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Les Voyages De Gulliver

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Les Voyages De Gulliver
Название: Les Voyages De Gulliver
Автор: Swift Jonathan
Дата добавления: 16 январь 2020
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Les Voyages De Gulliver - читать бесплатно онлайн , автор Swift Jonathan

Qui ne conna?t pas les voyages de Gulliver aux pays des hommes minuscules – Lilliput – au pays des g?ants – Brobdingnag – ? l'?le volante de Laputa ou au pays des chevaux intelligents – les Houyhnhnms. Au del? de la po?sie et de la beaut? de l'imaginaire, Swift nous propose une r?flexion profonde, mais pessimiste, sur la soci?t? et la politique de son temps.

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«Il prend souvent à nos yahous une fantaisie dont nous ne pouvons concevoir la cause. Gras, bien nourris, bien couchés, traités doucement par leurs maîtres, et pleins de santé et de force, ils tombent tout à coup dans un abattement, dans un dégoût, dans une humeur noire qui les rend mornes et stupides. En cet état, ils fuient leurs camarades, ils ne mangent point, ils ne sortent point; ils paraissent rêver dans le coin de leurs loges et s’abîmer dans leurs pensées lugubres. Pour les guérir de cette maladie, nous n’avons trouvé qu’un remède: c’est de les réveiller par un traitement un peu dur et de les employer à des travaux pénibles. L’occupation que nous leur donnons alors met en mouvement tous leurs esprits et rappelle leur vivacité naturelle.»

Lorsque mon maître me raconta ce fait avec ses circonstances, je ne pus m’empêcher de songer à mon pays, où la même chose arrive souvent, et où l’on voit des hommes comblés de biens et d’honneurs, pleins de santé et de vigueur, environnés de plaisirs et préservés de toute inquiétude, tomber tout à coup dans la tristesse et dans la langueur, devenir à charge à eux-mêmes, se consumer par des réflexions chimériques, s’affliger, s’appesantir et ne faire plus aucun usage de leur esprit, livré aux vapeurs hypocondriaques. Je suis persuadé que le remède qui convient à cette maladie est celui qu’on donne aux yahous, et qu’une vie laborieuse et pénible est un régime excellent pour la tristesse et la mélancolie. C’est un remède que j’ai éprouvé moi-même, et que je conseille au lecteur de pratiquer lorsqu’il se trouvera dans un pareil état. Au reste, pour prévenir le mal, je l’exhorte à n’être jamais oisif; et, supposé qu’il n’ait malheureusement aucune occupation dans le monde, je le prie d’observer qu’il y a de la différence entre ne faire rien et n’avoir rien à faire.

Chapitre VIII

Philosophie et mœurs des Houyhnhnms.

Je priais quelquefois mon maître de me laisser voir les troupeaux de yahous du voisinage, afin d’examiner par moi-même leurs manières et leurs inclinations. Persuadé de l’aversion que j’avais pour eux, il n’appréhenda point que leur vue et leur commerce me corrompissent; mais il voulut qu’un gros cheval alezan brûlé, l’un de ses fidèles domestiques, et qui était d’un fort bon naturel, m’accompagnât toujours, de peur qu’il ne m’arrivât quelque accident.

Ces yahous me regardaient comme un de leurs semblables, surtout ayant une fois vu mes manches retroussées, avec ma poitrine et mes bras découverts. Ils voulurent pour lors s’approcher de moi, et ils se mirent à me contrefaire en se dressant sur leurs pieds de derrière, en levant la tête et en mettant une de leurs pattes sur le côté. La vue de ma figure les faisait éclater de rire. Ils me témoignèrent néanmoins de l’aversion et de la haine, comme font toujours les singes sauvages à l’égard d’un singe apprivoisé qui porte un chapeau, un habit et des bas.

Comme j’ai passé trois années entières dans ce pays-là, le lecteur attend de moi, sans doute, qu’à l’exemple de tous les autres voyageurs, je fasse un ample récit des habitants de ce pays, c’est-à-dire des Houyhnhnms, et que j’expose en détail leurs usages, leurs mœurs, leurs maximes, leurs manières. C’est aussi ce que je vais tâcher de faire, mais en peu de mots.

Comme les Houyhnhnms, qui sont les maîtres et les animaux dominants dans cette contrée, sont tous nés avec une grande inclination pour la vertu et n’ont pas même l’idée du mal par rapport à une créature raisonnable, leur principale maxime est de cultiver et de perfectionner leur raison et de la prendre pour guide dans toutes leurs actions. Chez eux, la raison ne produit point de problèmes comme parmi nous, et ne forme point d’arguments également vraisemblables pour et contre. Ils ne savent ce que c’est que mettre tout en question et défendre des sentiments absurdes et des maximes malhonnêtes et pernicieuses. Tout ce qu’ils disent porte la conviction dans l’esprit, parce qu’ils n’avancent rien d’obscur, rien de douteux, rien qui soit déguisé ou défiguré par les passions et par l’intérêt. Je me souviens que j’eus beaucoup de peine à faire comprendre à mon maître ce que j’entendais par le mot d’opinion, et comment il était possible que nous disputassions quelquefois et que nous fussions rarement du même avis.

«La raison, disait-il, n’est-elle pas immuable? La vérité n’est-elle pas une? Devons-nous affirmer comme sûr ce qui est incertain? Devons-nous nier positivement ce que nous ne voyons pas clairement ne pouvoir être? Pourquoi agitez-vous des questions que l’évidence ne peut décider, et où, quelque parti que vous preniez, vous serez toujours livrés au doute et à l’incertitude? À quoi servent toutes ces conjectures philosophiques, tous ces vains raisonnements sur des matières incompréhensibles, toutes ces recherches stériles et ces disputes éternelles? Quand on a de bons yeux, on ne se heurte point; avec une raison pure et clairvoyante, on ne doit point contester, et, puisque vous le faites, il faut que votre raison soit couverte de ténèbres ou que vous haïssiez la vérité.»

C’était une chose admirable que la bonne philosophie de ce cheval: Socrate ne raisonna jamais plus sensément. Si nous suivions ces maximes, il y aurait assurément, en Europe, moins d’erreurs qu’il y en a. Mais alors, que deviendraient nos bibliothèques? Que deviendraient la réputation de nos savants et le négoce de nos libraires? La république des lettres ne serait que celle de la raison, et il n’y aurait, dans les universités, d’autres écoles que celles du bon sens.

Les Houyhnhnms s’aiment les uns les autres, s’aident, se soutiennent et se soulagent réciproquement; ils ne se portent point envie; ils ne sont point jaloux du bonheur de leurs voisins; ils n’attentent point sur la liberté et sur la vie de leurs semblables; ils se croiraient malheureux si quelqu’un de leur espèce l’était, et ils disent, à l’exemple d’un ancien: Nihil caballini a me alienum puto . Ils ne médisent point les uns des autres; la satire ne trouve chez eux ni principe ni objet; les supérieurs n’accablent point les inférieurs du poids de leur rang et de leur autorité; leur conduite sage, prudente et modérée ne produit jamais le murmure; la dépendance est un lien et non un joug, et la puissance, toujours soumise aux lois de l’équité, est révérée sans être redoutable.

Leurs mariages sont bien mieux assortis que les nôtres. Les mâles choisissent pour épouses des femelles de la même couleur qu’eux. Un gris-pommelé épousera toujours une grise-pommelée, et ainsi des autres. On ne voit donc ni changement, ni révolution, ni déchet dans les familles; les enfants sont tels que leurs pères et leurs mères; leurs armes et leurs titres de noblesse consistent dans leur figurée, dans leur taille, dans leur force, dans leur couleur, qualités qui se perpétuent dans leur postérité; en sorte qu’on ne voit point un cheval magnifique et superbe engendrer une rosse, ni d’une rosse naître un beau cheval, comme cela arrive si souvent en Europe.

Parmi eux, on ne remarque point de mauvais ménages.

L’un et l’autre vieillissent sans que leur cœur change de sentiment; le divorce et la séparation, quoique permis, n’ont jamais été pratiqués chez eux.

Ils élèvent leurs enfants avec un soin infini. Tandis que la mère veille sur le corps et sur la santé, le père veille sur l’esprit et sur la raison.

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