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– Me Vigneron vous fera parvenir régulièrement la pension du cher petit. Allons, embrassez-moi, Marianne, et vous aussi, mon cher Bontemps… Vous, au moins, vous êtes de vrais amis.
Puis, appelant son fils, qui jouait dans une pièce voisine, Jacqueline le prit sur ses genoux; et, dissimulant l’atroce douleur qui la déchirait, elle fit:
– Mon mignon, je vais être obligée de partir en voyage…
– Tu m’emmènes avec toi, maman chérie? s’écria aussitôt le bambin.
– Non, mon petit, c’est impossible.
– Tu seras longtemps partie?
– Quelques jours seulement… Pendant ce temps-là, tu t’en iras à la campagne avec Bontemps et ta nourrice.
Et Marianne intervenant, promit:
– Vous verrez, monsieur Jean, comme vous serez heureux avec nous… Vous vous amuserez bien… Il y a un petit âne avec une belle voiture…
– Un petit âne! s’écriait l’enfant, avec l’adorable versatilité de son âge. Oh! je veux partir tout de suite, tout de suite… Tu veux bien, maman?
– Oui, oui, mon ange… Va, amuse-toi, sois heureux.
Et l’étreignant une dernière fois contre son cœur, elle fit toute pantelante:
– Je t’aime et je te bénis!
Puis, se tournant vers Bontemps et sa fille, elle ajouta:
– Emmenez-le! Je n’en peux plus! c’est trop! À bientôt! À bientôt!
La fille du banquier, demeurée seule au château, commença ses préparatifs de départ, puisant dans la beauté de son acte l’héroïsme dont elle avait besoin pour aller jusqu’au bout de sa tâche.
Comme vers le soir, elle se disposait à se rendre à la gare… une sonnerie retentit dans le petit salon…
– Qui peut téléphoner à cette heure? se demanda la jeune femme.
Et se rendant à l’appareil, elle saisit le récepteur et écouta…
Soudain… son visage se convulse.
Un cri étouffé s’échappe de sa gorge…
Jacqueline vient d’entendre et de reconnaître la voix de son père qui lui clamait:
– Ma fille… ma fille… pardonne-moi!
Convaincue qu’elle était l’objet d’une atroce hallucination, elle s’enfuit à travers les grandes pièces vides… gagna le parc… et disparut sous les arbres, s’enfonçant peu à peu dans la nuit qui s’était refermée sur elle.
Le lendemain matin, de très bonne heure, une jeune femme, en grand deuil, et qui semblait brisée de fatigue, suivait, une valise à la main, une rue déserte de Neuilly.
À plusieurs reprises, haletant, oppressée, elle avait dû s’arrêter pour reprendre haleine.
Or, depuis un moment déjà… une ombre… dont il lui eût été impossible de s’expliquer l’origine… s’était attachée à ses pas… s’arrêtant avec elle, fluide, impalpable, étrange, mystérieuse…
Était-ce quelque protecteur envoyé de là-haut?
Était-ce la menace de nouveaux malheurs et de pires détresses?
Quelle était cette ombre?
DEUXIÈME ÉPISODE L’expiation
I LA MAÎTRESSE DE PIANO
– Une lettre pour vous, madame Bertin.
– Merci, madame Chapuis.
– Comment cela va-t-il, ce matin? Pas trop fort, n’est-ce pas? En voilà des yeux rouges!… Je parie que vous avez encore pleuré toute la nuit.
– Mais non, j’ai très bien dormi…
– Il ne faut pas me dire cela, mon enfant. Vous avez du chagrin, ma pauvre petite…
Et Mme Chapuis, personne d’une quarantaine d’années, à la tenue extrêmement correcte, à la physionomie avenante et sympathique, ajouta, tout en enveloppant d’un regard de bienveillance émue, une ravissante jeune femme qui, vêtue d’une robe noire toute simple, demeurait debout dans l’entrebâillement d’une porte:
– Il n’y a pas très longtemps que vous êtes chez moi… Eh bien, je ne vous le cacherai pas, rien qu’en vous voyant, j’ai deviné que vous étiez une brave créature; et si jamais vous avez besoin de moi je ne vous en dis pas davantage.
– Moi aussi, je me suis aperçue combien vous étiez bonne, répliquait la jeune femme d’une voix aux vibrations harmonieuses.
– Allons, bon! le téléphone! Il faut que je redescende au bureau… Au revoir, mon enfant, et bon courage.
Celle que Mme Chapuis venait d’appeler «mon enfant» avec tant d’insistance, rentra aussitôt dans une chambre des plus simples, mais très propre, et presque gaie… Puis, s’asseyant devant une table à ouvrage, elle décacheta la lettre que venait de lui remettre Mme Chapuis et lut ce qui suit:
Chère Madame,
Tout d’abord, laissez-moi vous dire que nous avons été bien heureux d’avoir de vos nouvelles et que votre petit Jean se porte à merveille. Les premiers jours, le soir surtout, il a pleuré en demandant sa maman… Mais nous l’avons consolé de notre mieux en lui promettant que nous le conduirions bientôt vous voir. Il a dansé de joie quand je lui ai lu votre lettre; et j’ai dû la lui donner pour qu’il la garde sur son cœur! C’est un vrai chérubin du bon Dieu! Nous sommes satisfaits de savoir que vous êtes tombée à Neuilly sur une bonne pension de famille et que vous avez déjà trouvé quelques leçons de piano et d’anglais. En tout cas, chère madame, vous pouvez compter entièrement sur notre dévouement ainsi que sur notre discrétion.
Mon père se joint à moi pour vous adresser tous ses respects.
MARIANNE BONTEMPS.
au Verger… Loisy (Seine-et-Oise).
Un post-scriptum à la grosse écriture mal formée suivait ces lignes:
Marianne me tient la main pour t’envoyer mille caresses… en attendant de te voir bientôt, toi… ma vraie petite maman.
Ton petit garçon qui t’aime,
Jean.
La jeune femme approcha de ses lèvres la tendre et naïve missive… Puis ses yeux se dirigèrent vers le portrait de son fils.
– Mon Jeannot chéri, murmura-t-elle. Oh! oui, comme je t’aime! Désormais, tu es tout pour moi… mon bien-aimé!
Réconfortée par l’amour maternel, la jeune femme se coiffa d’un modeste chapeau autour duquel s’enroulait un long voile de crêpe… et, prenant un carton à musique, elle partit après avoir envoyé un long baiser à l’image radieuse de son enfant. Vite, elle gagna la rue, marchant d’un pas rapide, assuré, lorsque soudain, elle s’arrêta, tandis qu’un nom lui échappait: