La Begassière. La pauvre femme avait si peur que l’on pût entendre ses dents claquer. Cependant, Crawford reprenait :
— Étes-vous toujours là, frère ?…
— Oui… mais je vous entends de plus en plus mal… Vous vous éloignez… oh, que cette eau est froide…
À mesure qu’elle parlait la voix désolée s’affaiblissait, s’éloignait jusqu’à devenir murmure. Puis il n’y eut plus rien. Chacun put voir que la tête de Léonora retombait à présent sur sa poitrine.
— Laissons-la reposer un instant ! chuchota son époux. Lorsqu’elle entre en transe, on ne peut jamais savoir qui essaiera de s’exprimer par sa bouche. Celui que nous venons d’entendre a dû mourir sans savoir ce qui lui arrivait et ne parvient pas à se dégager du trou noir…
— Vous souvenez-vous de ce braconnier qui s’est noyé dans le Grand Canal l’avant-dernier hiver ? fit remarquer lady Mendl. C’était le soir, il faisait un froid de loup, tout était gelé et le gibier qu’il poursuivait s’est aventuré sur la glace du canal. Elle a cédé sous le poids de l’homme. Les forestiers du parc ont retrouvé son corps le lendemain…
— Vous… vous pensez que c’est lui qui…, chevrota Mme de La Begassière
— Bien sûr que c’est lui, grogna Ponant-Saint-Germain agacé. Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?
— Frédéric va nous jouer un cantique afin de purifier les ondes. Ensuite nous essaierons d’atteindre celle que nous espérons. Je dis bien essaierons, parce que cette sorte de séance est éprouvante pour le fluide vital de notre médium. Malheureusement, ce genre d’intervention n’est pas rare…
Tandis que le jeune homme exécutait « Plus près de Toi, mon Dieu », Aldo qui tenait à son idée proposa :
— Il serait peut-être mieux de jouer l’un des airs favoris de la Reine ? Elle aimait chanter mais des romances de l’époque.
— Cela me paraît judicieux, approuva le jeune homme de son coin. Je vous propose cet air.
En sourdine il entama « Nina ou la folle d’amour ».
Interprétée sur harmonium au lieu du clavecin dont on accompagnait autrefois Marie-Antoinette, la mélancolique mélodie se dramatisait. Doucement, le jeune Baldwin se mit à chanter. On vit alors Léonora, totalement inerte depuis un moment, se redresser, lever la tête et prendre la suite du jeune homme mais cette fois encore ce n’était pas sa voix normale c’était celle fragile et inexpérimentée d’une jeune fille ou d’une très jeune femme qui prenait un évident plaisir à chanter même si elle n’y était pas fort habile. Et la stupeur se peignit sur ces visages plus ou moins tendus qu’éclairait la bougie : il y avait une indéniable trace d’accent allemand…
Aldo qui depuis le début observait l’Écossais en se demandant à quoi rimait tout cela, le vit s’illuminer de joie :
— Mon Dieu !… C’est elle ! souffla celui-ci. Elle… enfin !
La chanson mourut, la musique se tut. Puis l’on entendit Crawford tremblant d’émotion :
— Madame… Votre Majesté !… Est-ce bien vous ?
L’étrange voix se remit à chantonner. Autour de la table la tension était palpable. Puis on perçut – et le timbre baissa de plusieurs tons, se chargeant de lassitude :
— Je suis venue de loin… de si loin ! Hâtez-vous… Je suis bien fatiguée.
— Un peu de musique vous aiderait ? Nous souhaitons tous tellement que vous vous sentiez bien…
— Oui !… Un peu mieux ! Doucement !… Que voulez-vous de moi ?… Pourquoi m’avez-vous appelée…
— Pour que la Reine efface nos doutes. Des événements terribles se produisent ici, des hommes tombent…
— Il fallait qu’ils tombent ! Leur poids s’était alourdi à travers le temps… Ce qui arrive je l’ai voulu… Il faut que l’on me rende ce qui est à moi !…
Depuis un instant, la langue d’Aldo le démangeait :
— J’ai peine à croire que là où elle est Votre Majesté ait besoin de parures terrestres ?
— Taisez-vous, malheureux ! s’écria Crawford. Vous allez la faire fuir… Madame, Madame, veuillez pardonner…
— Ce qui est à moi est à moi !… Ce qui est à moi est à moi… ce qui est à moi est à moi…
Tout en répétant cette phrase la voix s’affaiblissait, s’éloignait…
— Madame ! implora Crawford, Madame ! Par pitié, restez !… Rappelez-la, Frédéric !… Jouez ! Jouez ce qu’elle aime !
L’harmonium soupira les notes mélancoliques de « Plaisir d’amour » mais ce fut en vain. La tête de Léonora était retombée sur sa poitrine cependant que ses mains glissaient le long du fauteuil. Elle semblait évanouie mais respirait bruyamment.
— Vous êtes sûr qu’elle n’a pas besoin d’aide ? hasarda Clothilde de Malden. Elle est vraiment pâle ?